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AP Photo/Alberto Pezzali, Pool

Reconnaissance de l’Etat de Palestine par le Royaume-Uni : « Le jour d’après, que va-t-il en rester ? » 

Comment comprendre la reconnaissance de l’Etat de Palestine par le Royaume-Uni, annoncée ce dimanche 21 septembre ? Qu’est-ce que cela change dans l’ordre mondial ? Réponses avec Sylvain Gaillaud, docteur en histoire contemporaine, spécialiste de la politique étrangère britannique.
Mathilde Nutarelli

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Le 21 septembre, comme il l’avait promis, le Premier ministre britannique Keir Starmer a annoncé reconnaître l’Etat de Palestine. Cette décision est-elle surprenante ?

Ce n’est pas surprenant, Keir Starmer avait évoqué en juillet cette possibilité, moyennant trois conditions : qu’Israël accepte un cessez-le-feu à Gaza, qu’il y ait une reconnaissance par les acteurs de la solution à deux Etats et que Benyamin Netanyahou renonce à annexer la Cisjordanie. C’est un processus de moyen terme, engagé par la France, qui a enclenché ce mouvement.

Ce n’est pas surprenant non plus parce que cette reconnaissance apparaît dans le manifeste du parti travailliste produit pour les élections législatives de l’été 2024, qui ont vu Keir Starmer arriver au pouvoir. Le parti travailliste est traditionnellement proche de cette idée de défense d’un Etat palestinien. Les conservateurs, quant à eux, sont historiquement plus proches d’Israël. D’ailleurs, la cheffe de l’opposition, la conservatrice Kemi Badenoch a régi en disant que le Royaume-Uni « maudirait ce jour ». Le parti d’extrême-droite de Farage Reform UK, lui, ne dit pas grand-chose.

Cette reconnaissance est un saut dans l’inconnu : la question est celle du jour d’après. Le Royaume-Uni rejoint un certain nombre de pays du Commonwealth, et 150 autres Etats qui ont déjà franchi ce pas. Keir Starmer soutient l’idée d’une autorité internationale sous l’égide de l’ONU pour travailler à la reconstruction de Gaza et en assurer le gouvernement. L’idée, c’est de permettre à la Palestine de passer d’Etat associé à Etat tout court à l’ONU, et de disposer d’un droit de saisine du conseil de sécurité. Keir Starmer est sur une ligne de crête : il souhaite donner une légitimité à l’Autorité palestinienne et raviver la flamme de la solution à deux Etats. On est d’abord dans l’ordre du discours, de la symbolique. La question est : qu’est-ce que cela change sur le conflit immédiat et sur la résolution de ce conflit multigénérationnel. Sur ce plan les perspectives sont moins encourageantes.

Depuis la déclaration Balfour en 1917, quelle a été la position du Royaume-Uni sur le sujet de la reconnaissance de l’Etat de Palestine ?

Le Royaume-Uni est, au début du XXe siècle, le premier empire colonial mondial et la première puissance mondiale. C’est une puissance qui a prospéré sur un principe simple issu des Romains : diviser pour mieux régner. C’est comme cela qu’il contrôle la région indienne et le Proche et le Moyen-Orient. Pendant la Première Guerre mondiale, la région est contrôlée par l’Empire Ottoman, ennemi du Royaume-Uni. Dès l’origine, ce dernier est dans l’ambiguïté, voire le double jeu le plus total. En 1915, le Haut-commissaire britannique en Egypte, Sir Henry McMahon, a échangé des lettres avec l’émir de La Mecque, dans lesquelles ils s’accordent sur un troc : les populations arabes de l’Empire Ottoman se soulèvent contre lui pour leur indépendance, ce qui l’affaiblit et qui accélère la fin de la guerre, en échange de quoi les populations gagnent leur indépendance à l’issue du conflit. En 1916, la France et le Royaume-Uni signent les accords Sykes-Picot, qui prévoient le partage des dépouilles de l’Empire ottoman sous la forme de zones d’influence : la Palestine est confiée après la guerre au Royaume-Uni sous la forme d’un protectorat. Mais, en 1917, le gouvernement conservateur avait promis l’établissement d’un foyer national juif en Palestine, par la déclaration Balfour [du nom d’Arthur Balfour, ministre conservateur des Affaires étrangères à l’époque, ndlr]. Il s’agissait d’une déclaration d’intention, sans engagement précis ni condition préalable, adoptée sous la pression de plusieurs britanniques juifs influents dans les rangs conservateurs, notamment le baron Lionel Rothschild, un banquier d’affaires acquis au sionisme.
C’est la promesse constituée par cette déclaration que mettent en avant les gens qui commencent à émigrer en Palestine dans l’entre-deux-guerres. C’est elle aussi qui est mise en avant par David Ben Gourion, le père fondateur de l’Etat d’Israël en 1948.
Cette double promesse sur un territoire équivalent témoigne de l’instrumentalisation des revendications locales de ces populations, à la recherche d’une émancipation : les juifs victimes de l’antisémitisme et les Arabes qui veulent s’arracher de la tutelle de l’Empire Ottoman. Dépassés par la montée des tensions entre populations juives et populations arabes, les Britanniques se défont du dossier proche-oriental après la Seconde Guerre mondiale, en le confiant à l’ONU, qui élabore le plan de partition. Les Britanniques n’ont pas su gérer l’imbroglio qu’ils avaient créé pendant la Première Guerre mondiale. Cela montre la duplicité d’une realpolitik pratiquée à l’échelle globale, qui a fait le lit d’un conflit difficilement soluble, car les deux parties se réclament d’une légitimité historique.

La reconnaissance de l’Etat de Palestine par le Royaume-Uni est-elle plus importante que celle des autres Etats, au vu de l’histoire du pays ?

Du point de vue symbolique oui, c’est quelque chose d’attendu par les populations locales, et par l’Autorité palestinienne qui meurt de son manque de légitimité. Elle y voit une possibilité de survie. Mais que pèse la reconnaissance de l’Etat de Palestine par la France, le Royaume-Uni et 150 autres Etats, qui n’ont pour la plupart aucun moyen de pression véritable sur l’Etat d’Israël et sur les Etats-Unis ? Ils n’activeront jamais vraiment de levier de pression contre ces derniers pour les contraindre à contraindre Israël. Les Français et les Britanniques vont choisir l’honneur, dans une situation où il aurait été déshonorable de ne pas le faire, mais ça ne suffira pas à régler les choses. Cela va saper l’autorité du Hamas et de Benyamin Netanyahou, cela va faire parler du sujet. Cela pourrait permettre à la Palestine de mieux exister institutionnellement, si elle finit par devenir un État de plein exercice à l’ONU, mais le processus est improbable : le Conseil de Sécurité doit recommander l’admission à l’Assemblée générale pour que celle-ci vote à la majorité des deux tiers ; les Etats-Unis ne manqueront pas d’y opposer un veto au Conseil, entravant le processus. Mais le jour d’après, que va-t-il en rester ? L’honneur aura été sauf, Keir Starmer aura appliqué son programme, mais au fond le Royaume-Uni n’est plus qu’une puissance de second rang, comme la France, pesant peu face à un Benyamin Netanyahou soutenu par les Etats-Unis de Donald Trump.

Keir Starmer a signé le 18 septembre dernier un accord de coopération avec les Etats-Unis. Cette reconnaissance de la part du Royaume-Uni peut-elle mettre en péril sa relation avec le pays de Donald Trump ?

La semaine dernière, les Britanniques ne souhaitaient pas raviver le sujet du conflit au Proche-Orient. La venue de Donald Trump était l’opportunité de signer des accords commerciaux relatifs au nucléaire et de construire le partenariat technologique américano-britannique. Les sujets annexes ont été abordés en amont pas les deux délégations. Keir Starmer a néanmoins voulu mentionner ce dossier en conférence de presse commune, en sachant que la pente était glissante. Donald Trump ne l’a pas repris. Cela pèse sur les relations américano-britanniques, car l’agenda et la direction des deux pays ne sont pas les mêmes. Donald Trump a pour priorité de faire libérer les otages.

Quel est l’avis de l’opinion publique britannique sur la reconnaissance de l’Etat de Palestine ?

De manière globale, les Britanniques sont de plus en plus favorables à un Etat palestinien, mais les derniers sondages montrent encore que la majorité n’est pas encore acquise. Selon les derniers sondages, 44% sont pour, 37% sont sans opinion définitive et 18% sont contre. Les opinions publiques ont fini par avoir raison de la réticence des acteurs politiques à s’emparer du dossier. Keir Starmer est donc sous leur pression, touchées par les photos de la population de Gaza qui subit les bombardements, les privations et l’occupation. Elles ont un écho très fort. De plus, le groupe parlementaire travailliste fait pression sur le Premier ministre britannique depuis l’été. Une lettre ouverte a été signée par une majorité de son groupe pour accélérer les choses, avec parmi les signataires des membres de son gouvernement.

Le risque essentiel au Royaume-Uni est de s’aliéner l’électorat juif, sachant que les lignes commencent un peu à bouger au sein de celui-ci, sur le soutien à apporter à la politique de Benyamin Netanyahou, par simple fidélité à la question d’Israël. En Grande-Bretagne comme en Israël, tous les juifs ne sont pas favorables à la politique de ce dernier.

L’autre risque est que cette reconnaissance ne conduise à la résurgence d’une forme d’antisémitisme, qui avait travaillé le parti travailliste à l’époque de Jeremy Corbyn. Keir Starmer a effectué un travail considérable pour panser ces plaies très douloureuses. Il y est parvenu, mais il pourrait y avoir une résurgence de cette forme d’antisémitisme. Très vite, dans sa prise de parole annonçant cette reconnaissance, Keir Starmer s’est positionné comme étant marié à une femme juive, comme sachant ce que ressentent les juifs du monde entier face au 7 octobre. Il a également rappelé qu’il s’agissait de différencier la solution à deux Etats du Hamas, et que la reconnaissance ne faisait pas de l’État d’Israël un ennemi. Israël reste un allié du Royaume-Uni dans le cadre global de l’Otan, ce dernier continue de vendre du matériel militaire à Israël, pour la défense de son territoire, et ils continuent de travailler ensemble sur les points de vue économique et stratégique.

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