Nouveaux droits de douane américains : sur quoi repose le calcul de Donald Trump ?
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Nouveaux droits de douane américains : sur quoi repose le calcul de Donald Trump ?

Donald Trump a présenté sa vague tarifaire de taxes douanières le 2 avril, dans le cadre du « jour de la libération ». Comment la Maison Blanche est-elle parvenu à son échelle de droits de douane ? Comment analyser son choix ? Éléments de réponses.
Guillaume Jacquot

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Pour de nombreux pays, l’offensive de la Maison Blanche a tous les attributs d’une guerre commerciale. La hausse des tarifs douaniers imposés à toutes les marchandises entrant sur le sol américain, annoncée hier soir par Donald Trump, est inédite dans son ampleur depuis près d’un siècle. Dans une mise en scène désormais coutumière, tableau à la main, le président américain a présenté les droits de douane individuels vis-à-vis de chaque nation, hors Mexique et Canada et hors taxes sectorielles.

Un taux minimal de 10 % est prévu pour l’ensemble du monde. Peu d’États sont logés à cette enseigne. Des droits additionnels de 20 % vont être réclamés aux produits exportés par l’Union européenne, 24 % pour le Japon, 34 % pour la Chine. En Asie du Sud-Est, beaucoup de pays vont même devoir composer avec des tarifs encore plus élevés, à l’instar des droits de 46 % supplémentaires qui frapperont les produits vendus par le Vietnam par exemple. Les territoires ultramarins de l’Union européenne sont même considérés comme des territoires tiers. Deux illustrations assez lourdes : la Réunion verra ses produits alourdis de 37 % de droits de douane, et l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon de 50 %.

Plus le déficit commercial des États-Unis avec un pays est élevé, plus le tarif douanier sera important

Le président des États-Unis affirme qu’il rétablit une forme de « réciprocité » dans ses échanges, en se mettant à la hauteur des droits fixés par ses partenaires commerciaux, qu’il s’agisse à la fois des droits de douane existants, mais aussi des mesures réglementaires et de soi-disant manipulations de devises ou de dispositifs protectionnistes. C’est ce que précisent les tableaux diffusés depuis hier. L’Union européenne est ainsi accusée d’imposer un tarif de 39 % sur les produits américains. En réalité, le calcul employé par l’administration américaine repose sur une logique assez simple. Washington regarde la valeur de ses exportations vers un pays, ainsi que les flux contraires, ce que l’Amérique importe. Plus un pays contribuera au déficit commercial des États-Unis, plus son tarif douanier est élevé.

Le Bureau du Représentant au Commerce des États-Unis a publié la formule à l’origine du mode de calcul. Celle-ci prend en compte à la fois le déficit commercial, l’impact des tarifs douaniers sur les prix, et la sensibilité des importations aux variations de prix. « L’hypothèse implicite, c’est que si vous augmentez les tarifs d’un certain montant, il va y avoir une répercussion sur les prix de vente aux États-Unis au bout d’un certain montant, et un ajustement de la quantité importée », résume Isabelle Méjean, professeur d’économie à Sciences Po, spécialiste du commerce international. Voici de quelle manière Donald Trump espère améliorer la balance commerciale de son pays.

Un calcul qui ne repose que sur l’hypothèse d’une baisse des importations, mais qui fait fi d’autres variables

La stratégie de l’exécutif américain, qui vise donc une baisse mécanique des importations américaines, quel que soit le territoire concerné, souffre de plusieurs fragilités. « Il va y avoir des représailles. Et même sans cela il va y avoir des effets sur les taux de change », énumère l’économiste. Sur ce dernier tableau, les effets sont immédiats après le choc provoqué par Washington. Ce jeudi après-midi, l’euro s’appréciait de plus de 2,5 % par rapport au dollar, et se hissait au plus haut depuis six mois par rapport au billet vert.

Outre le niveau des prix, les tarifs douaniers décrétés par Donald Trump vont avoir d’autres conséquences internes. « Si vous changez le flux bilatéral, cela affecte les salaires », cite également Isabelle Méjean. « Le calcul est basé sur l’hypothèse que seules les importations bougeront mais c’est une hypothèse qui est faite comme si l’on faisait cela marginalement sur un marché. Or, c’est fait sur tous les grands pays », complète-t-elle. « Quand on referme un déficit, cela a des conséquences sur les autres. Tout est imbriqué, ça ne fonctionne pas de réfléchir pays par pays. »

C’est également l’avis de l’économiste Iván Werning, professeur au MIT (Massachusetts Institute of Technology). « Utilisée isolément pour un seul petit partenaire commercial, la formule paraît logique. Mais appliquée à de nombreux partenaires non négligeables, elle l’est moins », a-t-il écrit cette nuit sur le réseau X.

Autre voix influente, le prix Nobel d’économie Paul Krugman a également reconnu qu’il n’avait pas la moindre idée à quoi faisaient référence les « 39 % » de barrières douanières fixées par l’Union européenne, selon l’administration Trump. « Cela surprend tout le monde. Cela n’a rien à voir avec un tarif. La réciprocité en question n’est basée sur aucune mesure de tarif effective, elle est purement basée sur l’idée qu’il y a des déficits bilatéraux, des déficits que Donald Trump considère comme étant une escroquerie pour les États-Unis », commente Isabelle Méjean.

Le calcul américain pourrait également soulever une autre question. Pour le tarif appliqué à l’Union européenne, les chiffres utilisés laissent à penser que la Maison Blanche a utilisé les chiffres 2024 du commerce publiés par l’US Census Bureau (l’équivalent de l’Insee aux Etats-Unis). « Avec ce calcul, vous n’auriez pas obtenu pas la même chose en 2022 ou en 2023, les déficits sont assez volatils », souligne Isabelle Méjean.

Une logique contraire aux « gains du commerce international »

Avec cette vague tarifaire, où chaque niveau est calibré en fonction de tous les déficits pays par pays, Donald Trump et son gouvernement caressent l’objectif d’un pays avec une balance commerciale nulle, avec chacun de ses partenaires. Un rêve presque illusoire. « Le déficit global, ce n’est pas simplement la somme de déficits bilatéraux. Les États-Unis ont un différentiel de taux d’épargne et d’investissements qui conduit à ce déficit global », rappelle l’économiste Isabelle Méjean.

« Les États-Unis sont bons dans les services, l’Europe dans les produits manufacturés. Le cœur des gains du commerce international, c’est précisément de générer ce genre de déficit pour que, grâce aux échanges, on puisse avoir accès à des prix pas cher des biens que l’on ne produit pas chez soi », détaille-t-elle. Le meilleur exemple est celui par exemple de petits territoires insulaires, qui exportent des produits introuvables sur le sol américain. Au chevet des filières les plus touchées par le choc douanier, Emmanuel Macron a d’ailleurs dénoncé cet après-midi à l’Élysée les « tarifs exorbitants » imposés au département de la Réunion.

Enfin, un dernier élément pourrait questionner à lui seul la volonté de Donald Trump d’obtenir une réciprocité dans les échanges bilatéraux. L’Australie est l’un des rares pays avec lequel les Etats-Unis ont un excédent commercial. Il était de près de 18 milliards de dollars l’an dernier. Et pourtant, Canberra sera frappée d’un tarif douanier de 10 %.

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