La France a fini par franchir le pas. Paris va reconnaître officiellement dans les prochains mois l’État de Palestine. L’annonce d’Emmanuel Macron ce jeudi 24 juillet est historique, jamais un pays membre du G7 ne s’était encore engagé dans cette voie d’une façon aussi claire. Le président de la République a annoncé qu’il en fera l’annonce solennelle à l’Assemblée générale des Nations Unies en septembre. La France doit également présider avec l’Arabie saoudite une conférence internationale pour promouvoir la situation à deux États. Avec ce choix, la France entend « apporter une contribution décisive à la paix au Proche-Orient », a souligné le chef de l’État dans une lettre adressée au président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas.
C’est la dernière étape d’un long cheminement diplomatique. En voici le récit, qui débute au moment du plan de partage de la Palestine de 1947 (résolution 181 des Nations Unies). Celui-ci prévoyait une division en trois, entre un État Juif, un État arabe, et une ville de Jérusalem placée sous contrôle international. « Ce projet se heurte aux réticences de la grande partie des diplomates français qui l’estiment inapplicable du fait de la situation conflictuelle sur le terrain. La France finit par le voter, mais sous la pression des Etats-Unis », rappelle Jean-François Figeac, agrégé d’histoire et auteur de La France et l’Orient de Louis XV à Emmanuel Macron (Passés Composés, 2022).
La question étatique des Palestiniens quasiment absente dans les années 1950 et 60
La France attend janvier 1949 pour reconnaître Israël, neuf mois après la naissance officielle de ce dernier. À cette époque, Paris est encore loin d’évoquer la possibilité d’un État palestinien. Puissance coloniale encore à cette époque, Paris joue aux équilibristes. Aucune entité étatique palestinienne n’émerge, la Cisjordanie est alors sous contrôle jordanien, et Gaza est contrôlée par l’Élysée. Dans les années 1950, la France, absorbée par des guerres coloniales, accorde relativement peu d’attention à la question palestinienne, marginale sur la scène diplomatique.
La crise de Suez de 1956, conflit dans lequel la France s’allie à Israël et au Royaume-Uni, renforce les relations franco-israéliennes. Les deux États entament un partenariat stratégique, marqué notamment par des livraisons d’armes. « La position gaullienne est résolument en faveur d’une alliance avec Israël jusqu’en 1967, sans prendre en considération les Palestiniens. Il faut ainsi rappeler que si Israël dispose d’un arsenal militaire lui permettant de mener la guerre contre l’Egypte et les pays arabes en 1967, c’est notamment grâce aux livraisons en armes et en avions », précise l’historien Jean-François Figeac.
Le tournant de la guerre des Six Jours en 1967 et des années 1970
Un premier tournant s’opère donc en 1967, avec la guerre des Six Jours (5 au 10 juin 1967). Charles de Gaulle met fin à la coopération militaire avec Israël, en imposant un embargo sur les armes, et condamne l’occupation des territoires palestiniens. Le fondateur de la Ve République soutient la résolution 242 de l’ONU, qui exige le retrait israélien des territoires occupés, ce qui pose les bases d’une solution territoriale.
La véritable bascule s’amorce dans les années 1970. La France entame son rapprochement avec les Palestiniens. « Israël se retrouve à contrôler des reliquats de la Palestine arabe, et l’autre changement, c’est cette population travaillée par le nationalisme palestinien, sous l’influence de Yasser Arafat », relate Alain Dieckhoff, directeur de recherches au CERI (Centre de recherches internationales) de Sciences Po. Georges Pompidou déclare, dans sa conférence de presse du 22 janvier 1971 que le « problème des Palestiniens devait être résolu par un libre référendum auprès de ses habitants, après la conclusion de la paix entre Israël et les pays arabes ».
En 1974, un premier contact officiel a lieu entre Yasser Arafat et un ministre français. Le 24 octobre, le président Valéry Giscard d’Estaing, lors d’une conférence de presse, prononce à son tour, des mots qui font date. « Le fond du problème est de considérer qu’il ne peut y avoir de paix durable au Proche-Orient que si la question palestinienne fait l’objet d’un juste règlement… À partir du moment où la communauté internationale reconnaît l’existence d’un peuple palestinien, ce peuple doit pouvoir disposer d’une patrie. »
Six ans plus tard, la France pousse ses alliés européens de la Communauté économique européenne à signer la déclaration de Venise. Celle-ci appelle à la reconnaissance des droits des Palestiniens à l’autonomie gouvernementale et aux droits de l’OLP (Organisation de libération de la Palestine) à participer aux initiatives de paix. « La France a été pionnière en Europe occidentale, dans les années 1970, en étant le premier pays à l’époque à reconnaître l’OLP comme représentant légitime du peuple palestinien », relève Alain Dieckhoff.
En 1982, François Mitterrand déclare pour la première fois qu’un État palestinien est une possibilité
François Mitterrand marque un cap décisif en 1982 en déclarant devant la Knesset, le Parlement israélien, que l’autodétermination palestinienne « peut signifier un État ». En 1989, Yasser Arafat est reçu à l’Élysée, ce qui consacre l’OLP comme interlocuteur légitime des Palestiniens aux yeux de la France. La France a notamment au préalable que l’OLP déclare sa charte comme caduque, ce qui implique la reconnaissance d’Israël. La solution à deux États devient alors « un fil rouge de la diplomatie française qui ne se cristallise donc que dans les années 1980 », résume Jean-François Figeac. C’est en 1988, pour rappel, que l’OLP, au cours d’une session extraordinaire du Conseil national palestinien à Alger, fait proclame une déclaration d’indépendance. Une date à partir de laquelle, les reconnaissances officielles vont débuter au sein de l’ONU (les trois quarts des Etats membres reconnaissent la Palestine actuellement).
Les années 1990 s’illustrent par un regain d’engagement avec Jacques Chirac. Le successeur de François Mitterrand maintient une diplomatie proactive, comme en témoigne sa célèbre altercation avec les forces de sécurité israéliennes, lors d’une visite à Jérusalem en 1996. Il est le premier chef d’État français à se rendre à Jérusalem-Est. « Si les relations avec l’autorité palestinienne furent très bonnes après les accords d’Oslo (1993), notamment sous la présidence de Jacques Chirac, aucun chef de l’Etat n’alla jusqu’à reconnaître un Etat palestinien », observe Jean-François Figeac.
Par la suite, à partir du milieu des années 2000, la position de la France se fait plus discrète. La ligne ne connaît plus de grand bouleversement, avec Nicolas Sarkozy ou François Hollande, dont le programme prévoyait pourtant la reconnaissance de la Palestine. Dans les années 2010, la France soutient à cette époque systématiquement les résolutions à l’ONU visant à renforcer le statut de la Palestine. En octobre 2011, elle vote par exemple en faveur de son admission comme État membre à l’Unesco en octobre 2011. Puis en novembre 2012, elle soutient la résolution de l’Assemblée générale qui attribue à la Palestine le statut d’Etat non-membre observateur.
Sous le quinquennat de François Hollande, l’Assemblée nationale et le Sénat (relire notre article) adoptent une résolution, en faveur d’une reconnaissance de l’Etat palestinien. Très symboliques, elles n’ont toutefois aucun effet contraignant sur la position de l’exécutif. « François Hollande va tergiverser. Il va tout de même, juste avant la fin de son mandat, début 2017 organiser une conférence internationale à Paris. Il a tenté quelque chose avant de partir », évoque le professeur Jean-Paul Chagnollaud, professeur émérite des universités, et président d’honneur de l’Institut de recherche et d’études Méditerranée/Moyen-Orient (iReMMO).
Le rééquilibrage de 2024
Une longue période d’hésitations et de flottement a également caractérisé les deux mandats d’Emmanuel Macron, alors qu’au Proche-Orient les conditions d’un accord se sont éloignées. La France continue de maintenir sa position, en plaidant pour une solution à deux États. Les conséquences des attaques terroristes du Hamas du 7 octobre 2023 vont également fragiliser fortement le processus. « Ses prédécesseurs étaient sur des positions équilibrées. Le seul qui ait fait une rupture avec cette ligne, c’est Emmanuel Macron. En 2023, il va loin dans la remise en question. Il l’a dit de manière tellement forte qu’on oubliait les Palestiniens », rappelle Jean-Paul Chagnollaud.
Un rééquilibrage débute en 2024. En février 2024, Emmanuel Macron déclare que reconnaître un État palestinien « n’est pas un tabou pour la France ». Mais à la fin mai 2024, alors qu’Espagne, Irlande et Norvège reconnaissent officiellement la Palestine, le chef de l’État se montre prudent et se refuse à une « reconnaissance d’émotion » : il se dit « prêt à reconnaître un État palestinien, mais à un moment utile ».
« Cette reconnaissance n’est pas simplement bilatérale, il veut essayer d’ici septembre de convaincre d’autres États du G7. Et deuxième, il inscrit cela dans une feuille de route politique, qui consiste à faire en sorte que l’on puisse intégrer, de manière pacifique, Israël dans le Moyen Orient, et qu’il y ait une normalisation nouvelle », commente Jean-Paul Chagnollaud.
« Une question reste entière : la reconnaissance de l’Etat de Palestine, c’est un geste symbolique et politique fort, mais qu’est-ce que cela amène comme effets réels ? », s’interroge Alain Dieckhoff. « C’est pour cela que l’Europe occidentale a autant traîné des pieds. Ils se disent qu’il faudra utiliser cette reconnaissance à bon escient, au bon moment. »