Syrie : un mois après la chute de Bachar al-Assad, « c’est maintenant que les choses sérieuses vont commencer », indique Gilles Kepel

De nombreux Syriens fêtent encore le renversement de l’ancien dictateur, depuis le 8 décembre dernier, mais d’autres s’inquiètent aussi des signes annonciateurs du programme des islamistes radicaux arrivés au pouvoir. Pour le spécialiste de l’islam et du monde arabe, le principal défi du nouveau régime sera « dans quelle mesure la Syrie pourra réintégrer l’ordre international ». Interview.
Quentin Gérard

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Il y a tout juste un mois, Bachar al-Assad était renversé par les rebelles islamistes de Hayat Tahrir al-Cham (HTC), ce qui donnait lieu à des scènes de liesse dans tout le pays. Depuis, les nouveaux maitres de Damas peinent à convaincre l’ensemble des habitants. Certains pointent des premiers signaux, comme la place des femmes ou la réécriture des manuels scolaires.

Les pays occidentaux sont également attentifs à ce qu’il se passe. Ce mercredi 8 janvier, le ministre des Affaires étrangères français, Jean-Noël Barrot, a fait savoir que certaines sanctions contre la Syrie imposées par l’Union européenne « pourraient être levées rapidement ». Mais « nous ne faisons pas de chèque en blanc au nouveau régime », a insisté le chef de la diplomatie.

Pour Gilles Kepel, politologue et spécialiste du monde arabe, l’un des défis du nouveau gouvernement sera de « réintégrer la Syrie dans l’ordre international au moment où il y a un certain nombre d’inquiétudes ». Dans le pays, « une conférence de réconciliation doit se tenir dans quelques jours », indique l’auteur de « Le Bouleversement du Monde », pour qui « ça sera un test très important des intentions du régime par-delà les bonnes paroles ».

Un mois après la chute de Bachar al-Assad, ce qu’il se passe en Syrie est-il une bonne nouvelle pour la population locale ?

Tout d’abord, les Syriens sont soulagés que Bachar al-Assad soit tombé. Depuis 50 ans, c’était la dictature. Tout le monde avait peur d’aller en prison et de disparaître. Pour l’instant, la population est encore sous le choc. Pour beaucoup de gens, c’est tout neuf. Ceux qui ont moins de 50 ans n’ont rien connu d’autre que les Assad. Maintenant, on va voir ce qu’il va advenir. Ceux qui ont pris le pouvoir sont d’anciens djihadistes, certes assagis, recyclés et passés par le média training d’Al Jazeera. Ils sont en train de rechercher des alliances de tous les côtés, notamment en Arabie saoudite, aux Emirats Arabes Unis, sans oublier le Qatar et la Turquie qui étaient déjà leur parrain.

 Ensuite, ils vont avoir plusieurs défis. Déjà, dans quelle mesure la Syrie pourra réintégrer l’ordre international au moment où il y a un certain nombre d’inquiétudes. Notamment après la visite de la ministre des Affaires étrangères allemande à qui Ahmad al-Chareh [le nouveau dirigeant de la Syrie] a refusé de serrer la main en bon salafiste. 

On verra aussi si les droits des différentes communautés, à savoir les chrétiens, musulmans chiites, musulmans sunnites, druzes, alaouites et autres sont respectés. Mais aussi s’il y aura un consensus démocratique global. Pour le moment, le régime des sanctions est maintenu à titre provisoire en attendant que le nouveau gouvernement donne la preuve des institutions démocratiques qu’il mettra en place. Une conférence de réconciliation nationale doit se réunir dans les prochains jours. Ça sera un test très important des intentions du gouvernement par-delà les bonnes paroles.

Le risque n’est-il pas que la Syrie, à l’instar de l’Afghanistan, soit gouvernée par la Charia ?

La différence est que la Syrie n’est pas un pays isolé dans ses montagnes comme l’Afghanistan, mais placé au cœur du Moyen-Orient, à côté du Liban. Ils ont un énorme besoin d’argent, de reconstruction et seront dépendants de la communauté internationale. On voit bien les différents rapports de force qui sont en train de se mettre en place. Qu’est-ce qu’ils vont devenir ? C’est difficile de savoir. Je me souviens aussi de la Libye après Kadhafi, où il y avait un immense espoir. La société était folle de joie, on pouvait aller partout, ça me rappelle la situation actuelle en Syrie. C’est la raison pour laquelle, aussi bien les Etats-Unis que l’Union européenne, restent vigilants pour les suites immédiates. C’est maintenant que les choses sérieuses vont commencer.

Qu’en est-il de l’avenir des femmes dans le pays ?

On a vu que dans les nouveaux cursus scolaires, les salafistes radicaux ont essayé d’imposer leur agenda. Donc la marginalisation des femmes et l’importance de l’islam à la place du nationalisme. Des dignitaires religieux comme les chrétiens, druzes et autres se sont fait entendre sur le sujet. Je crois qu’aujourd’hui, tout le monde est en train de construire l’équilibre du rapport de force qui sera celui du gouvernement à venir, y compris sur ce sujet.

Les djihadistes français en Syrie peuvent-ils représenter une nouvelle menace terroriste ?

Il y en a deux types. Ceux qui vivaient dans la région d’Idlib, autour d’Omar Omsen en particulier, qui sont venus à Damas avec les vainqueurs. Ceux-là semblent être assez bien tenus par le nouveau pouvoir. En revanche, ceux qui posent le plus de soucis sont toujours incarcérés par les Kurdes, dans le nord-est du pays, parmi lesquels il y a des gens extrêmement radicaux, comme des cadres de Daesh. Et on ne sait pas encore ce qu’il va se passer dans cette partie de la Syrie. Le nouveau gouvernement refuse une autonomie kurde, souhaite que les forces kurdes rendent leurs armes. Et évidemment, en Europe, on est inquiet sur le fait que les djihadistes de Daesh soient gardés par les gens qui étaient leur camarade de combat il y a quelques années. Ça fait partie des négociations qui vont se jouer entre l’Union européenne et le nouveau gouvernement de Damas.

Propos recueillis par Antoine Joubeau.

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