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Naufrage dans la Manche : où en sont les accords migratoires entre la France et le Royaume-Uni ?

Depuis Boulogne-sur-Mer, où il se trouvait après la mort de douze migrants dans la Manche, Gérald Darmanin a appelé à la conclusion d’un « traité migratoire entre la Grande-Bretagne et l’Union européenne ». Depuis le Brexit, où en est la coopération entre Londres et Paris en matière d’immigration ? On fait le point.
Rose-Amélie Bécel

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C’est le naufrage le plus meurtrier depuis novembre 2021. Ce 3 septembre, douze personnes sont décédées en tentant de traverser la Manche vers l’Angleterre. Auprès des secours après le drame, le ministre de l’Intérieur démissionnaire a appelé à « rétablir une relation migratoire classique » avec le Royaume-Uni, en établissant un nouveau « traité migratoire ». Un sujet qui revient régulièrement sur la table, alors que l’année 2024 est désormais la plus meurtrière dans la Manche.

Une coopération compliquée par le Brexit…et des années de politique conservatrice

Aujourd’hui, à quoi ressemble la coopération entre les deux pays sur le plan migratoire ? « Le Brexit n’a pas causé de changement fondamental dans nos relations avec le Royaume-Uni sur ce plan », explique Matthieu Tardis, co-directeur du centre de recherche Synergie Migration. En effet, situé hors de l’espace Schengen, le pays ne participait déjà pas à la majorité des politiques migratoires européennes.

Pour Camille Le Coz, directrice associée au Migration policy institute, si le Brexit n’a évidemment pas facilité les relations entre Londres et ses voisins sur le sujet, elles ont aussi été compliquées par des années de politique conservatrice. « Ces années de gouvernement conservateur se sont distinguées par une politisation à l’extrême de ce sujet de l’immigration, avec des mesures, populistes, qui sont allées beaucoup plus loin que celles de n’importe quel autre pays européen », explique-t-elle.

Dernière mesure en date : la signature d’un accord pour expulser vers le Rwanda les migrants arrivés illégalement au Royaume-Uni, pour qu’ils effectuent leur demande d’asile sur place. « Cet accord va à l’encontre des principes édictés dans l’UE et a été perçu par la Commission européenne comme une initiative totalement unilatérale », note Camille Le Coz. Avec l’arrivée du travailliste Keir Starmer à la tête d’un nouveau gouvernement au début du mois de juillet, le projet de loi a immédiatement été abandonné.

Une réponse sécuritaire, sans stratégie globale

Plutôt froide, la coopération entre la France – plus largement l’Union européenne – et le Royaume-Uni se concentre donc essentiellement sur le volet sécuritaire, pour lutter contre les réseaux de passeurs et le trafic d’êtres humains. « Pour schématiser, le Royaume-Uni transfère de l’argent à la France pour qu’elle renforce les contrôles à Calais », résume Matthieu Tardis. C’est en novembre 2022 que le dernier accord de ce type a été conclu : contre le versement de près de 72 millions d’euros, les autorités françaises se sont engagées à augmenter de 40 % les effectifs de policiers et de gendarmes patrouillant sur la côte de la Manche.

Un mode de fonctionnement remis en cause par Gérald Darmanin, lors de son déplacement ce 3 septembre à Boulogne-sur-Mer. « Ce ne sont pas les dizaines de millions d’euros que nous négocions chaque année avec nos amis britanniques et qui ne payent qu’un tiers de ce que nous dépensons, nous » qui feront cesser les naufrages dans la Manche, a-t-il déploré. « Cette déclaration du ministre souligne le besoin d’une réponse globale, comme la création de voies d’immigration légales, par exemple pour faciliter le passage de personnes qui ont de la famille à rejoindre au Royaume-Uni », explique Camille Le Coz.

Pointé du doigt par le ministre de l’Intérieur, le Royaume-Uni n’est pourtant pas le seul responsable de ce statu quo. « C’est un peu facile de formuler cette demande maintenant que Gérald Darmanin est démissionnaire. Cela fait un moment que le sujet est sur la table et que la France ne s’en saisit pas non plus, préférant renvoyer la balle au niveau européen », souligne Matthieu Tardis. Pour Camille Le Coz, l’Union européenne a également manqué « d’appétit politique » pour conclure un accord global avec Londres ces dernières années : « La situation entre les 27 était déjà extrêmement tendue autour du pacte asile et migration [définitivement adopté en mai 2024]. Dans ce contexte, difficile de négocier avec le Royaume-Uni alors qu’on ne parvient déjà pas à se mettre d’accord en interne. »

Le défi du nouveau gouvernement travailliste

Le nouveau drame survenu ce 3 septembre remet en tout cas cette question sur la table, alors que le parti travailliste est désormais au pouvoir. Keir Starmer hérite d’une situation délicate, avec un défi principal : rattraper l’énorme retard accumulé par les autorités dans le traitement des demandes d’asile. Selon les chiffres de l’Observatoire des migrations de l’université d’Oxford publiés en juillet, près de 120 000 demandeurs d’asile attendent une réponse. Un embouteillage coûteux, notamment en matière d’hébergement provisoire, et qui suscite la colère des demandeurs d’asile et des associations sur place.

Lors de son discours à la chambre des Lords mi-juillet, le roi Charles III a déjà annoncé que le gouvernement travailliste allait « moderniser le système d’asile et d’immigration » britannique. Un pari difficile, juge Matthieu Tardis : « Au Royaume-Uni, l’immigration est un tel sujet de polarisation que c’est devenu très difficile de prendre une décision pragmatique. Je crains que les travaillistes ne soient pris au piège de cette politisation du sujet, construite par près de 20 ans de discours conservateur. »

Si les Britanniques ont mis le parti travailliste largement en tête lors des dernières élections, rompant avec des années de gouvernement conservateur, la question migratoire reste tout aussi explosive dans l’opinion. L’été a en effet été marqué par des manifestations anti-immigration et de violentes émeutes, menées par des groupuscules d’extrême droite.

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