La bande de Gaza totalement coupée du reste du monde. Au sixième jour de la guerre déclenchée par l’attaque surprise du Hamas contre Israël, qui a fait au moins 1 200 morts, l’enclave palestinienne de 365 km², qui abrite plus de 2 millions d’habitants, est sous le feu de la riposte israélienne. Depuis ce week-end, la défense aérienne multiplie les bombardements sur la zone, dans l’espoir notamment de débusquer les dirigeants du mouvement islamiste. Lundi, le ministre de la Défense israélien, Yoav Gallant, a annoncé « le siège » de Gaza, ouvrant la voie à une éventuelle opération terrestre, accompagné d’un blocus complet de la zone. « Nous combattons des animaux humains et nous agissons en conséquence », a ajouté ce responsable gouvernemental.
Ces déclarations ont soulevé une vive inquiétude parmi les ONG et les structures humanitaires qui œuvrent dans la région, dans la mesure où la bande de Gaza est déjà dépendante à 80 % de l’aide humanitaire. Le taux de pauvreté y avoisine les 60 % selon les estimations, avec une moyenne d’âge de 18 ans. L’Organisation mondiale de la Santé a réclamé l’ouverture d’un couloir humanitaire pour « acheminer les fournitures médicales essentielles aux populations ». Un appel notamment relayé par les ONG médicales Médecins du Monde et Médecins sans frontières.
Pourtant ce jeudi, la tension est encore montée d’un cran. Le ministre israélien de l’Energie, Israël Katz, a fait savoir que Tel-Aviv ne permettrait pas l’entrée de produits de première nécessité ou d’aide humanitaire à l’intérieur de Gaza tant que les otages capturés par le Hamas n’auront pas été libérés. 150 ressortissants israéliens, binationaux ou étrangers se trouveraient dans la bande de Gaza après avoir été enlevés en marge de l’attaque menée par le groupe islamiste samedi. Le Comité international de la Croix rouge a indiqué, par la voix de son directeur régional pour la région Proche et Moyen-Orient, qu’il était en contact avec le Hamas et se tenait prêt à faciliter d’éventuelles libérations.
« Une punition collective »
« Le blocus total s’ajoute à un blocus partiel de quinze ans. On est sur une situation assez dramatique. Les stocks à l’intérieur de la bande de Gaza sont très limités. Ils vont s’estomper dans les jours, les heures qui viennent. C’est la vie de 2 millions de personnes qui pourrait être compromise », alerte auprès de Public Sénat Jean-François Corty, le vice-président de Médecins du Monde.
À la suite de l’arrivée au pouvoir du Hamas en 2006, Israël, avec l’appui de l’Egypte, a mis en place un premier blocus commercial sur les produits importés et des restrictions sur l’approvisionnement en électricité, limité à une dizaine d’heures par jour. Si l’enclave était maintenue en vie jusqu’à présent, il lui était impossible de se développer économiquement. Désormais, l’Etat hébreu a coupé ses fournitures en électricité et en eau potable, sur un territoire ou 97 % de l’eau courante est impropre à la consommation. « La riposte d’Israël ne peut se traduire par une campagne ininterrompue de bombardements massifs sur une zone densément peuplée et enclavée comme Gaza, ce qui revient à consciemment infliger une punition collective à la population de Gaza, assimilée à une cible légitime », dénonce Médecin sans frontières (MSF) dans un communiqué transmis à Public Sénat. Léo Cans, chef de mission de MSF pour la Palestine, évoque « plus de 1 400 morts » sous les bombardements.
La situation sur place
« Depuis samedi, la situation se dégrade très rapidement », rapporte Jean-François Corty. Son ONG, Médecins du Monde, compte une vingtaine de personnes sur place. « Ils sont désormais en difficulté pour assurer leur propre survie. D’autant qu’avec les bombardements, il est très difficile de sortir des maisons ». Les nouvelles arrivent au compte-goutte, lorsque les groupes électrogènes permettent de recharger, pour une poignée d’heures, les batteries des ordinateurs et des téléphones portables.
« Les hôpitaux sont passés sur une médecine de guerre, ce qui signifie qu’ils trient les malades. Dans les heures qui viennent les groupes électrogènes vont s’arrêter de fonctionner faute de fuel. Il ne sera plus possible de pratiquer de chirurgie ou de réanimation. Les hôpitaux vont collapser », explique le vice-président de Médecin du Monde.
Un dernier communiqué de l’ONU fait état d’« au moins 200 000 Palestiniens déplacés à l’intérieur de la bande de Gaza ». « Les villes de Marioupol en Ukraine et d’Alep en Syrie ont connu des situations de siège similaires, à la différence que les populations avaient eu le temps de quitter les lieux », relève encore Jean-François Corty.
Que dit le droit international ?
« L’imposition de sièges qui mettent en danger la vie des civils en les privant de biens essentiels à leur survie est interdite par le droit international humanitaire », a réagi le haut-commissaire de l’ONU aux droits de l’Homme, Volker Türk, dans un communiqué. Ce que l’on appelle communément le « droit international humanitaire » (DIH), désigne un ensemble de traités qui protègent les personnes présentes dans les zones de conflits sans participer aux combats. Le droit international humanitaire impose notamment un principe de distinctions : les pays belligérants sont tenus de différencier les civils des combattants militaires, ainsi que les biens civils (écoles, immeubles d’habitation, hôpitaux, lieux de culte…) des installations de défense.
La mise en place d’un corridor humanitaire suppose un accord entre les parties du conflit, pour permettre le transport sans danger d’un point A à un point B des blessées, de vivres, de matériel médical ou de première nécessité. « Les mots ‘Trêve humanitaire’ et ‘couloirs humanitaires’ ne font pas partie du vocabulaire en usage dans le DIH. Cependant, d’importantes règles du DIH peuvent encadrer les discussions relatives aux trêves et aux couloirs humanitaires », peut-on lire sur le site du Comité international de la Croix rouge. « Les blessés et les malades seront recueillis et soignés. Un organisme humanitaire impartial, tel que le Comité international de la Croix-Rouge, pourra offrir ses services aux Parties au conflit », indique notamment l’article 3 de la quatrième convention de Genève, signée le 12 août 1949.
Par ailleurs, le siège, défini comme une technique d’encerclement visant à couper l’ennemi de tout approvisionnement et à l’empêcher de se déployer, n’est pas à proprement parler interdit par les traités internationaux, à condition qu’il se concentre sur des cibles militaires. Dans ces conditions, les belligérants sont tenus d’assurer la protection des civils qui se retrouveraient bloqués sur place. « Les Parties au conflit s’efforceront de conclure des arrangements locaux pour l’évacuation d’une zone assiégée ou encerclée, des blessés, des malades, des infirmes, des vieillards, des enfants et des femmes en couches, et pour le passage des ministres de toutes religions, du personnel et du matériel sanitaires à destination de cette zone », explique article 17 de la quatrième convention de Genève.
Suspicion sur l’aide au développement
« Aujourd’hui, l’enjeu humanitaire à Gaza est triple », insiste Jean-François Corty. « Il faut un corridor pour faire entrer de l’eau, de la nourriture et des médicaments, et il faut sanctuariser les lieux de soins ». L’aide humanitaire pourrait transiter par l’Egypte, mais tant que l’opération militaire déployée par l’Etat hébreu reste dans sa phase active, tout acheminement à l’intérieur de l’enclave semble compromis. « Enfin, il faut arrêter de se poser des questions sur la pertinence d’une aide humanitaire aux territoires palestiniens. Il est tout à fait possible de tracer les dons », ajoute ce médecin de formation. Une référence au débat qui s’est ouvert en Europe sur la possible suspension des programmes d’aide aux Palestiniens, certains responsables politiques estimant que l’argent versé pour financer des projets de développement aurait aussi été capté par le Hamas.