Dans une vidéo publiée sur X, le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou a annoncé le 5 mai que le cabinet de sécurité israélien s’était accordé sur un plan de prise de contrôle de la bande de Gaza. Des dizaines de milliers de réservistes ont reçu des ordres de mobilisation en préparation de l’opération qui doit commencer à l’issue de la visite de Donald Trump au Moyen-Orient, le 16 mai. Un plan attendu de longue date par l’extrême droite israélienne et notamment le ministre des finances, Bezalel Smotrich qui affirme que « Gaza sera totalement détruite ». Un plan largement critiqué par la communauté internationale qui s’inquiète du non-respect du droit international. Explication et analyse du plan du gouvernement israélien avec Jean-Paul Chagnollaud, professeur émérite des universités et directeur de l’institut de recherche et d’études Méditerranée/ Moyen-Orient. Entretien.
Pourquoi le cabinet de sécurité israélien a-t-il décidé maintenant de lancer son plan de conquête de la bande de Gaza ?
Je crois que ce projet de conquête de Gaza par Israël est très ancien, il a une double dimension. Des gens comme Benyamin Netanyahou et son entourage y pensent depuis des années. Ils l’ont énoncé depuis octobre 2023 et l’attaque du Hamas, mais depuis janvier 2025 et le retour de Donald Trump au pouvoir nous sommes entrés dans une nouvelle phase. En effet, c’est exactement ce qu’a envisagé le président américain puisque sa proposition consiste à expulser les Gazaouis vers l’Egypte ou la Jordanie. Donc après l’échec de la trêve et compte tenu du soutien américain, il y a une forme de momentum pour Benyamin Netanyahou. Actuellement il s’estime en position de force.
Pourquoi la trêve n’a-t-elle pas fonctionné ?
La phase de février-mars a été une phase de négociation puis la deuxième phase devait permettre une libération d’otages et de prisonniers palestiniens avant le retrait définitif de l’armée israélienne de la bande de Gaza. Finalement, la deuxième phase n’a jamais eu lieu parce que Benyamin Netanyahou ne voulait pas que l’armée se retire. Il a toujours réfuté l’idée d’un jour d’après, et l’idée de trouver une gouvernance palestinienne pour administrer Gaza. La chose est claire : s’il avait voulu faire durer la trêve, il aurait accepté la libération des otages. Par ailleurs, Israël a interrompu l’acheminement de l’aide humanitaire dès le début du mois de mars, donc on voit qu’il y avait une volonté de briser le cessez-le-feu.
Alors que la situation humanitaire est la plus grave depuis le déclenchement du conflit, la communauté internationale, et en particulier les Etats-Unis, peuvent-ils encore exercer une pression sur Benyamin Netanyahou ?
On a l’impression que Benyamin Netanyahou et son équipe ont un sentiment d’impunité. En particulier depuis l’arrivée de Trump, puisque Biden avait clairement dit qu’il s’opposerait à une occupation totale de Gaza. L’Union européenne, les Nations unies, la France à travers la voix de Jean-Noël Barrot ce matin protestent et rappellent qu’un tel plan méprise dangereusement le droit international. En ce qui concerne les Etats-Unis, pour l’instant le premier ministre Israélien reprend le plan de Donald Trump donc il ne peut pas s’y opposer. Néanmoins, ce n’est pas un hasard si le plan de conquête de Gaza doit commencer à l’issue de la visite du président américain au Moyen-Orient. La tournée de Donald Trump à partir du 13 mai en Arabie saoudite peut éventuellement faire évoluer la position américaine, mais à ce stade il n’y a aucune déclaration de Washington pour s’opposer à ce plan.
Est-ce que les oppositions internes peuvent freiner les ambitions du cabinet israélien ?
Ce qui est sûr c’est qu’il y a des oppositions au sein de l’armée, de la part de réservistes et également de hauts placés. Le Forum des familles d’otages manifeste régulièrement contre le premier ministre qui a bien compris que les otages n’ont jamais été une priorité pour Benyamin Netanyahou. Mais ces oppositions ne sont pas en capacité d’infléchir ses décisions.
Concrètement quelles seraient les conséquences d’une prise de contrôle de Gaza par Israël ?
Concrètement, il faut bien comprendre qu’au sens du droit international, le déplacement forcé d’une population, c’est de la déportation et si on concentre des populations de force sur un territoire ça s’appelle des camps de concentration. Ensuite, on constate à Rafah comme dans la ville de Gaza que le mobilier urbain est en grande partie détruit. Enfin, en cas de déportation, il y a un risque majeur de déstabilisation de la région. Pour les Egyptiens, le risque d’avoir des milliers de réfugiés est un risque de déstabilisation absolu pour le pays. On n’imagine pas un affrontement militaire entre Israël et l’Egypte, mais il ne faut pas exclure des tensions extrêmement fortes.