Reconnaissance de l’Etat palestinien : la France doit-elle s’attendre à des représailles de la part d’Israël ?

La reconnaissance de l’Etat palestinien par la France, perçue par Israël comme une « récompense au terrorisme », risque de détériorer durablement les relations avec Tel-Aviv. Ce geste pourrait avoir des conséquences diplomatiques fortes et, dans une moindre mesure, d’éventuelles répercussions commerciales. Décryptage avec Xavier Guignard, enseignant et chercheur au centre de recherche Noria Research.
Romain David

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Emmanuel Macron ne ménage pas ses efforts depuis quelques jours pour justifier la reconnaissance de l’Etat de Palestine par la France, un tournant diplomatique majeur, qui doit être officialisé ce lundi soir devant l’Assemblée générale des Nations unies. Jeudi, le locataire de l’Elysée a redoublé de pédagogie dans un entretien accordé à la chaîne américaine CBS – diffusé dimanche -, après avoir été interrogé le même jour sur la chaîne 12 de la télévision israélienne, assurant que cette reconnaissance était « la meilleure manière d’isoler le Hamas ». Ayant initialement prévu de se rendre en Israël pour expliquer son positionnement, Emmanuel Macron a finalement dû renoncer à ce déplacement devant l’hostilité des autorités locales, une situation qui montre à quel point cette initiative lancée par la France et l’Arabie saoudite a fait l’unanimité contre elle sur place, y compris du côté des oppositions israéliennes.

Au moins neuf autres pays, dont le Royaume-Uni et le Canada, ont prévu d’emboîter le pas à la France, ce qui laisse craindre une période plus ou moins longue de glaciation dans les relations entre Paris et Tel-Aviv. « Vous offrez une récompense énorme au terrorisme », a fustigé Benyamin Netanyahu, le Premier ministre israélien, dans une vidéo diffusée dimanche soir, à l’adresse des dirigeants occidentaux qui reconnaissent un Etat palestinien. « J’ai un autre message pour vous : cela n’arrivera pas. Aucun État palestinien ne verra le jour à l’ouest du Jourdain », martèle le chef du gouvernement, qui indique par ailleurs avoir l’intention de poursuivre « les implantations juives en Judée et en Samarie », c’est-à-dire en Cisjordanie.

Un hiver diplomatique

La France doit-elle désormais s’attendre à des représailles de la part d’Israël ? « Si les relations franco-israéliennes ont connu tous les climats, il est vraisemblable qu’elles traverseront un rude hiver, semblable à celui qui a soufflé de 1967 à 1981 sous le général de Gaulle, Pompidou et Giscard d’Estaing. Avec une différence de taille néanmoins, c’est que Macron multipliera les signes de normalisation tandis que Netanyahu sera incité, lui, à multiplier les frictions », prédit Denis Charbit, professeur de sciences politiques à l’Université ouverte d’Israël, dans une tribune publiée par le journal Libération. « Israël veut très clairement entrer dans un bras de fer avec les pays européens qui ont participé à la reconnaissance de la Palestine », abonde auprès de Public Sénat Xavier Guignard, spécialiste de la Palestine, enseignant et chercheur au centre de recherche Noria Research et auteur de Comprendre la Palestine – Une enquête graphique (avec Alizée De Pin, Les Arènes, janvier 2025).

Dans l’immédiat, la reconnaissance d’un Etat palestinien pourrait s’accompagner d’un rappel d’ambassadeurs, manière officielle, et généralement temporaire, pour un Etat d’exprimer son désaccord dans le cadre d’une crise. Selon des informations du Figaro et du journal britannique The Telegraph, l’Etat hébreu envisagerait d’aller un cran plus loin en faisant fermer le consulat général de France à Jérusalem, qui gère à la fois les 25 000 Franco-Israéliens qui habitent la ville, mais qui sert aussi de relais entre Paris et les territoires palestiniens.

Un risque d’annexion de la Cisjordanie

Plus radicale, la réponse des ministres israéliens des finances et de la sécurité nationale, tous deux issus de l’extrême droite, et qui ont plaidé sur X pour une « annexion immédiate » de la Cisjordanie, un territoire illégalement occupé aux yeux du droit international depuis 1967.

« Il y a déjà des mesures très concrètes qui sont en place aujourd’hui dans la région de Bethléem, autour d’Hébron, avec des fermetures de villages accessibles uniquement à leurs résidents. Idem dans les environs de Jérusalem-Est. On a aussi eu des déplacements forcés de population dans le Nord », relève Xavier Guignard. « Le prétexte de la conférence qui se tient à New York et de la punition contre cette initiative diplomatique n’est que rhétorique. La logique de l’annexion, elle, est en cours et la colonisation s’accélère. Le gouvernement israélien met absolument tout en œuvre pour se saisir légalement, dans son droit interne, de l’ensemble de la Cisjordanie », explique-t-il.

Les exportations de hautes technologies et d’armements dans le viseur de Tel-Aviv

Autre moyen de pression, plus limité néanmoins : les représailles économiques. Alors que la Commission européenne souhaite mettre en place des sanctions contre Israël, qui passeraient par une suspension des accords commerciaux, notamment des tarifs douaniers préférentiels dont bénéficient certaines marchandises, Tel-Aviv pourrait envisager des mesures ciblées contre une partie de ses partenaires commerciaux.

En 2024, les échanges entre la France et Israël ont représenté 3,1 milliards d’euros, avec une balance commerciale excédentaire de 328 millions d’euros en faveur de la France, mais en baisse continue depuis 2022. Une situation « attribuable au contexte géopolitique instable et à la guerre au Proche-Orient qui a pénalisé les échanges commerciaux, tant s’agissant de la propension à consommer et investir en Israël qu’en matière de chaînes logistiques », indique le ministère de l’Economie. Si la France est au 11e rang des partenaires commerciaux de l’Etat hébreu, celui-ci n’est que le 47e partenaire commercial de la France. Cette situation semble, de prime abord, limiter le pouvoir de nuisance commerciale de Tel-Aviv. Néanmoins le gouvernement israélien pourrait se concentrer sur des domaines stratégiques bien particuliers.

« Ce qu’Israël met en scène aujourd’hui, ce sont de potentielles limitations d’export sur deux secteurs clefs pour les Européens : le secteur des nouvelles technologies, notamment les technologies de surveillance, et celui de l’armement », indique Xavier Guignard. « La question qui va se poser pour les Européens est donc celle de leur dépendance ou pas à la technologie israélienne. Cela peut être aussi une opportunité pour avancer vers une Europe de la défense, en se reposant, non pas sur les importations israéliennes, américaines ou autre, mais en développant leur propre industrie de défense. »

Une alternative israélo-américaine pour dévitaliser la solution à deux Etats

Pour l’heure, il est probable que le gouvernement israélien laisse passer la fin du nouvel an juif – dont les festivités débutent ce 22 septembre et doivent s’achever mercredi -, avant de riposter. Par ailleurs, Benjamin Netanyahu pourrait encore attendre d’avoir consulté l’indéfectible allié américain. Une rencontre avec Donald Trump est prévue à Washington le 29 septembre, l’occasion pour les deux dirigeants de remettre en avant le plan américain d’aménagement de la bande de Gaza en « Riviera du Moyen-Orient », manière de mettre à distance la solution à deux Etats portée par les Européens.

« On l’a réentendu en janvier et en février 2025, à travers cette idée aussi loufoque que criminelle d’une Riviera à Gaza, les Etats-Unis ne se sentent plus du tout tenus par leur attachement historique à la question de la solution à deux États et sont prêts à imaginer toutes sortes de formules alternatives », analyse Xavier Guignard. « En réalité, ces alternatives ne sont pas nombreuses. S’il n’y a pas un État palestinien, on est dans une réalité à un seul État. Et là on a une gamme de solutions qui vont de la cohabitation, ce qui paraît très improbable, à la logique de l’apartheid ou à celle du déplacement forcé d’une partie de la population », conclut-il.

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