Russia: Russia-Africa Forum: plenary session
RUSSIA, ST PETERSBURG - JULY 27, 2023: Russia's President Vladimir Putin (R) and President of the Arab Republic of Egypt Abdel Fattah el-Sisi shake hands as they pose for a photograph ahead of the plenary session of the Russia-Africa Economic and Humanitarian Forum at the Expoforum Convention and Exhibition Centre. Mikhail Metzel/TASS/Sipa USA Host Photo Agency/47522573/AK/2307271730

Sommet Russie / Afrique : « En Afrique, la Russie reste un nain économique »

Les 27 et 28 juillet, Vladimir Poutine reçoit, dans le cadre du sommet Afrique / Russie, 17 chefs d’Etats africains ainsi que plusieurs dizaines de délégations. Un point d’étape majeur pour la relance de la coopération russo-africaine après un premier sommet en 2019. Quatre ans après la première rencontre, Djenabou Cissé, chargée de recherche Afrique à la Fondation pour la recherche stratégique, revient sur les enjeux de ce sommet, en particulier du point de vue des Etats africains.
Henri Clavier

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Seulement 17 chefs d’Etat africains participent à ce sommet avec la Russie contre 45 en 2019, comment expliquer ce recul ?

Deux facteurs expliquent la faible participation des chefs d’Etats africains au sommet avec la Russie par rapport à 2019. Le premier sommet avait été un succès diplomatique avec une déclaration finale qui annonçait 92 protocoles d’accord. Mais dans les faits, ces protocoles ne se sont jamais vraiment concrétisés et les retombées économiques concrètes pour le continent africain n’ont pas été à la hauteur. Le premier sommet suscitait beaucoup d’espoirs pour des pays souvent invisibilisés de la scène internationale et la Russie laissait espérer une collaboration d’égale à égale. Le deuxième point c’est évidemment l’isolement international de la Russie qui contrebalance une coopération en expansion. La plupart des pays africains cherchent à diversifier leurs partenariats, or si le chef d’Etat se rend au sommet, cela équivaut à prendre des risques. Le danger est que les pays occidentaux assimilent une participation à un rapprochement trop important avec la Russie, donc la prudence domine pour beaucoup de pays qui défendent le non-alignement.

Cela s’explique-t-il par des pressions diplomatiques de la part des puissances occidentales ?

Les pressions occidentales n’ont peut-être pas joué un rôle si important. La plupart des positions étaient actées avant que les Occidentaux ne cherchent à décourager les chancelleries africaines. Il y a une volonté d’émancipation et si, par exemple, la République démocratique du Congo s’est désistée ce n’est pas à cause de menaces mais plutôt par volonté de garder des relations équilibrées et diversifiées.

N’est-ce pas un désaveu pour la Russie ? Une remise en question de sa capacité à nouer des partenariats économiques durables ?  

Toute la question de fond est de savoir si la Russie est en mesure d’établir une relation économique privilégiée avec le continent africain. La réponse semble plutôt négative, le sommet de 2019 a beaucoup déçu et la coopération économique n’en sort pas vraiment renforcée. Il faut rappeler que Poutine avait promis une multiplication par deux des échanges entre les deux zones économiques pour la période 2019-2024. A l’arrivée les échanges ne se sont pas intensifiés et ont même reculé, notamment à cause du covid-19. Donc le sommet de Sotchi en 2019 a montré le décalage entre la rhétorique russe et sa capacité à mettre en œuvre des moyens économiques importants sur le continent. En Afrique, la Russie reste un nain économique, et, par exemple, l’Inde investit beaucoup plus sur le continent. En plus, la Russie n’a pas fourni d’aide au développement. Globalement il y a une déception et les Etats africains ont pris la mesure de ce qui s’apparente à une opération séduction.

Concrètement quels sont, actuellement les principaux domaines de coopération économique entre l’Afrique et la Russie ?

Certains domaines restent incontournables, notamment l’armement. La Russie est le premier fournisseur d’armes du continent africain. L’énergie est aussi un secteur clé pour la Russie qui doit trouver des portes de sortie pour ses exportations de gaz. L’entreprise publique russe, Rosatom, a signé des protocoles d’accord avec déjà 18 pays avec la volonté de créer des partenariats durables avec des Etats africains comme le Nigéria ou le Rwanda sur le nucléaire. Ces deux éléments représentent l’essentiel de la coopération économique russo-africaine. La sécurité est aussi devenue un point clé de la coopération et de l’influence russe sur le continent. Pour une raison simple, la Russie a refusé de demander des contreparties aux pays africains, notamment sur les questions de gouvernance et des droits humains, cette dimension facilite la coopération. Pour des Etats comme la Centrafrique ou le Mali, le partenariat était clair, la Russie apporte de la sécurité, via Wagner, en échange de quoi ces derniers bénéficient d’un accès à un certain nombre de ressources stratégiques.

Doit-on s’attendre à une extension de l’influence russe en Afrique ?

Il y a peut-être un début de lassitude par rapport à la Russie comme on a pu l’observer envers la Chine. Les Etats africains ont compris que les prêts chinois étaient des cadeaux empoisonnés. Actuellement, les pays africains n’attendent plus grand-chose de la Russie. Même certains alliés historiques comme l’Afrique du Sud qui entretient des liens avec la Russie depuis la période soviétique où l’URSS avait apporté son soutien contre l’apartheid. De manière globale le soutien de l’URSS aux luttes décoloniales permettait de poser les bases idéologiques du rapprochement avec les pays africains. En revanche, l’Afrique du Sud n’est pas un allié aveugle de la Russie et est conscient des limites du Kremlin.

Finalement est-ce que l’influence russe ne s’est pas développée grâce à une présence plus récente sur le continent ?

En partie, sur le plan de la sécurité et du recours à Wagner ; effectivement l’absence d’histoire coloniale de la Russie a joué. Ils ont profité d’une forme de jeunesse sur le continent avec une image qui n’était pas contestée contrairement aux anciennes puissances coloniales comme la France. D’ailleurs Wagner, qui a été le principal outil d’expansion de l’influence russe, a capitalisé sur le sentiment anti-français au Sahel pour se faire une place. En revanche, de plus en plus d’éléments laissent penser que ce partenariat n’est pas vraiment gagnant-gagnant. Au Mali en particulier, il y a un risque très important de contestation populaire. Wagner est accusé de cibler des populations civiles et de commettre des exactions contre elles dans ses opérations anti-terroristes. Par ailleurs, la société militaire se révèle inefficace pour lutter contre le terrorisme, la sous-secrétaire d’Etat américaine, Bonnie Jenkins, faisait état d’une augmentation, en 2022 de 30 % des actions terroristes dans la région. Plus ils seront actifs, plus le sentiment pro-russe s’effritera.

La fin de l’accord sur les exportations de céréales peut-elle donner une nouvelle tournure au sommet ?

Côté africain il y a une insatisfaction concernant la non-reconduction de l’accord sur les céréales. L’Union africaine s’est exprimée et craint pour la sécurité alimentaire de plusieurs pays, en plus de regretter la position de la Russie. Il y a une dépendance africaine aux céréales ukrainiennes mais surtout aux céréales russes. C’est un coup de poker de la part de Poutine, et le timing du retrait, quelques jours avant le sommet, accrédite cette lecture. La suspension de l’accord était un moyen de rejeter la faute sur les Occidentaux et de pousser ses partenaires africains à se retourner contre les Européens et les Etats-Unis et demander une atténuation des sanctions qui frappent la Russie. Vladimir Poutine a voulu montrer patte blanche en s’engageant à livrer gratuitement des céréales aux pays les plus en difficulté. Le Kremlin compte aussi profiter de la situation pour nouer de nouveaux accords et partenariats dans ce domaine avec les pays africains.

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