Federal Chancellor Merz travels to Moldova
La présidente moldave pro-européenne Maia Sandu, entourée du Premier ministre polonais Donald Tusk, d'Emmanuel Macron et du chancelier allemand Friedrich Merz, ce mercredi à Chisinau.

« S’imposer en Moldavie est un moyen pour la Russie de peser sur la guerre en Ukraine » 

Emmanuel Macron est en visite ce mercredi en Moldavie, avec ses homologues allemand et polonais. Le président français soutient la présidente moldave pro-européenne face aux menaces d’ingérence russe, à un mois des élections législatives dans ce petit pays frontalier de l’Ukraine. La Russie peut-elle faire basculer dans son giron la Moldavie, comme elle l’a fait avec la Géorgie ? Eléments de réponse avec le chercheur Florent Parmentier.
Alexandre Poussart

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L’Europe unie face à la menace russe. C’est le message que sont venus porter Emmanuel Macron, le chancelier allemand Friedrich Merz et le Premier ministre polonais Donald Tusk, en visite ce mercredi à Chisinau, capitale de la Moldavie, à l’occasion du 34e anniversaire de l’indépendance de cette ex-république soviétique, à la frontière sud-ouest de l’Ukraine. Les dirigeants de ce qu’on appelle le Triangle de Weimar ont soutenu la présidente moldave pro-européenne Maia Sandu face à la menace d’ingérence russe, à un mois des élections législatives en Moldavie. Fin juillet, Maia Sandu a accusé la Russie de mener « une opération d’ingérence sans précédent pour contrôler son pays d’ici l’automne ».

Lors de son discours à Chisinau, Emmanuel Macron a dénoncé les manipulations électorales pilotées par Moscou. « La propagande du Kremlin nous explique que les Européens souhaitent prolonger la guerre et que l’Union européenne opprime les peuples. Ce sont des mensonges ». Il a assuré un « soutien déterminé à la Moldavie au cours des prochaines étapes de son parcours vers l’adhésion à l’Union européenne ».

Entretien avec Florent Parmentier, chercheur spécialiste de la Moldavie, associé au centre de géopolitique d’HEC et secrétaire général du Cevipof, le centre de recherches de Sciences Po.

Quel est l’objectif des trois dirigeants européens avec cette visite en Moldavie ?

Emmanuel Macron, Friedrich Merz et Donald Tusk sont venus soutenir très directement le parti pro-européen de la présidente Maia Sandu, le PAS (Parti Action Solidarité), actuellement majoritaire au Parlement moldave, à un mois des élections législatives. D’abord pour des raisons régionales. Dans le contexte de la guerre en Ukraine, la Moldavie est un partenaire important de l’Union européenne, et ce pour des raisons historiques. Parmi les 6 anciennes républiques soviétiques ayant conclu en 2009 l’accord de rapprochement avec l’Union européenne dit « partenariat oriental », la Moldavie est le seul partenaire solide aujourd’hui. Parmi les 5 pays autres signataires, l’Ukraine est fragilisée par la guerre qu’on connaît, la Biélorussie est sous emprise russe, la Géorgie a désormais un gouvernement pro russe, et l’Arménie et l’Azerbaïdjan ne se sont pas vraiment rapprochés des intérêts européens.

Et puis du point de vue de la politique intérieure moldave, les Européens souhaitent la victoire du parti de Maia Sandu. En octobre 2024, à une semaine de l’élection présidentielle en Moldavie (qui s’est soldée par la réélection de Maia Sandu), la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen était venue dans le pays pour annoncer un soutien économique important de la part de Bruxelles.

Une visite d’Emmanuel Macron pour soutenir surtout la lutte contre l’ingérence russe…

Oui depuis des années, le Kremlin s’est beaucoup investi pour déstabiliser le gouvernement pro-européen de Maia Sandu, via les réseaux sociaux, la fabrication de fausses nouvelles, l’achat de votes. A cela s’ajoutent les nombreuses visites à Moscou de partis moldaves pro russes, pour faire ensuite la promotion auprès des citoyens moldaves du gaz russe peu cher.

Depuis l’indépendance de la Moldavie en 1991, la Russie a toujours été présente dans ce petit pays de 2,6 millions d’habitants. Des soldats russes d’interposition sont présents depuis 34 ans à l’est du pays dans la région de Transnistrie. En 2001, le parti pro russe des communistes de Moldavie avait même décroché une large majorité aux élections (71 députés sur 101). Il y a 4 ans, la Moldavie importait son gaz exclusivement de Russie.

Mais avec la guerre en Ukraine, Maia Sandu a réussi à opérer un éloignement de la Russie, en diversifiant par exemple les approvisionnements énergétiques. Mais cela au prix de conséquences économiques néfastes : une inflation forte, une contraction de la richesse nationale produite, ce qui ternit l’image de la présidente moldave dans l’opinion. A l’approche de ces élections, les préoccupations des Moldaves sont surtout économiques.

Quelle est la réponse du gouvernement moldave pro européen à cette ingérence russe ?

D’abord il s’appuie sur la mission européenne de lutte contre la désinformation. Ensuite il a pris la décision d’interdire le parti pro russe Sor, du nom de l’oligarque Ilan Sor, coupable d’achats de voix (aujourd’hui exilé à Moscou). Ce mois-ci, la gouverneure pro russe de la province moldave de Gagaouzie a été condamnée pour financement illégal de campagne : une décision très politique face aux manipulations de la Russie. Cette lutte ferme contre l’ingérence russe a tendance à polariser la population en Moldavie : les pro-européens se félicitent de ce combat contre la propagande du Kremlin quand les oppositions pro russes crient à la censure et dénoncent un scandale démocratique.

Dans un mois, aux législatives, la Moldavie peut-elle basculer dans le camp pro russe, comme la Géorgie à la présidentielle de décembre 2024 ?

L’enjeu est de voir quelle sera l’ampleur de la majorité du parti pro européen, le PAS. Est-ce qu’il va conserver une majorité absolue supérieure à 51 sièges, comme actuellement avec 63 sièges, ou seulement une majorité relative et il aura alors trois mois pour former un gouvernement de coalition ? Face à lui, il y a une coalition de partis pro russes communistes et socialistes, le Bloc des Patriotes, qui défendent une reprise des relations avec la Russie et avec les Etats-Unis de Donald Trump.

Au niveau stratégique, que représente la Moldavie pour Vladimir Poutine ?

S’imposer en Moldavie via cette élection serait une manière pour la Russie de couper l’herbe aux Européens mais surtout de peser sur le conflit en Ukraine. On voit mal comment les Moldaves, même sous gouvernement pro russe, pourraient aller combattre les Ukrainiens, mais il y a des soldats russes en Transnistrie. Si l’armée russe réussit à prendre Odessa, la situation pourrait changer radicalement pour la Moldavie. La Transnistrie deviendrait un point d’appui important de la Russie qui affaiblirait l’Ukraine en multipliant les fronts et en dispersant leurs forces.

Pour quelles raisons ces soldats russes sont-ils présents en Moldavie ? Ce n’est pas une violation de l’intégrité territoriale du pays ?

Ces 1 500 soldats russes sont présents en Transnistrie en vertu d’un accord de cessez-le-feu en Moldavie en 1992. En janvier 1992, un conflit a éclaté entre l’armée moldave et les forces russophones de Transnistrie. 6 mois plus tard, Moldavie et Russie concluaient un accord de cessez-le-feu avec une force d’interposition de soldats russes dans cette région. Depuis 33 ans, un seul mort est à déplorer durant ce cessez-le-feu, et pour des raisons accidentelles.

Où en est la procédure d’adhésion de la Moldavie à l’UE ?

Sur le même rythme que l’adhésion de l’Ukraine, la candidature officielle de la Moldavie a été reconnue par l’Union européenne en juin 2022, et les négociations se sont ouvertes en décembre 2023. Et les choses pourraient avancer plus vite que pour l’Ukraine car la Moldavie est un petit pays plus facile à intégrer. Les lois européennes sont déjà traduites en roumain, la langue officielle. Le gouvernement moldave table sur une adhésion en 2028.

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