Greece France Defense
The Charles de Gaulle aircraft carrier is seen off the shore of the Faliro suburb, in Athens, Greece, Thursday, March 24, 2022. Greece signed agreements with France and two French contractors worth some 4 billion euros ($4.4 billion) to purchase three navy frigates and six additional Rafale fighter jets, as Athens continues to strengthen its armed forces in response to tension with neighbor Turkey. (Costas Baltas/Pool via AP)/XTS113/22083703237193/POOL PHOTO REUTERS/2203242041

Plan de réarmement de l’Europe : « Il y a une volonté, mais nous ne sommes pas encore passés à l’action », estime le général Gomart, eurodéputé LR

Face à un allié américain imprévisible, l’Union européenne a annoncé au printemps dernier un plan de réarmement de sa défense de 800 milliards d’euros. Quelques mois plus tard, plusieurs questions subsistent sur la réalisation de ce plan et l’utilisation de ces financements.
Alexandre Poussart

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Même si la guerre en Ukraine dure depuis déjà trois ans, 2025 aura été l’année du sursaut de l’Union européenne pour accélérer le renforcement de sa défense. La stratégie imprévisible de Donald Trump dans la guerre en Ukraine – il a suspendu le soutien américain à l’Ukraine en février dernier pour négocier en vain un cessez-le-feu avec la Russie, puis fourni de nouvelles armes à Kiev en juillet menaçant Moscou de sanctions plus fortes – a provoqué ce réveil européen.

800 milliards d’euros pour augmenter les dépenses militaires d’ici à 2030

Au début du mois de mars, la Commission européenne a annoncé le Plan “Rearm Europe” (Réarmer l’Europe) qui doit permettre d’augmenter de 800 milliards d’euros d’ici à 2030 les dépenses de défense des 27. Dans ce plan, 650 milliards d’euros seront financés par les Etats-membres, qui pourront déroger aux règles européennes limitant les déficits en augmentant chaque année d’1,5% leurs dépenses militaires. Les 150 milliards d’euros restants seront financés par des prêts communs que les Etats-membres pourront souscrire afin de financer des projets de défense : c’est ce qu’on appelle le programme SAFE (Security Action for Europe). Ces prêts seront également accessibles à des pays candidats à l’adhésion à l’Union européenne et à des partenaires comme le Royaume-Uni.

“Un vrai virage, une prise de conscience”

“Après des décennies de déclin des budgets de la défense en Europe, ce plan de réarmement est un vrai virage”, salue Daniel Freund, eurodéputé allemand écologiste. “Il y a eu une prise de conscience. Au Parlement européen, beaucoup de mes collègues de gauche, se disant pacifistes, se réjouissent de voir l’Allemagne investir des centaines de milliards d’euros dans sa défense. Il y a 5 ans, les réactions auraient été très différentes, ils auraient pris peur !”

“Ce plan d’investissements est une bonne première étape”, salue Wouter Beke, eurodéputé belge, membre du groupe du Parti populaire européen (centre-droit). “Mais il repose beaucoup sur les dépenses de défense nationales des 27 Etats-membres. Il faut augmenter encore le budget européen de la défense et construire une véritable communauté européenne de défense.”

Lors du sommet de l’OTAN, les pays européens, hormis l’Espagne, se sont dit prêts à augmenter leurs dépenses militaires jusqu’à au moins 5% de leur PIB, demande de longue date du président américain Donald Trump.

“Ces déclarations du sommet de l’OTAN sont pour l’instant des vœux pieux”, tempère Christophe Gomart, eurodéputé (Les Républicains), membre du groupe PPE, et ancien directeur du renseignement militaire français. “Sur les 27 Etats-membres de l’UE, seulement 10 se sont engagés à dépenser dans leur défense au moins 3% de leur PIB d’ici à 2030. Il y a une volonté mais nous ne sommes toujours pas passés à l’action. J’ai visité un industriel de défense franco-belge, le groupe Arquus, qui fabrique des véhicules de combat terrestres. Il me dit qu’il n’a reçu aucune commande supplémentaire pour le moment…”

Une hausse des dépenses militaires suffisante ?

Toutes ces centaines de milliards d’euros suffiront-elles à rattraper le retard européen en matière de défense et à nous protéger de la menace russe ? Peut-être pas répond le rapport de deux think tanks européens, les instituts de Kiel et Bruegel.

Selon ce document, les dépenses nécessaires pour s’équiper de chars de combat, de pièces d’artillerie, et de véhicules de combat d’infanterie pourraient atteindre 200 milliards d’euros. Le coût du renforcement de notre défense anti-aérienne pourrait lui atteindre les 300 milliards d’euros, sans oublier les investissements dans le domaine maritime et aérien. Au total, les experts estiment qu’il faudrait multiplier par cinq les équipements militaires au sein de l’Union européenne pour prendre l’avantage sur la Russie dont le budget défense va d’ici à 2030 plus que doubler pour atteindre 400 milliards d’euros (en termes de parité de pouvoir d’achat). Celui de la France, l’Allemagne et la Pologne réunis, atteindrait 250 milliards d’euros, celui de l’Ukraine 200 milliards d’euros. Le premier budget militaire resterait celui des Etats-Unis en 2030, avoisinant les 1000 milliards d’euros. “Dans cette course à l’armement, il ne faut pas perdre de vue que les armées russes et ukrainienne se renforcent à toute vitesse car elles mettent en œuvre leurs innovations technologiques sur le front”, explique Jean-Yves Leconte, ancien sénateur socialiste des Français établis hors de défense, vivant en Pologne, et dirigeant d’une société menant des projets de coopération avec l’Ukraine.

Alors que l’allié historique américain est désormais imprévisible, sous l’administration Trump, la nécessité d’une plus grande autonomie européenne en matière de défense, devient de plus en plus évidente.

“J’ai participé à la dernière assemblée parlementaire de l’OTAN, cet été dans l’Ohio, et j’ai noté parmi nos partenaires européens la volonté d’une plus grande autonomie stratégique de l’Europe, c’est-à-dire la position historique de la France”, explique Ronan le Gleut, sénateur LR des Français établis hors de France, spécialiste des questions de défense. “Auparavant, les partenaires européens ne juraient que par l’OTAN et le parapluie américain, aujourd’hui, ils sont toujours attachés à l’OTAN, on l’a vu lors du sommet de La Haye, mais ils parlent d’une sécurité collective européenne. Au fond, cette réélection de Donald Trump n’est pas un bouleversement de l’Histoire pour les Européens mais une accélération de l’Histoire, depuis 2008 et la décision de Barack Obama de tourner les Etats-Unis vers le Pacifique à cause du rival chinois, et moins vers l’Europe.”

“Cet argent européen doit servir à financer l’industrie de défense européenne”

L’émancipation européenne doit d’abord se jouer sur le plan de l’équipement. “Depuis 2022, 78% des armes fournies par les Européens à l’Ukraine ont été fabriquées hors de l’Union européenne. Nous avons fait marcher l’industrie de défense américaine”, conclut Christophe Gomart.

“L’enjeu principal c’est que cet argent européen serve à l’industrie de défense de l’Union européenne. Or il y a encore des désaccords entre les Etats-membres sur le pourcentage de fabrication européenne dans le matériel acheté et sur la conception européenne. Par exemple, l’Allemagne produit sur son sol des systèmes de défense antiaérienne Patriot, mais ce sont des produits sous licence américaine…” Les 150 milliards d’euros de prêts du programme SAFE, ne seront accessibles aux Etats-membres, à condition qu’ils financent l’achat d’équipements militaires, dont 65% des composantes seront fabriqués au sein de l’Union européenne.

Quelques mois après l’annonce de ce plan de réarmement européen, la dépendance vis-à-vis des équipements américains reste réelle. “En Allemagne, nous possédons beaucoup d’avions de combat F35 produits par les Etats-Unis et nous avons pris conscience de cette dépendance. Mais actuellement, nous sommes obligés de commander nos armes outre-Atlantique car il n’y a pas d’alternative”, explique Daniel Freund. “Nos investissements dans notre base européenne industrielle de défense vont prendre plusieurs années et il est vrai qu’aujourd’hui, nous avons de réelles lacunes capacitaires sur le renseignement et le transport de troupes notamment”, renchérit Ronan le Gleut.

Certains Etats-membres de l’UE sont très dépendants de l’industrie de défense américaine. C’est le cas de la Pologne qui a basé depuis des années sa sécurité sur la puissance militaire américaine. “En Pologne, le gouvernement de Donald Tusk considère aujourd’hui qu’il y a un problème de dépendance vis-à-vis de Washington, mais ne peut pas le dire car sans les Etats-Unis, la sécurité de la Pologne serait remise en cause”, explique Jean-Yves Leconte.

Les industriels européens ont besoin de commandes à long-terme

“Mes collègues eurodéputés me disent que leurs pays seront livrés plus vite en armes avec les Etats-Unis”, confie Christophe Gomart. “Mais ce n’est pas tout à fait vrai. Quand les Etats-Unis reçoivent une commande d’un pays étranger, ils peuvent puiser dans leur stock deux ou trois appareils à livrer tout de suite au client, mais le reste de la commande va mettre 5 à 10 ans à être fabriqué. Les Européens ont des capacités industrielles qui peuvent répondre à ce plan de réarmement, ils ont juste besoin de commandes sur le long-terme pour pouvoir investir dans leurs chaînes de production, et pour l’instant ce n’est pas le cas.”

Jean-Yves Leconte doute de la capacité de la France à mener ce réarmement de l’Europe. “Quand on entend le ministre des Armées français Sébastien Lecornu annoncer cet été que pour la première fois depuis 15 ans la France va commander des missiles Scalp, alors que cela fait 3 ans qu’il y a la guerre sur le sol européen, on peut s’interroger… L’alternative de la France n’est pas crédible quand on voit aujourd’hui sa situation financière et politique”. Son ancien collègue sénateur, Ronan le Gleut, n’est pas du même avis : “Certes, proportionnellement, la France ne pourra pas se substituer à l’allié américain. Mais tous nos partenaires européens ont conscience que la France reste la première armée d’Europe, avec la plus grande base industrielle et technologique de défense et que depuis le Brexit, la France est la seule puissance européenne dotée de l’arme nucléaire.”

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