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Mort de Silvio Berlusconi : « Il a érigé le populisme en système de gouvernement »

L'ancien chef de gouvernement italien, milliardaire, homme de média, dont les démêlés judiciaires et frasques sexuelles ont défrayé la chronique, est mort à l'âge de 86 ans. Souvent disruptif, le parcours politique du Cavaliere aura marqué l’histoire italienne de ces 30 dernières années. Analyse avec Marie-Anne Matard-Bonucci, professeure d’Histoire contemporaine à Paris 8 et directrice de la Revue Alarmer
Tâm Tran Huy

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Que retenir du parcours de Silvio Berlusconi et de quelle façon a-t-il influencé la vie politique italienne ?

Marie-Anne Matard-Bonucci : Silvio Berlusconi a marqué profondément le paysage politique italien, il a érigé le populisme en système de gouvernement et a contribué à dédiaboliser l’extrême droite dès 1994, lorsqu’il est devenu pour la première fois président du Conseil. Tout cela annonçait le système politique actuel avec l’extrême droite au pouvoir. Comme homme politique, il a brisé un grand nombre d’interdits qui caractérisaient jusque-là la politique italienne : outre l’interdit de l’extrême droite, la séparation entre le monde des affaires et celui de la politique, ou encore la séparation entre la sphère publique et la sphère privée.

 

De quelle façon a-t-il fait entrer l’extrême-droite au pouvoir ?

Au début des années 1990, le système politique italien s’effondre en raison de la corruption. Silvio Berlusconi profite du vide politique pour créer un nouveau parti, Forza Italia. C’est un parti nouveau sur la forme, géré comme une équipe de football, il s’inspire d’ailleurs du Milan AC dont il est alors président. Dans ce champ de ruines qu’est la politique italienne, il prétend réinventer la politique en faisant rentrer l’extrême-droite : la Ligue du Nord, mais aussi l’Alleanza nazionale, héritière du mouvement social italien. Il a dédiabolisé l’extrême-droite puis normalisé ces partis, comme la Lega, Fratelli d’Italia, ces partis d’extrême droite populistes et xénophobes. Et cela a marqué durablement la vie politique italienne : entre 1994 et aujourd’hui, Silvio Berlusconi a été président du Conseil à 4 reprises et a gouverné environ dix ans. Mais les Italiens ont l’impression que cela a duré plus de vingt ans car son empreinte a été profonde. Même quand il ne présidait pas le Conseil, il était omniprésent dans la vie politique.

 

Comment a-t-il mélangé le monde des affaires et celui de la politique ?

Là-dessus, il n’était pas complètement unique en son genre : par bien des aspects, on peut le rapprocher de Donald Trump. Il était populiste et se réclamait du peuple italien mais en réalité, il gouvernait surtout pour une frange d’entrepreneurs aisés. Il est entré en politique pour défendre ses intérêts, son pouvoir, son empire Fininvest, composé d’une centaine de sociétés et de 22 holdings. Il est d’ailleurs à l’origine de lois dont la signification est très claire : dépénalisation des fausses déclarations comptables, suppression des impôts sur les successions, lois très libérales en matière d’économie, rapatriement des exilés fiscaux…

 

Qu’est-ce qui caractérise le style Berlusconi ?

Le style Berlusconi, c’est une façon de désacraliser certaines valeurs de la démocratie, de gouverner en pensant qu’on peut rire de tout : de Barack Obama, des femmes politiques, du fascisme ou même du national-socialisme. Il a imprimé sa marque au-delà de la politique dans son univers de loisirs et de médias, un monde où tout le monde est beau, jeune et refait, lui-même avait recours à la chirurgie esthétique et ne s’en cachait pas. C’est un univers qu’il a légitimé et sur lequel il s’est ensuite appuyé.

 

De nombreux scandales sexuels ont terni son image : le rubygate, les soirées bunga bunga… Quel a été leur impact ?

C’est difficile à dire. Ce qui est sûr, c’est qu’une partie de son électorat venue de la démocratie chrétienne s’est détournée de lui à cause de ces affaires. Mais la plupart de ses soutiens ont toujours affirmé que tout cela n’était que des affaires privées. Berlusconi avait lui cherché à valoriser ces histoires, en les inscrivant dans une certaine conception de l’homme italien, en marquant des points auprès d’un électorat macho. Ces scandales, il les expliquait par son amour des femmes et ses qualités de séducteur propre à sa conception de la virilité et de l’homme italien. Ses frasques privées ont cependant affaibli l’image de l’Italie au niveau international. Et plus encore la situation économique très dégradée du pays. C’est sous la pression de l’international qu’il a fini par lâcher le pouvoir, lâché aussi par le patronat, la confindustria.

 

De quelle façon sa politique a marqué et continue à marquer l’Italie ? Qui sont ses héritiers ?

Après lui, on a pu voir un Beppe Grillo, qui était d’abord un comique, se lancer en politique. Sans faire de mauvais jeux de mots, Berlusconi a ouvert les vannes… Tout son style a imprimé sa marque sur la vie politique italienne : mélange public privé, entrée de l’extrême droite et légitimation au pouvoir, mais aussi personnalisation de la politique. Avant Berlusconi, la personnalisation de la vie politique n’était plus de mise : après le fascisme, les hommes politiques italiens étaient un peu « gris » comme par exemple, Giulio Andreotti (NDLR : plusieurs fois ministre et deux fois président du Conseil italien dans les années 1970-1980). Avec Berlusconi, on a eu la construction d’une force politique autour d’une personne et Matteo Salvini, par exemple, s’est inspiré de cela.

 

Quelles étaient ses relations avec Georgia Meloni, actuelle présidente du Conseil ? Silvio Berlusconi était-il encore influent ?

Il était moins influent, lors des dernières élections, à l’automne dernier, son parti était minoritaire dans la coalition, même s’il avait été réélu comme sénateur. Il continuait à avoir une certaine popularité : sa longévité dans le paysage politique était une référence. Ses relations avec Georgia Meloni n’étaient pas du tout mauvaises, la classe politique va le pleurer, supposant, à tort ou à raison, qu’une partie des Italiens se retrouve en lui.

Marie-Anne Matard-Bonucci,  est professeure d’Histoire contemporaine à Paris 8 et directrice de la Revue Alarmer

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