La grande offensive terrestre à Gaza souhaitée par Benyamin Netanyahou a été lancée. Ce mardi 16 septembre, les forces militaires israéliennes ont pénétré dans l’enclave palestinienne pour avancer « vers le centre » de Gaza-ville, a précisé un haut responsable de l’armée, cité par l’AFP. Des milliers d’habitants fuient désormais les combats vers le sud de la bande de Gaza, rendue exsangue par des mois de bombardements et d’une situation humanitaire déplorable.
Le gouvernement israélien, lui, maintient sa position : il s’agit selon lui d’éradiquer le Hamas, responsable des attaques terroristes du 7 octobre 2023 en Israël. L’armée « frappe d’une main de fer les infrastructures terroristes (…) pour créer les conditions nécessaires à la libération des otages et à la défaite du Hamas. Gaza brûle ! », a déclaré le ministre israélien de la Défense, Israel Katz. Si sa stratégie est contestée jusqu’au sein même des forces israéliennes, Benyamin Netanyahou peut compter sur le soutien plein et entier du président américain Donald Trump à cette intervention.
Cette étape peut-elle marquer un tournant dans la guerre au Proche-Orient, qui dure désormais depuis près de deux ans ? Éléments de réponse avec Laure Foucher, maîtresse de recherche sur le Moyen-Orient à la Fondation pour la recherche stratégique.
Quelles sont les justifications militaires et stratégiques avancées par Israël pour mener cette nouvelle opération d’ampleur dans la bande de Gaza ?
Il faut faire attention lorsqu’on parle d’Israël, car il y a plusieurs composantes : le Premier ministre, l’armée, les services de sécurité, etc. Aujourd’hui, cette offensive ordonnée par Benyamin Netanyahou se fait très clairement en désaccord avec l’ensemble des hauts responsables des milieux sécuritaires et de défense, comme le chef d’état-major des armées ou le chef du Shin Bet par exemple. Les objectifs qui sont avancés par le Premier ministre israélien sont les mêmes que ceux depuis le début de la guerre : faire plier le Hamas sur le plan militaire, avec le désarmement et l’exil de ses principaux leaders.
Or, dans des déclarations ou des fuites de presse, plusieurs hauts responsables israéliens ont estimé qu’une offensive militaire n’aiderait pas au retour des otages et que celle-ci ne ferait avancer aucun de ses objectifs. Le chef d’état-major des armées affirme que Netanyahou ne lui a pas donné d’objectifs clairs pour cette offensive actuelle. Selon lui, le seul résultat auquel cette offensive va aboutir, c’est une guerre très longue, avec une occupation militaire de la bande de Gaza.
Si l’armée s’oppose à cette intervention sur le plan militaire, qu’a donc à y gagner Benyamin Netanyahou ? Sa survie politique ?
Il faut nuancer. Oui, il y a évidemment des calculs de politique intérieure qui sont assez clairs. Mais je ne pense pas, contrairement à ce qui est souvent dit, que Netanyahou soit l’otage de sa coalition. Je pense qu’en continuant l’offensive à Gaza, il met en œuvre le projet qui le guide depuis quasiment le départ, à savoir construire une issue de la guerre qui rend impossible tout projet national palestinien.
Ça convient à son extrême-droite, mais c’est aussi sa propre idéologie, ce qu’on a tendance à oublier. Netanyahou poursuit ses propres objectifs politiques là-dessus. Ensuite, est-ce que ça se manifeste par une opération militaire ou pas, par la recolonisation… Sur ces points, il peut y avoir effectivement des nuances avec l’extrême-droite. Mais l’idée de liquider le projet national palestinien, c’est quelque chose qu’il partage avec elle.
Les familles des otages israéliens à Gaza se sont dit « terrifiées » par cette nouvelle opération. Cette question des otages pourrait-elle exacerber la contestation des décisions de Benyamin Netanyahou en Israël ?
La question des otages, ainsi que celle de l’indépendance de la justice, c’est ce qui motive les manifestations aujourd’hui en Israël. La majorité des gens ne vont pas dans la rue à cause de ce qu’il se passe à Gaza, des souffrances infligées aux Palestiniens. Mais ça fait très longtemps que ça dure, et ça n’a pas pesé sur la décision politique de Netanyahou. J’imagine que ce dernier estime que ces manifestations ne mettent pas en danger son pouvoir. Au contraire, pour le moment, c’est bien la preuve qu’il peut résister.
La question, pour moi, se pose surtout au sein de l’armée. Pendant combien de temps un Premier ministre, dans un pays comme Israël, peut-il forcer une partie de son armée à aller en guerre contre son gré ? L’opposition parmi les militaires existe : il y a des lettres qui circulent, des réservistes qui répondent moins à l’appel… Mais le chef d’état-major continue à appliquer les ordres. La confrontation n’est pas assez importante pour que ça fasse reculer Netanyahou pour le moment.
Le soutien américain aujourd’hui apporté par Donald Trump est-il la seule et unique condition indispensable à la poursuite du plan de Benyamin Netanyahou à Gaza ? Les pays arabes de la région commencent à s’organiser et ont demandé lundi à « revoir » leurs relations avec Israël…
En France, on a parfois du mal à comprendre que la question de la normalisation, de l’intégration régionale, en vogue ces dernières années, n’est plus du tout une priorité pour Israël. Le système que les autorités israéliennes sont en train de mettre en place dans la région aujourd’hui repose sur un tête-à-tête avec les Américains. Il exclut l’ensemble des autres partenaires, y compris la France, qui devient une cible quand il est estimé que c’est nécessaire. (…)
C’est à double tranchant : Benyamin Netanyahou s’appuie là-dessus, mais l’isolement d’Israël grandit, y compris au sein de la région. Il faut lire la déclaration de Doha (publiée lundi après un sommet exceptionnel conjoint de la Ligue arabe et de l’Organisation de la coopération islamique (OCI) au Qatar, ndlr). Elle est extrêmement claire à ce sujet : les Saoudiens, comme les autres, ne veulent ni vivre sous domination iranienne, ni sous domination israélienne. Israël n’a jamais été considéré comme un parapluie sécuritaire, même si les Israéliens peuvent le présenter de cette manière.
(…) Pour Israël, à défaut de la résolution politique, on est dans la domination militaire, donc nécessairement, il y a un besoin encore plus accru sur ce plan-là. À ce niveau, les États-Unis sont des partenaires clés. Mais aussi politiquement, au vu de cet isolement diplomatique croissant. Toutefois, le jour où les États-Unis se montreront moins avenants, si les pays du Golfe arrivent un peu à faire changer la position américaine, Israël se retrouvera au bout du compte dans une situation qui lui est tout à fait défavorable.
Dans le même temps, à Genève, une commission d’enquête internationale indépendante de l’ONU a accusé ce mardi Israël de commettre un « génocide » à Gaza, où la situation humanitaire demeure catastrophique. L’État hébreu a dénoncé un « rapport biaisé et mensonger ». Le gouvernement de Benyamin Netanyahou se préoccupe-t-il malgré tout de ce genre d’accusation ?
Il s’en préoccupe, car derrière la guerre à Gaza, il y a aussi celle de l’image d’Israël. C’est la guerre du narratif. Or, Israël est en train de se rendre compte qu’il est en train de perdre cette guerre. Pour eux, c’est absolument dramatique. Cette question fait écho à une des déclarations les plus importantes de Benyamin Netanyahou depuis le 7 octobre. Lundi, à Jérusalem, il a en effet comparé Israël à Sparte. Il explique alors que son pays doit « de plus en plus s’adapter » à « une économie qui présente des caractéristiques autarciques » ; voire sur le plan militaire, à cause de son isolement croissant.
Et ça, selon ce narratif, ce serait la faute des Européens. Ils seraient manipulés par leurs populations musulmanes, qui auraient quasiment pris le pouvoir quand on écoute. Mais ce n’est pas quelque chose de nouveau : ce sont des propos que j’ai entendues dans mes entretiens en permanence. Il y a une vision de l’Europe qui est dégradée, en perte de valeur, dominée… C’est ancré dans la population israélienne. Lorsque Netanyahou fait ses discours, il parle à l’opinion publique israélienne – et ça fonctionne.
L’autre élément, c’est le discours qui consiste à dire : « On est tout seuls contre tous ». Benyamin Netanyahou explique qu’il va falloir qu’Israël investisse davantage dans son image. Il accuse le Qatar, avec la chaîne Al Jazeera, de contribuer à l’isolement international d’Israël. Selon Netanyahou, ce n’est pas la guerre à Gaza, ni le projet d’hégémonie israélien qui isole son pays, mais à la fois les Européens – en perte de valeur et antisémites – et la chaîne qatarie. Pour lui, il faudrait combattre sur ces deux fronts. (…)
Plusieurs États, dont la France, s’apprêtent à reconnaître un État palestinien lundi prochain. Cet événement diplomatique a-t-elle poussé Israël à agir plus vite à Gaza ?
Non, pas du tout, je pense que ce n’est absolument pas lié. C’est un narratif israélien qui vise à dire que c’est le monde extérieur qui est responsable de leur fuite en avant. (…) Je pense que ça n’a aucune incidence sur le projet du Premier ministre, qui est établi depuis toujours. La question, c’est : est-ce que ça peut avoir de l’incidence sur la perception de l’opinion publique israélienne ? Est-ce que celle-ci peut observer son isolement croissant ? Pour discuter et aller très souvent en Israël, ce n’est pas du tout sûr d’être le cas. (…)