Le temps d’un week-end, un nouvel épisode s’est écrit dans la guerre commerciale qui oppose Donald Trump à l’Union européenne. Vendredi dernier, le président américain a annoncé sur son réseau Truth Social vouloir imposer de 50 % les produits importés de l’Union européenne à compter du 1er juin arguant que « les discussions ne vont nulle part ».
« Pourquoi 50 % », s’interroge Vincent Vicard, économiste et responsable du programme scientifique Analyse du Commerce International au CEPII. « Ce chiffre sort de nulle part et ne dit pas grand-chose. On a le sentiment d’une annonce totalement impulsive qui vise à accélérer les négociations et à se mettre en scène ».
Mais hier, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen et le président américain ont tous les deux annoncé une prolongation de la pause dans les droits de douane de 50 % jusqu’au 9 juillet. Avant d’embarquer dans Air Force One, Donald Trump s’est réjoui de la « très bonne conversation » qu’il a eu avec la présidente et qui lui a annoncé vouloir « entamer des négociations sérieuses ». « Sa stratégie repose en partie sur une navigation à vue », juge Vincent Vicard. « Il crée de l’incertitude, ce qui conduit à le mettre au centre du jeu. Désormais, tout le monde doit aller le voir pour négocier. Même ses conseillers ne connaissent pas vraiment sa stratégie ».
« Il revient en partie sur ce qu’il a annoncé, mais rarement à la situation initiale »
Pour Thomas Grjebine, responsable du programme « Macroéconomie et finance internationales » au CEPII, la stratégie du président américain n’est pas nouvelle puisqu’il l’a théorisé dès 1987 dans son livre « Trump : L’art de la négociation » : « Son objectif est de tenir une position de négociation très dure dès le départ », souligne l’économiste. « Ensuite, il revient en partie sur ce qu’il a annoncé, mais rarement à la situation initiale. Il peut y avoir un retour partiel en arrière selon les réactions des marchés financiers. Or, ce week-end, les marchés n’étaient pas ouverts donc ce n’est pas ça qui l’a fait reculer ».
Et selon l’économiste, cette stratégie de négociation peut fonctionner : « La presse a souligné que Donald Trump avait cédé devant la Chine, qui est rentrée dans une stratégie de surenchère. Or même s’il a réduit les droits de douane annoncés, il les a tout de même maintenus à un niveau inédit ».
« Tester la capacité des Européens à faire front commun »
Outre sa stratégie de négociation agressive, Donald Trump semble aussi vouloir tester la solidarité des pays membres de l’UE. Car au sein du marché commun européen, réside des divergences d’intérêts et des singularités propres à chaque Etat. « Il y a une volonté de tester la capacité des Européens à faire front commun », juge Vincent Vicard. « La Commission européenne est en première ligne, mais pour mener des négociations, elle a besoin du soutien de ses pays membres afin d’apporter une réponse collective ».
Pour le moment, les effets de la politique douanière de Donald Trump n’impactent que de manière marginale l’économie européenne. Lors d’une audition à la commission des finances du Sénat mercredi dernier, l’économiste Isabelle Méjean relevait des « effets modérés » avec une perte de 0,1 % de croissance en Europe. Mais tous les secteurs ne sont pas impactés de la même manière. Actuellement, la quasi-totalité des produits est soumise à une taxe dite « réciproque » de 10 % sauf l’acier, l’aluminium et les voitures qui sont taxés à 25 %. Des menaces de taxation sur les vins et spiritueux ont également été prononcées si des mesures de rétorsion venaient à être instaurées par l’UE.
« Une réponse coordonnée et forte »
« Certains pays ne sont pas très enclins à des représailles fortes contre les États-Unis comme l’Allemagne, l’Italie ou encore la Pologne », prévient Thomas Grjebine. « Les intérêts des Européens ne sont pas forcément alignés. La politique de Donald Trump a en tout cas comme conséquence de tester notre capacité à rester uni ». Pour Vincent Viard, l’UE semble résister aux velléités américaines : « Malgré la violence des mesures prises et la grande incertitude créée, la réponse est plutôt coordonnée et forte ».
Dès lors, que peuvent faire les Européens pour contrer la stratégie trumpienne ? Afin de justifier sa taxe de 50 %, le président américain a mis en avant le déficit commercial de 235 milliards de dollars (206 milliards d’euros) des Etats-Unis vis-à-vis de l’Union européenne sur les biens importés. Donald Trump oublie cependant de préciser que son pays est largement excédentaire sur les services échangés avec l’Europe, ce qui ramène son déficit commercial à 57 milliards de dollars (50 milliards d’euros).
« Est-ce que la surenchère fonctionne avec Donald Trump ? »
« Dans le secteur des services, il est possible d’élargir le champ des représailles commerciales », assure Vincent Vicard. « L’UE peut se servir de l’instrument anti-coercition qui pourrait permettre d’élargir la taxe sur les services numériques. Elle peut également limiter les droits de propriété intellectuelle des géants du numérique américain et ainsi toucher à leurs royalties ». Une incertitude plane cependant pour Thomas Grjebine : « Est-ce que la surenchère fonctionne avec Donald Trump ? »
Une plainte à l’OMC
Pour le moment, l’accalmie semble être de retour permettant ainsi la reprise des négociations. Dans le même temps, la Commission européenne a annoncé qu’elle allait saisir l’Organisation mondiale du commerce (OMC) contre les mesures commerciales des Etats-Unis dont elle s’estime victime. « Nous n’avons pas grand-chose à attendre de cette plainte », assure Vincent Vicard. « L’OMC n’a pas le pouvoir d’imposer une mise en conformité. C’est surtout une démarche symbolique de l’attachement de l’UE au système multilatéral. Une manière d’envoyer un message aux autres pays qui restent attachés aux règles du multilatéralisme ».
A de multiples reprises, les Etats-Unis ont porté atteinte au multilatéralisme notamment en rompant avec les accords de Bretton Woods et en imposant le dollar comme monnaie roi ou en contestant le rôle des institutions internationales. Avec sa politique protectionniste, Donald Trump ajoute une pierre à l’édifice de l’érosion du multilatéralisme. « La grande question désormais, prévient Vincent Vicard, est de savoir s’il est possible de maintenir le système économique en vigueur malgré le retrait du pays dominant ».