L’opposante vénézuélienne Maria Corina Machado affirme avoir obtenu le soutien de l’administration américaine pour sortir du Venezuela et rejoindre Oslo. Lors de sa conférence de presse organisée ce jeudi, elle a déclaré : « Un jour, je pourrai vous raconter, car je ne veux certainement pas les mettre en danger maintenant. » Faut-il comprendre qu’elle-même est réellement en danger aujourd’hui ?
D’après le Wall Street Journal, son exfiltration s’est faite par voie maritime, en bateau, avant qu’elle ne prenne un vol pour Oslo. Elle a sans doute bénéficié de complicités au sein de l’armée pour mener cette opération à bien — cela a déjà été le cas pour d’autres opposants. Le gouvernement Maduro laisse parfois partir certains d’entre eux, jugeant qu’il est plus commode d’avoir les voix dissidentes à l’extérieur du pays qu’à l’intérieur. Avec cette déclaration, dans laquelle elle promet également qu’elle fera tout son possible pour rentrer dans son pays, elle cherche surtout à ne pas compromettre son éventuel retour, en particulier si elle a effectivement bénéficié d’aides internes.
Sa présence à Oslo constitue sa première apparition publique depuis 11 mois. Que sait-on exactement de ce qui lui est arrivé pendant cette période ?
Il ne s’agissait pas d’un silence total : elle n’apparaissait plus en public, mais elle a multiplié les interventions en visioconférence, notamment lors d’un forum d’entrepreneurs américains où elle promettait de transformer le Venezuela en « hub énergétique » et d’ouvrir des opportunités d’investissement, notamment dans le pétrole mais aussi dans d’autres secteurs. Elle s’est montrée plutôt prudente.
Maria Corina Machado est un prix Nobel de la paix que certains jugent très politique. Quel est son rôle historique dans l’opposition à Nicolás Maduro ?
Maria Corina Machado est une opposante de longue date, d’abord au gouvernement d’Hugo Chávez, puis à celui de Nicolás Maduro. Elle incarne l’aile la plus radicale de l’opposition, tant sur le plan idéologique que sur celui des méthodes : elle ne rejette pas l’idée d’appeler à une intervention militaire étrangère. En 2019, elle plaidait ouvertement pour une intervention visant à chasser Maduro du pouvoir.
Ces dernières années le Venezuela a aussi évolué. Une comparaison est éclairante : aux primaires de l’opposition en 2012, Maria Corina Machado n’avait obtenu que 3 % des voix, tandis qu’Enrique Capriles l’emportait avec un programme de réconciliation et de maintien des programmes sociaux instaurés sous Chávez. En 2023, la situation est inversée : Machado remporte les primaires avec 92 % des suffrages, tandis que Capriles retire sa candidature, car promis à une lourde défaite. Dans un Venezuela marqué par la répression militaire et l’absence de concessions du pouvoir, le discours modéré est devenu inaudible.
Quelle est son orientation idéologique ?
Son projet politique est très libéral : elle proposait, par exemple, de privatiser PDVSA, l’entreprise pétrolière publique — un véritable tabou dans la vie politique vénézuélienne. Elle participe régulièrement à des forums de droite radicale, qu’il s’agisse de Vox en Espagne ou de l’aile trumpiste du Parti républicain américain. Lors de la cérémonie du prix Nobel, on a par ailleurs aperçu Javier Milei dans l’assistance.
Elle s’inscrit clairement dans une droite radicale : plus conservatrice, plus libérale économiquement, et plus favorable à une intervention américaine. Mais il faut noter qu’en Amérique du Sud, le terme « extrême droite » ne recouvre pas exactement les mêmes réalités qu’en Europe, notamment sur l’immigration ou la place de l’islam dans la société.
Elle est accusée par le pouvoir vénézuélien d’être le « pantin de Donald Trump », d’autant qu’elle lui a dédié son prix Nobel. Que valent réellement ces accusations ?
Elle mise effectivement sur un appel direct à l’intervention américaine pour faire tomber Nicolas Maduro. La dynamique est double : le pouvoir l’accuse d’être le pantin de Trump, et ses conseillers cherchent activement à convaincre Trump que Maduro dirige un « narco-État », qu’il aurait libéré des prisonniers pour envoyer des migrants criminels aux États-Unis, etc. Trump se sert d’elle dans son combat contre Maduro, et Machado se sert de Trump pour tenter de renverser le régime. Leurs intérêts convergent.
Lors de la cérémonie du prix Nobel de la paix, sa fille a lu son discours, devant une assistance composée notamment de Javier Milei et d’autres responsables politiques de droite. Qui sont aujourd’hui les principaux soutiens internationaux de Machado ?
Ses soutiens actuels viennent majoritairement de l’arc conservateur international. Lors de la présidentielle de 2024, certains représentants du Parti démocrate américain lui avaient apporté leur soutien, mais c’est beaucoup moins le cas aujourd’hui. Son alignement explicite sur Trump la rend moins fréquentable auprès de dirigeants de droite plus modérés, même en dehors des États-Unis.
Elle accuse Maduro de « crimes contre l’humanité » et de mener un « terrorisme d’État » pour étouffer la volonté populaire. Que disent réellement les rapports des Nations unies et des ONG indépendantes ?
La question de l’autoritarisme au Venezuela est centrale. Les cas de torture, d’arrestations arbitraires, de prisonniers politiques, ainsi que la fraude électorale lors de l’élection de juillet 2024, sont abondamment documentés. L’opposition a mis en ligne les procès-verbaux de près de 80 % des bureaux de vote, montrant une victoire de son candidat avec 67 % des suffrages, contre 30 % seulement pour Maduro. Selon ces éléments, l’opposition a bel et bien remporté la présidentielle de 2024, mais Maduro a utilisé les institutions judiciaires et médiatiques pour légitimer son maintien au pouvoir.
Les relations entre Washington et Caracas sont actuellement extrêmement tendues. Jusqu’où cette confrontation peut-elle aller ?
Il est difficile de prédire l’évolution de cette confrontation. Trump est engagé dans une escalade unilatérale contre Maduro, mais il est aussi capable, au moment où la crise semble prête à dégénérer, de proposer une négociation. On observe déjà des bombardements aériens américains ciblés, un blocus aérien du Venezuela, ainsi que des interceptions de navires au large. En revanche, une intervention terrestre américaine paraît peu probable, car le Venezuela offrirait une résistance très forte. Les tensions, en revanche, devraient continuer à monter.