Syrie : Pour le Kremlin, la chute du régime de Bachar al-Assad est un revers géopolitique majeur
MOSCOW REGION, RUSSIA - NOVEMBER 9, 2020: Russia'''s President Vladimir Putin during a video conference meeting with Syria'''s President Bashar al-Assad (on the screen) at the Novo-Ogaryovo residence. Alexei Nikolsky/Russian Presidential Press and Information Office/TASS/Sipa USA/31373480/AK/2011091201

Syrie : « Pour le Kremlin, la chute du régime de Bachar al-Assad est un revers géopolitique majeur »

La fuite du président syrien Bachar al-Assad, chassé par les rebelles islamistes en dépit du soutien de la Russie, rebat les cartes au Moyen-Orient. Pour le général Dominique Trinquand, ancien chef de la mission militaire française auprès de l'ONU, cette situation illustre l’affaiblissement d’une Russie incapable de maintenir ses ambitions internationales, car vampirisée par la guerre qu’elle a déclenchée en Ukraine.
Romain David

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En quelques jours, la reprise en main des principales villes syriennes par le groupe islamiste Hayat Tahrir al-Cham (HTS) et la chute inattendue du régime Baas de Bachar al-Assad, après 14 ans de guerre civile, marque un revirement géopolitique d’ampleur au Moyen-Orient. Mais aussi un camouflet pour Vladimir Poutine. La Russie, principale alliée de Damas depuis 2015, n’a pas été en mesure de voler au secours de son allié, vraisemblablement accaparée par le front ukrainien. Désormais, Moscou pourrait perdre ses points d’appuis en Méditerranée, ce qui ne serait pas sans conséquence sur la politique du Kremlin dans la région.

Interrogé par Public Sénat, le général Dominique Trinquand, ancien chef de la mission militaire française auprès de l’ONU à New York, auteur de D’un monde à l’autre aux éditions Robert Laffont, y voit « la fin du rêve impérial russe » que voulait réactiver Vladimir Poutine. Entretien.

La chute éclair du régime de Bachar al-Assad, encore impensable il y a quelques semaines, s’explique-t-elle parce que l’attention de ses deux principaux soutiens, Moscou et Téhéran, était accaparée par d’autres théâtres d’intervention ?

« Ça n’est pas tant l’attention que les moyens de ses soutiens qui ont été mobilisés par d’autres prérogatives. La Russie est occupée par l’Ukraine où elle avance assez mal. Elle a dû alléger son dispositif en Syrie, notamment avec un redéploiement de son aviation. Quant à l’Iran, le régime des Mollahs se préoccupe surtout de sa survie, redoutant une intervention de l’armée israélienne. Pour résumer, Bachar al-Assad s’est heurté à l’incapacité de ses soutiens à tenir leurs engagements.

Comment expliquer l’intérêt stratégique que représente la Syrie aux yeux des Russes ?

Il faut se souvenir qu’en 2015, l’intervention militaire de la Russie sur place a permis à Bachar al-Assad de se maintenir face à l’opposition syrienne. Les Russes ont un intérêt géostratégique dans la région, avec la base navale de Tartous, seul port russe en Méditerranée, et la base aérienne de Khmeimim, qui a surtout servi de plateforme à l’aviation russe pour se projeter en direction de l’Afrique. Moscou avait préféré soutenir le gouvernement en place plutôt que d’entamer des discussions complexes avec les rebelles syriens qui formaient alors une opposition très hétéroclite. À l’époque, Vladimir Poutine venait d’annexer la Crimée sans coup férir, ses forces militaires pouvaient se concentrer sans difficultés sur la Syrie, ce qui n’est plus le cas désormais.

Quel avenir, aujourd’hui, pour ces deux bases militaires ?

Les Russes ont fait savoir qu’elles étaient en état d’alerte. Ceci dit, nous savons que des navires russes ont quitté Tartous sous prétexte d’exercices, et que des avions-cargos ont été envoyés à Khmeimim. Nous pouvons donc en conclure que le nouveau pouvoir syrien inquiète suffisamment les Russes pour organiser l’évacuation de ces deux bases. Néanmoins, il est certain que Moscou va tenter de négocier avec les islamistes de Hayat Tahrir al-Cham pour préserver son implantation dans la région.

Si la Russie devait renoncer à sa présence militaire en Syrie, quelles conséquences géopolitiques cela aurait-il ?

Pour le Kremlin, il s’agit d’un revers géopolitique majeur. La Russie risque d’être privée d’accès aux mers chaudes. Rappelons qu’elle a déjà perdu le port de Sébastopol, obligeant sa flotte en mer Noire à se replier vers la Géorgie. Au nord, Saint-Pétersbourg est maintenant ouvert sur une mer Baltique largement contrôlée par l’Otan depuis que la Finlande et la Suède ont rejoint l’organisation. D’une certaine manière, la chute du régime de Bachar al-Assad marque le début de la fin du rêve impérial russe, avec des visées qui se rétrécissent en Baltique, en mer Noire, et désormais en Méditerranée. Par ailleurs, la Russie a accordé son soutien à plusieurs régimes autoritaires sur le continent africain. Le fait que Moscou ait laissé tomber la Syrie va les pousser à se poser des questions…

La chute du régime de Bachar al-Assad illustre à nouveau les limites de la puissance militaire russe. Peut-on en tirer des leçons sur ce qu’il pourrait advenir en Ukraine, bientôt trois après le début de l’invasion russe ?

Pour l’heure je ne vois pas de conséquences directes sur l’Ukraine. Mais notons que les navires qui étaient stationnés à Tartous disposaient de lance-missiles qui représentaient une menace sur le flanc sud de l’Europe.

De manière indirecte, Vladimir Poutine se rend compte de la limite de ses capacités, ce qui devrait le pousser à se concentrer sur le Dombass, dans l’est de l’Ukraine. À l’heure où des négociations pour la paix pourraient s’ouvrir, ce serait une lourde défaite pour lui que de s’asseoir à la table des discussions sans avoir le contrôle des quatre oblats qu’il a annexés. Je note qu’en sortant de sa rencontre avec Emmanuel Macron et Donald Trump ce week-end, Volodymyr Zelensky a déclaré qu’une ‘paix par la force [était] possible’, ce qui signifie qu’il ne négociera que par le rapport de force. Enfin, dans l’interview qu’il a accordée à la NBC, diffusée dimanche mais enregistrée avant cette rencontre, Donald Trump s’est montré plutôt hésitant sur la question du soutien américain à l’Ukraine, même s’il laisse entendre que Kiev doit s’attendre à une baisse. Cette hésitation est aussi une manière de mettre la pression sur les Russes.

» LIRE AUSSI – « Poutine est en train d’orchestrer des guerres de nouvelles formes », alerte Bernard Guetta

Dernière question : quel avenir pour Bachar al-Assad ? Selon les agences russes, le dirigeant déchu et sa famille ont trouvé refuge à Moscou. Est-il aujourd’hui un dictateur en exil ou un otage aux mains de Poutine, qui pourrait servir de monnaie d’échange dans d’éventuelles tractations entre le Kremlin et les islamistes ?

Le drapeau de la révolution syrienne a déjà remplacé celui du régime Baas sur l’ambassade de Syrie à Moscou, la donne a changé. Bachar al-Assad ne sera pas un instrument de négociation. Les Syriens se sont débarrassés de lui et ils veulent passer à autre chose. »

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