Un gouvernement RN peut-il paralyser le Conseil des ministres de l’Union européenne ?

« Traumatisée par le retrait américain », l’Allemagne comme nouveau fer de lance de la défense européenne ?

Dans une Allemagne teintée d’inquiétude face aux discours offensifs venus des États-Unis et à la guerre en Ukraine, les électeurs ont finalement voté pour le retour de la droite au pouvoir. Juste après sa victoire, Friedrich Merz, le prochain chancelier allemand désigné, s’est dit prêt à travailler à « une capacité de défense européenne autonome » pour assurer la sécurité du pays. Une prise de position forte, tranchant avec la vision atlantiste longtemps défendue par Berlin.
Théodore Azouze

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Lui-même semble surpris par sa propre déclaration. Juste après sa victoire, le prochain chancelier allemand désigné Friedrich Merz, arrivé en tête avec la CDU aux élections législatives allemandes dimanche 23 février, a adressé quelques-uns de ses premiers mots au sujet du contexte géopolitique tendu des dernières semaines. Le dirigeant évoque une de ses nouvelles priorités au pouvoir : pousser pour mettre en place « une capacité de défense européenne autonome » en guise d’alternative à « l’Otan dans sa forme actuelle ».

Cela n’a l’air de rien, mais en quelques phrases, Friedrich Merz vient de battre en brèche la ligne tenue par son parti depuis des décennies : celle d’un atlantisme assumé par Berlin vis-à-vis des États-Unis. « Je n’aurais pas cru devoir dire quelque chose comme ça », a d’ailleurs admis le responsable face à ses propres propositions. Il faut dire que si la relation de l’Allemagne avec Washington avait déjà été mise à mal durant le premier mandat de Donald Trump (2017-2021), jamais la défiance, voire l’hostilité américaine envers ses alliés de l’Otan, n’avait été aussi forte que depuis le retour au pouvoir du milliardaire à la Maison-Blanche.

L’Allemagne se prépare « au pire des scénarios » dans sa relation transatlantique

Mi-février, le discours tapageur du vice-président américain, J.D. Vance, lors de la Conférence de Munich sur la sécurité, avait confirmé les craintes des Européens : l’Amérique n’est plus prête à les soutenir autant qu’avant. « Nous pensons qu’il est important, dans le cadre d’une alliance commune, que les Européens renforcent leurs défenses pendant que l’Amérique se concentre sur les régions du monde qui sont en grand danger », pointe, parmi de nombreuses critiques, le numéro 2 américain. Une sortie vécue comme un véritable choc outre-Rhin.

Ces attaques contre l’Union européenne s’ajoutent à une menace de plus en plus prégnante liée à la guerre en Ukraine. Comment avoir confiance en les négociations menées par les diplomates américains avec leurs homologues russes, au moment même où leur président souhaite réduire la voilure de l’engagement de son pays auprès de ses alliés ? « Les Allemands sont assez traumatisés par ce retrait américain, qui est un retrait de la démocratie », explique à Public Sénat Jean-Pierre Darnis, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique.

Avec une telle configuration géopolitique, voilà donc Berlin contraint de revoir sa doctrine en matière de défense européenne. Indispensable, selon Friedrich Merz, qui a redit ce lundi vouloir se préparer « au pire des scénarios » dans la relation du pays avec les États-Unis. Vieux serpent de mer au sein de l’UE, la mise en place d’une défense européenne pourrait donc s’accélérer à la faveur des déclarations du prochain chancelier. La France, conforme à sa posture traditionnelle d’une plus grande autonomie militaire européenne, pousse d’autant plus dans ce sens depuis les récents propos du camp trumpiste. « On rentre dans un moment où on va devoir […] réinvestir encore plus, Français et Européens, pour renforcer notre défense et notre sécurité », a appuyé Emmanuel Macron, le 19 février.

Une armée allemande toujours mal en point

Comment pourraient se traduire ces changements stratégiques initiés par l’Allemagne ? Tout d’abord, par l’accélération d’investissements massifs dans la Bundeswehr, l’armée allemande. Celle-ci est en pénurie criante de soldats : l’été dernier, son ministre de la Défense Boris Pistorius avait annoncé une réforme pour recruter de nouveaux volontaires en son sein. Une de ses principales mesures ? L’envoi d’un questionnaire à tous les jeunes Allemands pour sélectionner les meilleurs profils motivés à rejoindre les troupes du pays.

Autre problème : le manque d’équipement militaire. Une étude de l’institut de Kiel publiée en septembre dernier montrait un retard important pris pendant des années par l’armée allemande pour renouveler ses stocks : entre 1992 et 2021, le nombre de chars avait diminué de 6684 à 339 ; dans le même temps, celui des avions de combat était passé de 553 à 226. Olaf Scholz avait fait du réinvestissement massif dans la défense une de ses priorités. L’an dernier, la République fédérale avait poussé ses dépenses de défense à 2,1 % de son PIB… mais avait compté pour une partie d’entre elles sur l’apport d’un fonds exceptionnel de 100 milliards d’euros créé après l’invasion russe en Ukraine, qui sera vide à partir de 2027.

Pour injecter plus facilement de l’argent sur les dossiers militaires, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a d’ailleurs annoncé la semaine dernière proposer aux États membres de pouvoir déroger au Pacte de stabilité pour ce genre de dépense. Ce cadre pose les règles budgétaires fixées aux 27 pour limiter leurs déficits publics et la dette. L’Allemagne ne s’était pas encore prononcée sur le sujet. Après les derniers propos de Friedrich Merz, « il va sûrement y avoir un accord » du gouvernement pour autoriser ce genre de mécanisme, avance Jean-Pierre Darnis.

La seconde avancée pourrait se matérialiser par un appui au plan franco-britannique de maintien de la paix imaginé en Ukraine, une fois qu’un cessez-le-feu serait négocié avec la Russie. Des soldats européens non-belligérants pourraient ainsi être déployés aux frontières pour garantir le respect d’un potentiel accord d’arrêt des combats, tandis que les États-Unis pourraient assurer la sécurité aérienne de ce plan. Une feuille de route qu’est allé présenter ce lundi Emmanuel Macron au président Trump à Washington. « En pleine campagne, l’Allemagne avait dit que c’était beaucoup trop tôt pour discuter de cette question. Peut-être ce sujet pourrait-il revenir à l’ordre du jour… », souligne Jean-Pierre Darnis.

La défense, une opportunité industrielle pour l’Allemagne ?

Quoi qu’il en soit, à plus long terme, un volontarisme plus marqué de l’Allemagne pour améliorer la défense de l’UE marquera un bouleversement, même symbolique, au niveau européen. D’autres pays, longtemps rétifs à l’idée d’une sécurité européenne plus autonome, se retrouvent aujourd’hui au pied du mur et pourraient s’inspirer du cas allemand. « Je pense que la plupart des pays européens qui n’avaient pas envie de faire une Europe détachée de l’Otan sont en train de regarder l’évolution de la situation américaine, avec cette possibilité de ne plus pouvoir faire confiance aux États-Unis », poursuit le chercheur. Si Trump poursuit sa volonté de désengagement, agir vite risque d’être une nécessité, car « certaines capacités technologiques de l’Europe » au niveau militaire sont « assez en retard ».

Certes, l’Allemagne semble aujourd’hui davantage ouverte à l’avancée d’une « Europe de la défense ». Mais pas question pour autant d’aller trop loin pour Berlin, par exemple en évoquant le projet d’une armée européenne unifiée. L’économie allemande, dont l’important secteur automobile est en difficulté, pourrait en revanche être dynamisée par une accélération des commandes d’équipements militaires en Europe. « Rediriger une partie de leur force industrielle vers l’armement, ce ne serait pas forcément une mauvaise opération pour l’Allemagne », décrypte Jean-Pierre Darnis.

Lors du premier mandat de Donald Trump, l’ex-chancelière Angela Merkel avait déjà vu son atlantisme à toute épreuve bousculé par les outrances du milliardaire. « Donald Trump croit moins que d’autres en la capacité ou en la qualité d’un compromis. Il veut être le seul gagnant […] et ne croit pas à une solution gagnant-gagnant pour deux parties », avait résumé en novembre dernier l’ancienne dirigeante lors d’un entretien sur la radio publique américaine. Mais, à son époque, les relations entre les États-Unis et ses alliés ne paraissaient pas à ce point dégradées. « Je ne me fais aucune illusion sur ce qui se passe là-bas en Amérique », a ainsi répété Friedrich Merz dimanche soir.

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