Politique étrangère de la France en Afrique : Il faut « avancer ensemble, en partenaires » malgré « un risque de fracture croissant »

Dans le cadre d’une déclaration du gouvernement au Sénat, Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, et Sébastien Lecornu, ministre des Armées, ont livré la vision gouvernementale de la politique étrangère de la France en Afrique. Un sujet brûlant depuis la fin de l’opération Barkhane au Sahel en novembre 2022.
Henri Clavier

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L’échec politique de l’opération Barkhane au Sahel pousse la France à revoir en profondeur sa politique étrangère en Afrique. Initiée en 2014 à la demande du Mali, l’opération Barkhane, menée par la France, devait endiguer la menace terroriste en Afrique subsaharienne. Plusieurs coups d’État ont également eu lieu au Mali et au Burkina Faso notamment menant à une remise en cause croissante de la présence française dans la région. Un recul stratégique également matérialisé par le rapprochement entre Wagner et plusieurs Etats africains. 

Catherine Colonna a voulu se montrer consciente de ces difficultés tout en martelant la nécessité d’approfondir les relations avec les Etats du continent africain. « La politique étrangère de la France en Afrique c’est mettre fin à une logique et une mentalité de l’évidence ». Alors que le continent africain connaît un rapide développement économique et démographique, la diplomatie française doit renouveler son attractivité aux yeux des Etats africains pour « conjurer un risque de fracture croissant ».

Rétablir l’attractivité française

 « Les discours anti français dont nous devons comprendre l’origine sont pour partie liés à l’héritage de l’histoire, pour partie à la frustration de la jeunesse et également à des entreprises hostiles venant notamment de la Russie », affirme Catherine Colonna. Consciente des difficultés rencontrées par l’influence française en Afrique, la ministre des Affaires étrangères a voulu axer la vision d’une coopération entre la France et l’Afrique sur l’angle des opportunités mutuelles. « Une grande clef de notre politique étrangère en Afrique est notre volonté de bâtir une relation nouvelle équilibrée réciproque et responsable. Il n’y a pas une Afrique, il y a 54 pays ». L’enjeu consiste alors à ne pas « se laisser prendre au piège d’une fausse panique décliniste ou s’enfermer dans des complexes qui n’ont pas lieu d’être » afin de favoriser les partenariats à un « moment ou notre coopération n’a jamais été aussi souhaitable ».

La recherche d’une coopération « gagnant-gagnant » qui passe également par un travail mémoriel affirme Catherine Colonna rappelant qu’ « au Rwanda cela a permis de regarder notre histoire en face et de mieux construire une relation de confiance ».  La ministre appelle également à une montée en puissance de la diplomatie africaine et s’est dite « favorable à une participation pleine et entière de l’Union africaine au G20 ». Une démarche globale visant le renforcement de l’attractivité française. Les déclinaisons de cette stratégie sont multiples, Catherine Colonna se réjouissant également que « nos universités accueillent un nombre toujours croissant d’étudiants africains ».

Maintenir et renouveler la présence militaire

Également présent, Sébastien Lecornu, ministre des Armées, est revenu sur la fin de l’opération Barkhane et les répercussions sur l’influence française au Sahel. « Ces dernières missions sont des succès militaires même s’il y a pu avoir des limites politiques », euphémise Sébastien Lecornu. Si l’intervention au Mali a pu permettre de faire reculer une menace terroriste organisée, l’existence de dangers n’a pu être neutralisée. « La menace terroriste est plus fragmentée, mais pas moins dangereuse : elle est devenue balkanisée et diffuse, plus endogène à la zone », explique Sébastien Lecornu en voulant alerter sur les évolutions constantes des problématiques sécuritaires en Afrique subsaharienne.

En cherchant à éviter les approximations et les raccourcis, Sébastien Lecornu a voulu défendre une approche pragmatique des relations franco-africaines, le ministre des Armées affirme, par exemple, que « Paris ignore souvent que le continent africain est tiraillé entre les modèles libéral et totalitaire ». Un constat qui ne répond pas vraiment aux critiques sur les ingérences où les aides de la France a des régimes peu démocratiques comme au Tchad où la France a apporté son soutien à la junte militaire dirigée par Mahamat Idriss Déby.

Malgré le recul de l’engagement militaire français en Afrique, Sébastien Lecornu affirme vouloir une « mise à jour de la présence militaire française » afin de renouveler l’attractivité française.

Il y a un « hiatus important entre nos ambitions et le sort que nous réservons à notre diplomatie »

Si le discours gouvernemental s’est employé à éviter les discours néo coloniaux ou l’acceptation d’une perte totale d’influence, le « en même temps » peine à convaincre certains sénateurs. Si plusieurs signes de satisfaction sont partagés par les groupes de droite et de gauche comme l’augmentation du montant de l’aide publique au développement, l’analyse gouvernementale a été contestée. « Depuis 2007, la Chine a remplacé la France comme premier exportateur vers le continent africain […], le rayonnement de la culture française s’estompe également », regrette Christian Cambon, président LR de la commission des affaires étrangères. Surtout, ce dernier pointe le décalage entre le discours et la réalité déplorant l’existence d’un « hiatus important entre nos ambitions et le sort que nous réservons à notre diplomatie ». Une perte d’influence attribuée à la baisse des moyens des ambassades notamment dans les services de coopération et d’action culturelle ou dans les missions de veille informationnelle et de communication.

Les représentants des groupes de gauche ont pointé les ambiguïtés durables de la politique étrangère de la France en Afrique de laquelle découle le terme de « Françafrique ». L’expression désigne une politique de la France en Afrique uniquement tournée vers ses propres intérêts nationaux. « Alors que les pays africains cherchent le financement de leur développement nous continuons de faire l’éloge de la pseudo-réforme du franc CFA qui maintient la domination », dénonce Pierre Laurent, sénateur communiste et vice-président de la commission des affaires étrangères. Le président du groupe écologiste, Guillaume Gontard a également appelé à saisir « l’occasion d’adopter une tout autre attitude » à l’égard des Etats africains notamment en rompant avec la domination de l’exécutif sur la « politique africaine de la France ». Une opportunité également de rappeler la « nécessité de renforcer le devoir de vigilance », en faisant référence au projet pétrolier mené par Total en Ouganda. Sur la base du devoir de vigilance, prévu par une loi de mars 2017, des ONG ont récemment tenté de faire condamner Total. La requête n’a cependant pas été jugée recevable par le tribunal judiciaire de Paris.

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