Le président chinois Xi Jinping et la Première dame Peng Liyuan accueillent le Premier ministre indien Narendra Modi, le 31 août à Tianjin (Chine), lors du sommet international de l’Organisation de coopération de Shangaï. Sergei Bobylev/POOL/TASS/Sipa USA/63685230/BF/2509011116
Le président chinois Xi Jinping et la Première dame Peng Liyuan accueillent le président indien Narendra Modi, le 31 août à Tianjin (Chine), lors du sommet international de l'Organisation de coopération de Shangaï. Sergei Bobylev/POOL/TASS/Sipa USA/63685230/BF/2509011116

Sommet de Tianjin : « La Chine veut montrer l’unité des pays du Sud global contre la guerre commerciale des Etats-Unis »

La Chine organise depuis hier à Tianjin un sommet international réunissant des dizaines de pays eurasiatiques, dont plusieurs puissances réputées hostiles à l’Occident, comme la Russie, l’Iran, la Turquie et la Corée du Nord. Le grand rival indien est également présent. Quelle est la stratégie de Pékin avec ce sommet ? Eléments de réponse avec Valérie Niquet, chercheuse spécialiste de l’Asie, membre de la Fondation pour la Recherche stratégique.
Alexandre Poussart

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« Une mentalité de guerre froide ». C’est ce qu’a dénoncé le président chinois Xi Jinping en visant sans les citer les Etats-Unis, lors de l’ouverture du sommet de l’Organisation de coopération de Shangaï qu’il préside dans la ville portuaire de Tianjin. Avec cet événement, le régime chinois réunit une trentaine de chefs d’Etat et de gouvernement, dont la Russie de Vladimir Poutine, l’Inde, l’Iran et la Turquie. Le président Xi Jinping a plaidé lundi pour « un monde multipolaire juste et ordonné », ainsi qu’une « gouvernance plus juste et raisonnable ». Vladimir Poutine a lui justifié son invasion et dénoncé « les efforts constants de l’Occident pour entraîner l’Ukraine dans l’Otan ». Les participants de ce sommet ont également condamné les frappes menées par Israël en Iran en juin, ainsi que les victimes civiles à Gaza. Ce sommet sera suivi d’un défilé militaire, mercredi à Pékin, en présence du dirigeant nord-coréen Kim Jong Un et du président russe.

 

Entretien avec Valérie Niquet, chercheuse spécialiste de la Chine et de l’Asie du Sud-Est, membre de la Fondation pour la Recherche stratégique 

Quel est le but de la Chine avec ce sommet international ? 

Ce sommet se tient dans le cadre de l’Organisation de coopération de Shangaï, une institution qui n’est pas nouvelle puisqu’elle a été créée au début des années 2000. Mais le président chinois Xi Jinping veut utiliser cette réunion comme une vitrine montrant l’unité des pays dits du « Sud global » contre la guerre commerciale des Etats-Unis. Un front uni s’est formé contre Donald Trump à cause de la hausse des droits de douane qu’il a lancée depuis son retour à la Maison Blanche, c’est ce qui explique que ce sommet de Tianjin rassemble à la fois des alliés traditionnels de Pékin comme la Russie, mais des pays avec qui le régime chinois avait des relations plutôt tendues par le passé comme l’Inde et le Vietnam.

Cette guerre commerciale crée un front anti-Trump et affaiblit la Chine également ? 

Oui les Chinois négocient depuis des mois avec Washington pour trouver une issue à la guerre des droits de douane que leur a déclarée par Donald Trump (Ndlr : actuellement des droits de douane de 30% sur les produits chinois sont maintenus par les Etats-Unis tandis que la Chine a fixé des droits de douane de 10% sur les produits américains). La Chine profite de ce sommet pour défendre les règles de libre-échange de l’Organisation mondiale du commerce. Elle souhaite qu’un maximum de marchés dans le monde restent ouverts, car la croissance chinoise dépend des exportations. Par exemple, une hausse des droits de douane sur l’automobile va à l’encontre des intérêts chinois. Sous couvert de critiquer une « mentalité de guerre froide », les Chinois veulent en réalité apaiser leurs relations avec les Etats-Unis pour lever ces sanctions commerciales.

Ce sommet c’est aussi l’occasion de dénoncer les valeurs de l’Occident ?

Effectivement la Chine répète ce discours depuis des années pour mieux rassembler ces pays du Sud. Pékin veut s’afficher comme une puissance qui n’impose pas ses valeurs aux autres, et dénonce les ingérences extérieures. Chaque régime doit pouvoir faire ce qu’il veut dans son pays.

Cela peut paraître surprenant de voir à ce sommet l’Inde, grand rival régional de la Chine…

Oui, mais l’Inde subit de plein fouet des droits de douane de 50% sur ses produits entrant aux Etats-Unis. Elle a donc besoin de renouer avec la Chine et d’oublier leurs tensions historiques… Ces tensions sont fortes depuis la guerre sino-indienne de 1962. Le contentieux frontalier existe toujours. Ces deux puissances ont eu aussi par le passé une rivalité pour prendre le leadership des pays dits du Tiers-monde, et aujourd’hui la Chine est le premier fournisseur d’armes au Pakistan, l’ennemi de l’Inde (Ndlr : une guerre de 4 jours a éclaté entre l’Inde et Pakistan en mai dernier). C’est la raison pour laquelle le Premier ministre indien Narendra Modi n’assistera pas au défilé militaire à Pékin, ce mercredi.

Du côté des alliés traditionnels de la Chine, le président russe Vladimir Poutine profite de ce sommet pour s’afficher aux côtés de son protecteur chinois ? 

Je ne dirais pas que la Chine est le protecteur de la Russie, mais qu’elle partage des intérêts communs avec Moscou, ce qu’ils appellent « leur amitié sans limites ». Vladimir Poutine veut se servir de ce sommet pour montrer qu’il occupe une position équilibrée entre les Etats-Unis de Donald Trump, qui l’a reçu en grande pompe en Alaska cet été, et son ami le président chinois Xi Jinping. Vladimir Poutine veut rappeler qu’il n’est pas prisonnier de sa nouvelle alliance avec Donald Trump.

Le secrétaire général des Nations Unies est également présent à ce sommet de Tianjin. Est-ce que Pékin souhaite obtenir une place centrale au sein des institutions internationales alors que Donald Trump s’en éloigne ? 

La Chine met toujours en avant la centralité de l’Organisation des Nations unies, mais elle développe plutôt des institutions parallèles qui d’ailleurs n’ont pas une grande efficacité. Au-delà de son discours et de l’image qu’elle veut renvoyer, le rôle de la Chine sur la scène internationale n’est pas si important. Les Chinois ne sont pas très enthousiastes à l’idée d’intervenir en Ukraine contrairement à ce que prétend la Russie. Au Moyen-Orient, elle est très peu présente pour répondre aux offensives d’Israël (notamment contre son allié iranien). En réalité, la Chine est centrée sur ses propres intérêts : garder des marges de manœuvre dans sa région, poursuivre son développement économique et maintenir sa stabilité politique. Ces derniers mois, il y a eu des tensions sociales dans le pays à cause du ralentissement de la croissance (4%).

Une séquence qui a aussi une forte dimension sécuritaire avec le défilé prévu mercredi à Pékin, où la puissance militaire chinoise va être exhibée en présence de Vladimir Poutine et du dirigeant nord-coréen Kim Jong Un…

Ce défilé s’inscrit dans le cadre du 80e anniversaire de la fin de la Seconde guerre mondiale en Asie. Cela correspond à la capitulation du Japon. Ce défilé a une vocation mémorielle dans laquelle le régime chinois dépeint le Parti communiste comme celui a sauvé la Chine en 1945, alors qu’en réalité il a peu participé aux opérations contre le Japon, contrairement à l’armée de la République de Chine dont le gouvernement s’est exilé à Taïwan en 1949. Ce défilé c’est une manière pour la Chine d’envoyer un message de supériorité au Japon, rival historique.

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