Candidate tardive à l’élection présidentielle de novembre, investie par le parti Démocrate américain le 22 août dernier, Kamala Harris n’avait encore jamais débattu avec Donald Trump. Ce 10 septembre, elle jouait donc gros. Face au candidat Républicain souvent loué pour ses qualités de showman, la vice-présidente avait un déficit de popularité à combler. Selon un récent sondage, près de 30 % des Américains affirment en effet ne pas suffisamment la connaître.
Premier défi : se présenter aux électeurs
Le pari semble réussi pour Kamala Harris qui a donné le ton dès son arrivée sur le plateau d’ABC, en forçant son adversaire à lui serrer la main. Le geste peut paraître anodin, mais il avait disparu des campagnes américaines depuis 2016, dans un contexte d’extrême conflictualisation de la vie politique.
« C’est un geste symboliquement très brillant », observe Maxime Chervaux, professeur à l’Institut français de géopolitique et spécialiste de la politique américaine : « Le simple fait de tendre la main a placé Kamala Harris dans une position d’ouverture, de force, et renvoyé Donald Trump dans une position de fermeture. »
Une attitude de domination qu’elle a conservée tout au long du débat, se tournant vers son adversaire à chacune de ses prises de parole, affichant régulièrement un petit sourire moqueur. « Durant tout le débat, Kamala Harris s’est imposée physiquement, pour montrer qu’elle ne se laissait pas déstabiliser. En face, Donald Trump ne lui a pas adressé le moindre regard, alors que c’est un président qui a toujours misé sur des valeurs virilistes », analyse Alexis Pichard, enseignant en civilisation américaine à l’Université Paris-Nanterre.
Second défi : convaincre les indécis
Dans une Amérique polarisée, l’enjeu de ce débat était aussi de toucher la frange de l’électorat dont le cœur balance toujours entre parti Démocrate et Républicain. « Aux Etats-Unis, on considère qu’environ 20 % du corps électoral est indécis. Pour remporter ces élections, c’est cette population, aux idées politiques plutôt modérées, que Kamala Harris doit convaincre », explique Alexis Pichard. Là encore, le défi semble relevé pour la candidate, qui n’a pas eu à produire beaucoup d’efforts pour pousser son adversaire à tenir des propos outranciers. L’extrait qui restera le plus en mémoire est sans doute celui où Donald Trump, relayant une fake news répandue sur les réseaux sociaux, a soutenu que les immigrés mangeaient les animaux de compagnie des habitants de Springfield, dans l’Ohio.
Si les excès de l’ancien président américain ne sont pas passés inaperçus, c’est aussi parce que les modérateurs du débat ont choisi de les corriger. Un travail de fact-checking qui n’avait pas été opéré par CNN, fin juin, à l’occasion du débat entre Donald Trump et Joe Biden, qui avait précipité la chute de ce dernier. « Donald Trump est un très bon orateur, avec un certain pouvoir de conviction puisqu’il dit ce qu’il pense. Sans contradicteur, il ressort souvent des débats la tête haute. Mais avec des modérateurs et du répondant en face, les circonstances n’étaient cette fois-ci pas à son avantage », estime Maxime Chervaux. Peu après la fin du débat, Donald Trump a d’ailleurs accusé ABC d’avoir « truqué » le débat. « J’estime que c’est mon meilleur débat depuis toujours, d’autant que c’était à trois contre un ! », s’est-il exclamé sur son réseau social, Truth, insinuant donc que la modération prenait clairement parti pour Kamala Harris.
Si elle s’est avérée payante, la stratégie de Kamala Harris a tout de même fait une victime : les sujets de fond semblent avoir été un peu évacués du débat. « L’image et les insultes priment davantage que les enjeux programmatiques dans cette campagne, mais ce n’est pas pour déplaire à Donald Trump qui a un programme très incantatoire, sans la moindre mesure », observe Alexis Pichard. Pouvoir d’achat, immigration, droit à l’avortement… les thématiques centrales sont pourtant nombreuses dans cette campagne. Seront-elles abordées avec plus de profondeur à l’occasion d’un prochain débat ? Rien n’est moins sûr. Si l’équipe de Kamala Harris s’est empressée de demander une deuxième confrontation, le camp Républicain reste pour le moment silencieux.