Paris : Launch of a conference on commercial policy
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Sanctions contre Thierry Breton : l’administration Trump « est moins sur un volet économique que sur un volet idéologique »

Après le conflit commercial entre l’Union européenne et les Etats-Unis, l’administration de Donald Trump pose les jalons d’un nouvel affrontement avec l’Europe en sanctionnant l’ancien commissaire européen Thierry Breton. Cette fois-ci l’administration Trump met en cause la régulation européenne du numérique.
Henri Clavier

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« Un vent de maccarthysme souffle-t-il à nouveau ? » C’est par cette formule que l’ancien commissaire européen, Thierry Breton a réagi sur X le 24 décembre à l’interdiction de séjour aux Etats-Unis dont il fait l’objet. Figure centrale de la commission européenne lors du premier mandat d’Ursula von der Leyen (2019-2024), le français a longtemps bataillé pour faire adopter le DMA et le DSA, deux textes européens qui permettent à l’Union européenne de réguler les marchés et services numériques. Une avancée majeure qui concerne principalement les géants américains de la tech.

Les deux textes européens imposent de nombreuses obligations aux plateformes numériques notamment relatives à la transparence sur le traitement des données et le fonctionnement algorithmique ou encore sur la modération du contenu sur les plateformes. En cas de non-respect, les plateformes s’exposent à des amendes massives, comme X qui s’est vu infliger une amende de 120 millions d’euros par la Commission européenne le 5 décembre 2025.

Outre Thierry Breton, quatre autres ressortissants européens ont été interdits de séjour aux Etats-Unis. Des mesures « inacceptables » pour Berlin, et qui « relèvent de l’intimidation et de la coercition à l’encontre de la souveraineté numérique européenne », pour le président français Emmanuel Macron. À Bruxelles, la Commission a indiqué avoir « demandé des clarifications aux autorités américaines ». « Si nécessaire, nous répondrons rapidement et de manière décisive pour défendre notre autonomie réglementaire contre des mesures injustifiées », a-t-elle protesté dans un communiqué.

Vers un nouvel affrontement

Dans un contexte d’hostilité croissante de l’administration américaine à l’égard des Etats européens, la manœuvre envoie un message clair estime Tristan Mendès France. « Il y a une dimension surprenante parce que Thierry Breton n’est plus en poste, ça ressemble plus à une punition qu’à une sanction. C’est plutôt la signification politique qui est à souligner, c’est un message politique qui est envoyé, le message est simple, il est que les Etats-Unis considèrent que leurs grandes entreprises numériques ne doivent pas être sanctionnées », explique le maître de conférences associé à l’Université Paris Cité et spécialiste des cultures numériques.

Un message supplémentaire après l’augmentation des droits de douane ou le renforcement de la contribution européenne au fonctionnement de l’Otan écartant l’idée d’une convergence naturelle entre les Etats-Unis et l’Union européenne. « Dans la droite ligne de la nouvelle stratégie de sécurité nationale américaine, cela montre que l’actuelle administration américaine veut forcer les Européens à ouvrir notre marché et fixer elle-même les règles du jeu tout en nous menaçant », juge pour sa part Thierry Chopin, professeur associé à Sorbonne Université.

D’un point de vue économique, le marché européen reste extrêmement dépendant des acteurs américains leaders en matière de services numériques et informatiques. Les « magnificent seven » regroupant Apple, Amazon, Meta, Microsoft mais aussi Nvidia et Google n’ont aucun équivalent européen et permettent notamment de rééquilibrer la balance commerciale entre les Etats-Unis et l’Union européenne avec un excédent de 108 milliards d’euros concernant les services. « Donald Trump poursuit un objectif qui n’est pas simplement le rééquilibrage de la balance commerciale, il cherche aussi à découdre les réglementations européennes », expliquait la chercheuse Elvire Fabry à publicsenat.fr en mars au moment où Donald Trump menaçait les pays européens de droits de douane.

« Ils voient qu’il y a une dynamique pour l’extrême droite en Europe et ces partis sont parfaitement en phase avec l’agenda idéologique américain »

« Contrairement à d’autres séquences, on est moins sur un volet économique qu’un volet véritablement idéologique. Ce que laisse entendre l’administration américaine c’est que c’est la politique européenne de réglementation qu’ils attaquent et notamment sur la modération des contenus », estime Tristan Mendès France qui s’étonne que des positions similaires ne touchent pas la Russie ou la Chine qui censurent largement les plateformes numériques américaines. Une idée déjà clairement énoncée par le vice-président américain, J.-D. Vance lors de la Conférence de Munich pour la sécurité le 14 février 2025. « En Grande-Bretagne et à travers l’Europe, la liberté d’expression, je le crains, est en retrait », déclarait alors l’ancien colistier de Donald Trump. Les agissements de ces personnes s’apparentent à de la « censure extraterritoriale » au détriment des intérêts américains, a justifié le chef de la diplomatie américaine, Marco Rubio, sur X.

Face aux sanctions visant les ressortissants européens, Thierry Breton s’est empressé de rappeler que le DSA et le DMA avaient été adoptés à l’unanimité des Etats membres et par 90 % des députés européens. A travers la défense d’une liberté d’expression « à l’américaine », l’objectif est d’apporter son soutien aux alliés idéologiques de l’administration Trump. Comme l’avait déjà fait J.D. Vance en février en rencontrant Alice Weidel, présidente du parti d’extrême-droite AfD, à quelques jours des élections législatives mais sans rencontrer le chancelier de l’époque, Olaf Scholz. « Ils voient qu’il y a une dynamique pour l’extrême droite en Europe et ces partis sont parfaitement en phase avec l’agenda idéologique américain. Cela conforte l’administration américaine dans son attaque symbolique puisque cela entre en résonance avec des discours développés au niveau européen », analyse Tristan Mendès France.

Une menace pour la capacité européenne de régulation ?

Une manière donc pour les Etats-Unis d’influencer la politique européenne tout en divisant l’Union européenne, sa capacité de régulation et d’indépendance stratégique. « Dans un tel contexte marqué par une véritable révolution des relations internationales, la situation critique à laquelle nous sommes confrontés a le mérite de clarifier l’objectif : l’enjeu de souveraineté européenne est désormais très clairement articulé sur celui d’indépendance », pointe Thierry Chopin. « Cela risque d’être de plus en plus compliqué de faire le poids face aux Etats-Unis pour agir et réguler compte tenu des vulnérabilités européennes. À l’inverse, cette pression pourrait être délétère pour les Etats-Unis en poussant les Européens à favoriser le renforcement d’une régulation et d’une indépendance numérique », abonde Tristan Mendès France. 

Pour l’heure, l’hostilité américaine semble plutôt pousser la Commission européenne à la prudence. En effet, le 19 novembre, l’exécutif européen a présenté un règlement omnibus numérique sur l’IA visant à apporter des modifications au règlement général sur la protection des données (RGPD) afin de faciliter le partage par les entreprises de données personnelles anonymisées. Ces modifications visent à permettre aux entreprises du secteur de l’IA d’utiliser légalement des données personnelles européennes — sous certaines conditions — pour entraîner leurs modèles de langage. Un règlement pour « stimuler les entreprises européennes de l’IA » assure la Commission européenne alors même que les entreprises américaines dominent largement le domaine de l’intelligence artificielle.

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