UN-NEW YORK-FRANCE-STATE OF PALESTINE-RECOGNITION
(250922) -- UNITED NATIONS, Sept. 22, 2025 (Xinhua) -- French President Emmanuel Macron speaks during the High-Level International Conference for the Peaceful Settlement of the Question of Palestine and the Implementation of the Two-State Solution at the UN headquarters in New York, Sept. 22, 2025. French President Emmanuel Macron said Monday at a UN meeting on the two-state solution that his country recognizes the State of Palestine, joining most of the other UN member states that have already done so. (Xinhua/Li Rui) - Li Rui -//CHINENOUVELLE_CmxztpE000033_20250923_PEPFN0A001/Credit:CHINE NOUVELLE/SIPA/2509230802

Reconnaissance de la Palestine par la France : et maintenant ?

Lundi soir, Emmanuel Macron a tenu sa promesse de reconnaitre officiellement l’Etat de Palestine au nom de la France, face à l’Assemblée générale des Nations Unies, à New York. Un chemin emprunté par d’autres nations occidentales et qui laisse entrevoir la possibilité d’un « jour d’après », aux contours encore bien flous.
Aglaée Marchand

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Un geste historique, dont la portée concrète demeure incertaine. Le président français, emboitant le pas au Royaume-Uni, au Portugal, au Canada et à l’Australie, a concrétisé la reconnaissance de l’État palestinien par la France, à l’occasion de sa prise de parole à la tribune de l’ONU, lundi 22 septembre.

Désormais, plus de 150 des 193 membres des Nations Unies ont rejoint ce « train de la reconnaissance », entamé par des nombreux États depuis la fin des années 1980, précise Xavier Guignard, professeur invité à l’Académie diplomatique d’Arabie saoudite et auteur de Comprendre la Palestine (2025, les Arènes). Mais c’est la première fois que des pays qui font partie du G7 s’orientent dans cette voie, une décision qui s’est imposée comme indispensable, dans un contexte d’intensification des offensives israéliennes sur Gaza et d’expansion de la colonisation de la Cisjordanie, menaçant le dessein d’une solution à deux États, comme l’a pointé du doigt Emmanuel Macron dans son allocution à la télévision israélienne du 18 septembre. Les pays occidentaux, « réservés jusqu’ici sur l’intérêt de cette reconnaissance » qu’ils conditionnaient à un apaisement des conflits, ont « renversé leur perspective » et voient à présent dans cette reconnaissance « le début possible de la paix », analyse le chercheur. Néanmoins, en l’état, complète-t-il, cette étape symbolique ne constitue que « l’amorce » d’un long et fastidieux « processus politique et diplomatique ».

Des engagements de l’Autorité palestinienne en suspens

Entité politico-administrative créée par la signature des accords d’Oslo entre Israël et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) en 1993, l’Autorité palestinienne (AP) n’était à l’origine envisagée que pour une période transitoire de cinq ans, avant l’avènement de véritables instances gouvernementales. En 2025, l’AP est toujours en place et « est perçue comme très largement corrompue, dysfonctionnelle et sclérosée », par la population palestinienne, qui n’a pas connu d’élections présidentielles depuis 2005, affirme Karim Emil Bitar, enseignant à Sciences Po Paris et spécialiste du Moyen-Orient. Pour « une grande majorité de l’opinion publique », l’AP est « devenue une force supplétive de l’occupation israélienne », complète-t-il.

A sa tête, se trouve Mahmoud Abbas, reconnu à l’international comme l’interlocuteur privilégié de la Palestine, mais dont le mandat a pourtant « expiré en décembre 2008 », rappelle Karim Emil Bitard, et qui a été « interdit de se rendre à New York » par les États-Unis. Ce dernier s’est engagé, déjà par écrit au cours de l’été puis à nouveau lundi soir à l’ONU par visioconférence depuis Ramallah, à moderniser la gouvernance de l’AP. Des élections devraient alors être organisées dans l’année qui suivrait un arrêt des combats à Gaza, dès 2026 si possible. Des « réformes institutionnelles » qui, « en l’état », ne sont pas réalisables, d’après Xavier Guignard, alors que « le vrai défi, c’est le déficit budgétaire » puisqu’une large part des recettes de l’institution provient « des taxes à l’import et à l’export, collectées et reversées par Israël », mais « pratiquement toutes gelées depuis le 7 octobre 2023 ».

D’un point de vue démocratique, en dépit des engagements d’Abbas, « l’organisation d’élections parait très complexe ». Le chercheur rappelle l’annulation par l’AP, à quelques semaines du scrutin, des élections législatives de 2021, les premières annoncées depuis 2006, car les Palestiniens de Jérusalem-Est « étaient interdits de vote par Israël », une position de l’État hébreu « qui ne risque pas de bouger ». Et d’ajouter : « Dans tous les cas, imaginer l’installation de registres et de bureaux de vote à Gaza semble compromis dans les prochains douze mois ».

Le président palestinien a également promis que « le Hamas n’aura aucun rôle dans la gouvernance ». Le mouvement a pris le contrôle de la bande de Gaza par la force en 2007, à l’issue de sa victoire aux législatives de 2006 et du conflit sanglant l’ayant opposé au Fatah, principale faction de l’OLP. Si ses positions « ne sont pas toujours très claires », les propositions « qui viennent à l’exclure complètement sont rejetées de sa part », précise Xavier Guignard, « une partie des acteurs européens sait qu’il faut potentiellement trouver une formule dans lequel il reste minoritaire », pour voir naitre une nouvelle gouvernance de l’AP viable. Mais c’est sans compter sur la position du gouvernement d’Israël « qui ne veut pas entendre de retour » de l’AP à Gaza, parce que « cela manifesterait la fin de la division entre Gaza et la Cisjordanie », soit « un retour dont il ne veut pas » puisque l’État hébreu « a déjà procédé à des actes de captation en Cisjordanie et à Jérusalem-Est », poursuit le chercheur.

La condition de la démilitarisation de la Palestine

Dans son allocution, Mahmoud Abbas a assuré que le Hamas devra « comme les autres factions, remettre ses armes » à l’AP, « car nous voulons un seul État non armé, un seul système juridique et une seule force de sécurité légitime », condamnant par ailleurs « les crimes », « commis par le Hamas le 7 octobre 2023 », ce qui lui avait été demandé dans ce processus de reconnaissance de la Palestine par l’Occident.

Sauf que le désarmement du Hamas « est une question délicate », car « malgré l’engagement international sur la nécessité » d’y procéder, « les conditions restent floues et font encore l’objet de discussions », avance Xavier Guignard. Le modèle nord-irlandais de l’IRA est invoqué, celui-ci s’était opéré par étapes, détaille le spécialiste : « d’abord par la création d’inventaires pour recenser les armes », « puis leur mise sous scellés dans des entrepôts ». Et surtout, la difficulté réside dans le fait que « le Hamas refuse en bloc ».

Démilitarisé, l’État palestinien devra bénéficier « d’une protection internationale » a rappelé le président palestinien. Cette « force d‘interposition » pourrait avoir « un mandat onusien » ou comprendre « la participation régionale des pays arabes », postule Xavier Guignard, la France ayant notamment annoncé « être prête à y prendre part ». Mais, « on est là face à la prudence des uns et des autres », à l’idée « d’avoir des soldats là-bas », « même si le cessez-le-feu » venait à être proclamé, et également à l’opposition du gouvernement israélien qui entendrait « piloter cette période transitoire avec des objectifs différents », notamment bloquer « le développement » de l’AP.

Quel impact sur les relations diplomatiques ?

La décision de l’Occident pourrait s’accompagner d’effets diplomatiques concrets, avec par exemple « la création d’une ambassade française » en Palestine, et « le changement de statut de l’ambassade palestinienne » en France, selon Xavier Guignard, professeur invité à l’Académie diplomatique d’Arabie saoudite. Avec Emmanuel Macron qui a néanmoins conditionné ces mesures à la libération des otages et à la fin de la guerre à Gaza. Pour le chercheur, il les a ainsi « délégué [es] à la décision israélo-américaine de cessez-le-feu et à la décision palestinienne de libération », les rendant incertaines « à la vue des négociations qui patinent ».

A défaut de répercussions immédiates, les pays ayant reconnu l’État palestinien pourraient désormais avoir recours « à des mesures beaucoup plus fortes », « en l’occurrence des sanctions », comme la remise en cause du partenariat économique entre l’Union européenne et Israël, avance Karim Emil Bitard, enseignant à Sciences Po Paris.

Dénonçant très fermement ce mouvement de reconnaissance, le gouvernement israélien a agité la menace de mesures de rétorsion à l’encontre « des pays signataires », avec qui les relations se sont déjà complexifiées ces dernières semaines, explique Xavier Guignard, évoquant les pistes de « la fermeture du Consulat général de France à Jérusalem » et de « l’aboutissement des revendications israéliennes de territoires à Jérusalem sous souveraineté française », comme l’Église Sainte-Anne ou le Tombeau des Rois. Mais aussi des mesures coercitives « à l’égard des Palestiniens », « en avançant vers l’annexion en droit israélien, bien que toujours illégal en droit international, des portions de la Cisjordanie ».

Quid de la « normalisation » entre Israël et les pays arabes ?

Alors que dans l’esprit d’Emmanuel Macron, la reconnaissance de la Palestine devrait pouvoir ouvrir la voie vers celle de l’État hébreu par les pays arabes, qui ont fait un pas dans ce sens lors de la signature de la Déclaration de New York l’été dernier, l’idée de cette « normalisation » est « une des victimes de la guerre en cours », signale Xavier Guignard. Une partie d’entre eux qui pouvaient y « être favorables », y sont maintenant « frileux » du fait des incursions israéliennes, la frappe sur le Qatar ayant cristallisé cette « grande méfiance » envers le gouvernement de Benyamin Netanyahou. Ce dernier, qui pouvait attendre « stratégiquement » de cette normalisation « une forme de sécurité » avant le 7 octobre, considère aujourd’hui que « sa seule sécurité » est « la militarisation totale » et tend « vers l’isolement ».

Karim Emil Bitard rappelle également « le clivage entre les opinions publiques et les dirigeants des pays arabes », avec des populations qui « demeurent majoritairement très hostiles à une reconnaissance d’Israël », tant que les droits des Palestiniens n’auront pas été reconnus.

Les perspectives américaines

Outre Atlantique, les États-Unis n’iront « pas vers la reconnaissance », sans opter forcément « pour des sanctions », d’après Xavier Guignard, même si « le ton s’est durci ». Lors de sa prise parole depuis le pupitre de l’Assemblée générale de l’ONU ce mardi après-midi, le président américain a critiqué cette reconnaissance, pointant du doigt « une récompense » pour les « atrocités » commises par le Hamas.

Le chercheur alerte toutefois sur « un effet d’annonce assez fort à prévoir » de Donald Trump qui pourrait « proposer une contre-proposition », reposant sur ses modèles de « Deal du siècle » défendu en 2020 et de « Gaza Riviera ». Une situation qui ouvrirait « un conflit démocratique important », avec des pays arabes qui ont déjà rappelé « les seuls paramètres qui leur paraissent acceptables », mais qui risqueraient de ne pas vouloir « se confronter » trop frontalement « à leur partenaire américain ».

Avec le « soutien aveugle et inconditionnel » à Israël que l’hôte de la Maison Blanche vient de réaffirmer, « il y a de fortes chances » qu’une solution à deux États vers laquelle veulent tendre de nombreuses nations, demeure « purement virtuelle » déplore Karim Emil Bitard, soulignant une nouvelle « situation de blocage », à la différence près que cette reconnaissance s’inscrit dans « le registre » du « symbole » et de la légitimation de « la dignité » du peuple palestinien.

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