Trump and Vance Swearing-In at the US Capitol
Crédits : Ricky Carioti/The Washington Post) Photo via Newscom/The Washington Post/Newscom/SIPA

Procès Meta : Mark Zuckerberg peut-il perdre Instagram et WhatsApp ?

Ce lundi s’est ouvert le procès contre Meta. L’entreprise américaine est accusée de pratiques anticoncurrentielles au moment de son rachat d’Instagram et de WhatsApp. Si l’entreprise est jugée coupable, elle risque de devoir vendre ces deux applications.
Marius Texier

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« Si nous refusons qu’un roi gouverne notre pays, nous ne pouvons accepter qu’un roi gouverne notre production, nos transports ou la vente de nos produits », lançait en 1890, le sénateur américain John Sherman, à l’initiative de la loi Sherman Anti-Trust Act visant à limiter les comportements anticoncurrentiels des entreprises.

135 ans plus tard, c’est au tour de Meta, géant américain de la tech et propriétaire de Facebook, Instagram et WhatsApp, d’être dans le collimateur de la Federal Trade Commission (FTC), l’agence fédérale américaine qui contrôle les pratiques anticoncurrentielles. Ce lundi, s’ouvre à Washington le procès sur les acquisitions d’Instagram et de WhatsApp par Meta. L’entreprise américaine est accusée d’avoir acheté Instagram en 2012 puis WhatsApp deux ans plus tard pour étouffer la concurrence et s’assurer d’un monopole sur les réseaux sociaux. Le risque pour Meta et son PDG Mark Zuckerberg : une ordonnance de démantèlement historique qui conduirait la maison mère de Facebook à se séparer d’Instagram et de WhatsApp.

Définir le marché des réseaux sociaux

En 2012, fort de sa position de leader sur le marché des réseaux sociaux, Facebook rachète Instagram pour un milliard de dollars. Cette année-là, plus de 90 % des utilisateurs des réseaux sociaux, soit un milliard et demi de personnes, utilisent Facebook. Deux ans plus tard, c’est la messagerie cryptée WhatsApp qui est rachetée pour 19 milliards de dollars. La FTC va devoir prouver que Facebook cherchait à créer un monopole sur le marché des « réseaux sociaux personnels », c’est-à-dire les applications qui permettent d’entretenir des relations avec ses proches. Selon l’agence, seule l’application de messages éphémères Snapchat fait figure de concurrente à Meta dans ce secteur. Mais le leader des réseaux sociaux argue que le marché dans lequel il évolue est beaucoup plus large et regroupe des applications comme TikTok, YouTube et X. Tout l’enjeu de ce procès est donc de définir le marché des réseaux sociaux.

« Mieux vaut acheter que concurrencer »

Une première plainte déposée en 2020 par la FTC, sous l’administration Trump, avait été rejetée en 2021. Les preuves d’un monopole par Facebook ayant été jugées insuffisantes. Le procès actuel découle de la seconde plainte déposée en 2021. Le tribunal a estimé que le gouvernement a fourni des preuves « plus solides et plus détaillées ». Selon William Kovacic, professeur de droit à l’Université George Washington, prouver que Meta a un monopole dans le secteur large des médias sociaux, avec en apparence des concurrents évidents, sera un « très grand obstacle pour le gouvernement américain ». D’autant plus qu’à l’époque, la FTC avait autorisé le rachat d’Instagram et de WhatsApp.

Pour l’agence, la pratique anticoncurrentielle de Meta porte préjudice aux consommateurs. Elle permet de réduire la confidentialité des applications et d’augmenter les publicités tout en privant les consommateurs d’options alternatives.

De son côté, l’entreprise avance que les rachats ont profité aux consommateurs. La preuve selon elle : l’augmentation des utilisateurs. Entre 2012 et 2025, le nombre d’utilisateurs sur Instagram est passé de 100 millions à deux milliards d’utilisateurs. WhatsApp aussi a vu son nombre d’utilisateurs croître passant de 500 millions d’utilisateurs en 2014 à deux milliards aujourd’hui. Cependant, la démonstration d’un préjudice aux consommateurs est difficile puisque les applications sont restées gratuites.

Pour avancer ses arguments, la FTC pointe des mails de Mark Zuckerberg. En 2008, il écrivait : « Mieux vaut acheter que concurrencer ». Peu de temps avant le rachat d’Instagram, il soulignait le potentiel de l’application : « L’impact potentiel d’Instagram est vraiment effrayant et c’est pourquoi nous devrions envisager de payer beaucoup d’argent ».

Rapprochement avec Trump

Et la rentabilité d’Instagram est énorme. La poule aux œufs d’or de Meta assurait en 2021 le tiers des revenus du groupe. Il pourrait même représenter cette année la moitié de ses recettes.

Dès lors, le milliardaire use de ses relations pour trouver un compromis avec la FTC. Selon plusieurs médias américains dont le Washington Post, Mark Zuckerberg s’est rendu à la Maison-Blanche pour faire pression sur l’administration Trump. Car si les relations entre le président américain et les géants de la tech semblent être au beau fixe, cela n’a pas toujours été le cas. Lors de son premier mandat, Donald Trump s’en prenait à Facebook et d’autres plateformes les accusant de ne pas respecter la liberté d’expression. Après l’invasion du Capitole en janvier 2021, Donald Trump s’était même vu suspendre son compte Facebook.

Depuis, les milliardaires de la Silicon Valley se montrent plus conciliants avec Donald Trump. Au point même d’assister à sa cérémonie d’investiture et d’y participer financièrement via des dons. Mark Zuckerberg a lui aussi multiplié les signes d’allégeances à Donald Trump en portant un discours conservateur, en supprimant le fact-checking sur ses réseaux et même en nommant un proche du président au conseil d’administration de Meta.

Nouveau président à la FTC

Et cela semble fonctionner. En mars dernier, Donald Trump a limogé les deux démocrates de la commission de cinq membres de la FTC. Le gouvernement Trump souhaite faire pression auprès de la Cour suprême pour annuler l’indépendance de la FTC. Le nouveau président de l’agence, le commissaire républicain Andrew Ferguson, est qualifié d’être « pro-innovation ». Il se dit en faveur d’une approche moins interventionniste. Il remplace Lina Khan qui présidait la FTC depuis 2021. Elle s’était distinguée en engageant plusieurs procédures contre les GAFAM.

Au site spécialisé The Verge, Andrew Ferguson a déclaré qu’il serait « très surpris » qu’un accord à l’amiable soit trouvé entre Meta et l’administration Trump. Il « ne peut imaginer » que Trump lui ordonne d’abandonner une importante action antitrust.

« Juge lunatique de la gauche radicale »

C’est le juge James Boasberg qui devra se prononcer sur l’affaire. Juge en chef du tribunal de district des Etats-Unis pour le district de Columbia, il est intervenu à de nombreuses reprises sur des affaires concernant Donald Trump comme les migrants vénézuéliens envoyés au Salvador ou plus récemment l’affaire du SignalGate, cet échange sur l’application Signal portant sur des frappes militaires au Yémen. L’affaire avait été rapportée par le rédacteur en chef de The Atlantic, ajouté par erreur sur la conversation.

Le président américain a appelé à la destitution du juge, le qualifiant même de « juge lunatique de la gauche radicale ». C’est pourtant James Boasberg qui, en 2021, jugeait irrecevable la plainte déposée par la FTC sur les pratiques anticoncurrentielles de Meta. Le juge a prévenu que la FTC « va faire face à des questions difficiles sur la capacité de ses accusations à tenir la route devant la cour ».

Google condamné

L’année dernière, c’est l’entreprise Google qui a été condamnée pour « monopole illégal » en concluant des contrats restrictifs avec Apple et d’autres fabricants de téléphones. Les smartphones définissaient Google comme moteur de recherche par défaut.

Le procès Meta sera la cinquième grande action antitrust américaine de ces dernières années dans le secteur des technologies. Le géant Apple est aussi poursuivi pour des pratiques anticoncurrentielles tout comme Amazon dans l’e-commerce. Le procès Meta devrait prendre plusieurs années.

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