« Menace », « entrisme », « charia ». Voici comment le ministre de l’Intérieur et nouveau président du parti Les Républicains, Bruno Retailleau a qualifié l’organisation des Frères musulmans. A la sortie du siège de son parti, Bruno Retailleau a affirmé que l’organisation est « une menace très claire vis-à-vis de la République, une menace sur la cohésion nationale et une menace de submersion ».
Avant lui, plusieurs responsables politiques ont déjà pointé l’influence et le discours de l’organisation islamiste. En 2015, Manuel Valls, alors Premier ministre, souhaitait combattre leur « influence ». Aussi, après l’attaque du 7 octobre par le Hamas (branche politique et militante des Frères musulmans palestiniens), le ministre de l’Intérieur de l’époque, Gérald Darmanin, accusait le footballeur Karim Benzema d’avoir des liens « notoires » avec l’organisation.
Pourtant, même si l’organisation politique islamiste d’origine égyptienne se fait plutôt discrète dans le pays, elle revient régulièrement dans l’actualité notamment depuis la résurgence du conflit israélo-palestinien et ses liens avec le Hamas.
Une organisation presque centenaire
L’organisation des Frères musulmans est fondée en Egypte, en 1928, par le cheikh Hassan Al-Banna. A l’époque, le pays est occupé par les forces britanniques, arrivées en 1882. Pour l’organisation, l’objectif est double : libérer le pays et instaurer un pouvoir islamique, c’est-à-dire conforme au Coran (la charia).
De ce fait, l’organisation sunnite et réformiste est particulièrement appréciée au sein de la population. Et pour cause, les Frères musulmans imprègnent la société via des activités caritatives et sociales tout en prônant les valeurs de la religion. Ils se réclament du panislamisme, un mouvement politique et religieux qui souhaite le rapprochement de toutes les communautés musulmanes dans le monde. Le « frérisme » entend mener une lutte « non violente » contre « l’emprise laïque » et « l’imitation du modèle occidental ». Dès la création de l’Etat d’Israël, l’organisation a fait de la lutte contre le sionisme un élément central de son combat.
La branche du théoricien Sayyid Qutb, qui s’inscrit rapidement en rupture avec le mouvement, prône quant à elle le jihad armé. Dès le lendemain de la seconde guerre mondiale, l’organisation égyptienne recensait entre 500 000 et 1 000 000 de membres.
De la radicalisation à l’institutionnalisation
Après l’assassinat en 1949 du guide suprême Hassan Al-Banna, grand-père du théologien suisse Tariq Ramadan, les Frères musulmans se radicalisent et se tournent vers la violence politique en créant une branche armée secrète et clandestine. Dès 1948, l’organisation est interdite. Elle est dissoute en 1954, lors de la prise de pouvoir du président Nasser. Jusqu’en 1984 et sa reconnaissance comme organisation religieuse par le président Hosni Moubarak, les Frères musulmans sont pourchassés par le pouvoir égyptien et vivent dans la clandestinité.
Après ces « années noires » qui ont construit le mythe de l’organisation, les Frères musulmans entrent dans le jeu politique égyptien. En 2005, lors des élections législatives, ils deviennent même la seconde force politique du pays. Après les révolutions arabes en 2011 qui ont conduit à la chute du régime de Moubarak, les Frères musulmans parviennent à faire élire Mohamed Morsi en 2012, chef du parti politique de l’organisation, le Parti de la justice et de la liberté. L’exercice du pouvoir ne dure qu’un court instant, dès le 3 juillet de l’année suivante, le gouvernement tombe après un coup d’État de l’armée, mené par le général Al-Sissi, actuel dirigeant de l’Egypte. Depuis, l’organisation est pourchassée dans le pays et ses militants jetés en prison par milliers.
Une influence à l’étranger
A peine quelques années après sa création, l’organisation s’est répandue chez ses voisins. Dans les années 1930, on les voit apparaître en Syrie puis au Soudan et en Irak à partir des années 1940. Leur arrivée en Palestine a conduit à la création du Hamas en 1987.
Lors de la répression des années 1950 et 1960 sous la présidence de Nasser, nombreux sont les membres qui ont trouvé refuge dans les pays du Golfe dont ils partagent le conservatisme. Mais depuis les années 1990, l’organisation fait figure de persona non grata dans la plupart des pays de la péninsule. Stéphane Lacroix, docteur en sciences politiques à Sciences Po et spécialiste de l’Islam et de la politique au Moyen-Orient situe cette rupture après l’invasion du Koweït par Saddam Hussein en 1990. Entre soutien et « silence gêné », les branches des Frères musulmans se déchirent. « La relation entre le pouvoir saoudien et les Frères change dès lors drastiquement […] ils sont désormais vus avec méfiance par Ryad. On considère qu’ils sont porteurs d’un projet politique menaçant pour le système saoudien, car porteur d’une alternative islamique à ce dernier », analyse-t-il.
Après avoir soutenu le coup d’État militaire du général Al-Sissi, l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis ont inscrit l’organisation sur leur liste d’organisations terroristes tout comme l’Egypte.
Comme le pointe Nicolas Lepoutre, professeur agrégé d’histoire, dans un article de l’OrientXXI, les Frères musulmans ne sont pas une « organisation structurée » à l’échelle internationale. « Chaque mouvement (des Frères musulmans) poursuit avant tout un agenda national et ses buts immédiats ou ses modes d’action sont définis par le contexte local ».
Les Frères musulmans en France
Les Frères musulmans ont essaimé jusqu’en Europe où l’organisation est qualifiée de terroriste par l’Autriche. En France, ils sont généralement associés à l’association Musulmans de France anciennement Union des organisations islamiques de France. Si le lien demeure tacite, plusieurs anciens dirigeants n’ont pas caché leur proximité avec l’organisation. L’association revendique la tutelle de quelques dizaines de mosquées et de plus de 250 associations.
Régulièrement les responsables politiques pointent l’influence des Frères musulmans sur le territoire national. Au Sénat, la sénatrice centriste Nathalie Goulet a interpellé le gouvernement le 21 mars 2024 réclamant l’interdiction de l’organisation. Selon elle, la « confrérie des Frères musulmans est très active dans les diatribes antisémites », elle l’accuse également d’entretenir un « séparatisme ».