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Turkish President Recep Tayyip Erdogan arrives to vote at a polling station during the second round of the presidential election in Istanbul, Sunday, May 28, 2023. Voters in Turkey returned to the polls Sunday to decide whether the country’s longtime leader, Erdogan, stretches his increasingly authoritarian rule into a third decade, or is unseated by a challenger who has promised to restore a more democratic society. (Murad Sezer/Pool Photo via AP)/LBL114/23148373474406/POOL PHOTO/2305281240

Réélection d’Erdogan : « Les grandes victimes seront les femmes, les LGBT et les Kurdes »

Recep Tayip Erdogan a remporté dimanche le deuxième tour de l’élection présidentielle. Il est reconduit pour cinq années supplémentaires à la tête d’un pays très divisé et fragilisé économiquement. Qu’attendre de ce troisième mandat du président Erdogan ? Pour la journaliste Ariane Bonzon, spécialiste de la Turquie, une fuite en avant du régime est à redouter. Entretien.
Rédaction Public Sénat

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Avec quelques jours de recul, quels sont les enseignements que vous tirez de ce double scrutin ?

Recep Tayip Erdogan a surfé sur la polarisation de la société turque et semble déterminé à continuer à le faire. De manière générale, le grand vainqueur de ces élections, présidentielle et législatives, est l’ultranationalisme. Le président Erdogan a été obligé de s’allier avec le parti ultra-nationaliste du MHP pour conserver une majorité au Parlement, mais il a également dû passer des accords avec de petits partis islamistes. La Grande Assemblée nationale de Turquie a aujourd’hui un visage plus conservateur, plus nationaliste et plus anti-occidental qu’avant les élections.


Comment cela va se traduire pour la société turque ?

Le régime politique turc est un régime présidentiel, mais Recep Tayip Erdogan reste néanmoins très lié à la majorité parlementaire. Tout cela constitue une « ambiance », un discours, qui prennent pour cible les femmes, les LGBT et les Kurdes. Ce seront les grandes victimes de ces élections.

En ce qui concerne la minorité kurde, un certain nombre de fake news ont déjà été répandues pendant la campagne électorale, notamment à l’encontre de Kemal Kiliçdaroglu, le candidat du CHP. Erdogan a ainsi prétendu qu’il était un allié du groupe terroriste PKK, ce qui est faux. On voit mal dans ces conditions le président renouer avec le processus de paix abandonné en 2015.

 

Erdogan a promis qu’il réussirait à baisser l’inflation et à améliorer le pouvoir d’achat des Turcs. Avec une inflation officielle de 40 %, la politique économique actuelle est-elle soutenable ?

 

En bons rationalistes, on pourrait se dire que non. Il ne semble pas tenable de continuer à baisser les taux d’intérêt comme il le fait. Mais il y a une double dimension politique. La baisse des taux est marquée au coin de l’islamisme : l’usure est en effet un péché dans la religion. Par ailleurs, cette politique lui permet de distribuer de l’argent à tout un réseau de petites entreprises anatoliennes, qui constituent le coeur de sa base électorale. On ne voit donc pas très bien comment il va se sortir de cette affaire. Les pays du Golfe qui injectent actuellement des milliards de dollars dans le pays demandent également une gestion plus rationnelle de cet argent, mais en habile politique Erdogan parvient à déplacer l’attention sur les problèmes religieux et identitaires que traverse le pays.

 

Les relations avec l’Union européenne vont-elles encore se dégrader ?

 

Paradoxalement, l’Union européenne regardait avec inquiétude la campagne de son opposant du CHP, Kemal Kiliçdaroglu. Il avait en effet  un discours très dur envers les réfugiés syriens, qu’il voulait renvoyer chez eux. Il pointait du doigt le « deal » signé avec l’Europe en disant qu’il n’était pas question qu’Ankara continue à faire le travail de Bruxelles. Un sondage intéressant montre d’ailleurs que si les Turcs font confiance à Erdogan sur le plan économique, ils se fient davantage à Kiliçdaroglu sur le sujet des flux migratoires.

Aujourd’hui, la question est celle de la Syrie. Pour renvoyer les réfugiés, il faut que Bachar Al-Assad donne son accord, qu’il conditionne au retrait de l’armée turque du nord du pays. Or, ce retrait, Erdogan n’est pas prêt à le faire. Dans le dossier des réfugiés syriens, le président turc a haussé le ton dans l’entre-deux-tours de l’élection, car il sait que c’est un sujet de préoccupation pour la population. Or, si cette montée au créneau avait une dimension électorale évidente, cela ne veut pas dire qu‘il ne va pas renvoyer certains réfugiés chez eux. L’Union européenne devra suivre cela d’un oeil attentif.

 

Dans le dossier ukrainien, avec la réélection d’Erdogan, la Turquie va-t-elle continuer à jouer les équilibristes ?

 

Recep Tayip Erdogan est très proche de la Russie. Pour dire les choses simplement, il se sent mieux avec Poutine qu’avec Macron, avec lequel il a peu d’affinités. Sur le fond, il a certes négocié un accord sur le blé et poussé pour des échanges de prisonniers, mais il refuse d’infliger des sanctions à Moscou et continue à payer le gaz en roubles. Erdogan est un « profiteur de guerre », selon une formule utilisée par les diplomates.

Le problème aujourd’hui est que la Turquie est un membre de l’Otan et que la Russie a profité de la crise ukrainienne pour mettre un coin dans l’Alliance atlantique entre les pays occidentaux et la Turquie. La confiance est aujourd’hui rompue. Avec sa réélection, Erdogan devrait continuer à tenir un discours anti-Occident, mais il va se heurter à un certain nombre de réalités. Ankara a en effet besoin d’investissements, et l’élément économique, avec une inflation à deux chiffres, pourrait freiner certains élans du président réélu.

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