Comment expliquez-vous ces tensions entre l’Ukraine et ses voisins sur l’exportation de céréales ?
Avant le conflit entre l’Ukraine et la Russie, il y avait déjà des tensions sur le sujet. Forcément, la fin de l’accord sur l’exportation des céréales ukrainiennes par la mer Noire a relancé le différend. La Russie bloque les exportations, donc l’Ukraine souhaite exporter ses céréales par la voie terrestre. Pour les pays limitrophes, comme la Hongrie ou la Pologne, les conséquences économiques pour les agriculteurs sont importantes. Concrètement le risque est d’inonder le marché agricole et de faire chuter les revenus des producteurs, ce qui n’est pas acceptable pour le gouvernement polonais.
Les tensions peuvent-elles également s’expliquer par des problématiques de politique interne, notamment pour la Pologne ?
Oui, il y a effectivement un enjeu majeur de politique interne. Les Polonais sont appelés aux urnes le 15 octobre pour renouveler le Parlement. C’est un scrutin essentiel pour le parti de droite conservatrice au pouvoir, le PiS (Droit et Justice), qui n’est pas sûr d’obtenir une majorité à la Diète (la chambre basse du Parlement polonais). Ce parti néo-nationaliste s’appuie assez largement sur un vote rural et cherche à flatter un électorat qui pourrait lui faire défaut dans la quête du pouvoir.
Quelle est la menace pour le PiS ?
La principale menace pour le PiS est la montée de la coalition d’extrême droite Confédération, qui essaye de s’arroger le vote des agriculteurs et des milieux ruraux. Surtout, le mode de scrutin polonais, proportionnel, fonctionne selon la méthode d’Hondt qui offre une prime aux coalitions. Par conséquent, si le PiS n’arrive pas à s’assurer une majorité absolue à la Diète, il pourrait être contraint de s’allier avec Confédération.
Les problématiques liées à la politique interne sont-elles également présentes pour des pays comme la Hongrie ou la Slovaquie ?
Oui, la Hongrie de Viktor Orban y voit un moyen de soutenir le régime russe dont il reste proche. Concernant la Slovaquie, on retrouve la problématique agricole mais les négociations sont plus avancées avec un système de licences qui doit être mis en place.
Cette position peut-elle générer une cassure durable dans le soutien apporté à l’Ukraine, alors même que la Pologne fournit un soutien militaire important à l’Ukraine ?
A priori, ce sont des pays qui restent très proches. Le dialogue n’est pas rompu et continue d’être vif. Dans l’absolu, le gouvernement polonais n’a pas intérêt à faire le jeu de la Russie et reste un soutien important de l’Ukraine. Le registre est plutôt aux grandes déclarations politiques. Dans le fond, les deux pays ont intérêt à trouver un accord.
Comment cette séquence peut-elle se conclure ? La Pologne peut-elle accepter les demandes ukrainiennes et, à l’inverse, son voisin peut-il se passer d’un important soutien militaire ?
Tout d’abord, il faut bien comprendre que les dirigeants polonais ont très peu apprécié les déclarations du président Volodymyr Zelensky à la tribune de l’Assemblée générale des Nations Unies. Les déclarations ont été sévères en accusant la Pologne de feindre la solidarité et de faire le jeu de l’envahisseur russe. Des propos inadmissibles pour Varsovie qui accueille plusieurs millions de réfugiés et qui a fourni un soutien militaire équivalent à 20 % de son budget pour la défense.
LIRE AUSSI : « Le véritable bilan de la contre-offensive se fera cet hiver »
Par conséquent, doit-on redouter la fin du soutien militaire comme annoncé par le premier ministre de la Pologne Mateusz Morawiecki ?
Cela semble peu probable. Même si le premier ministre a annoncé suspendre le soutien militaire à l’Ukraine, la Pologne continue d’assurer les livraisons d’armes prévues antérieurement. On est donc dans une surenchère, l’arrêt des livraisons d’armes est un moyen de pression pour un pays qui veut rappeler l’ampleur de son soutien à l’Ukraine. Au fond, la Pologne a un besoin important de reconnaissance.