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Troupes au sol en Ukraine : le sénateur LR Cédric Perrin pointe les propos « très alambiqués et potentiellement dangereux » d’Emmanuel Macron

La France s’est retrouvée isolée au plan européen, après les propos d’Emmanuel Macron qui n’a « pas exclu » l’envoi de troupes occidentales en Ukraine. Au Sénat, ils sont accueillis froidement. « On ne peut pas faire de déclaration de guerre sans la soumettre au Parlement », a rappelé Gérard Larcher. Le sénateur PS Rachid Temal tient plutôt à « saluer l’initiative prise par le Président de réunir l’ensemble des Européens sur l’Ukraine » pour rappeler leur « soutien ferme ». Le président LR de la commission des affaires étrangères, Cédric Perrin, salue l’annonce par l’Elysée d’un débat sur l’Ukraine au Parlement.
François Vignal

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Coup de bluff ou ouverture vers un changement majeur de paradigme dans la guerre en Ukraine ? A l’issue d’une conférence sur l’Ukraine, qui a rassemblé à Paris les vingt-sept Etats membres de l’Union européenne, Emmanuel Macron a franchi un cap, brisé un tabou. Il n’a pas exclu le principe de l’envoi de troupes au sol, en Ukraine.

« Il n’y a pas de consensus aujourd’hui pour envoyer de manière officielle, assumée et endossée des troupes au sol. Mais en dynamique, rien ne doit être exclu. Nous ferons tout ce qu’il faut pour que la Russie ne puisse pas gagner cette guerre », a affirmé Emmanuel Macron, interrogé sur le sujet, disant « assumer » une « ambiguïté stratégique ». Car ses propos restent pour le moins alambiqués. Et vertigineux. L’envoi de troupes françaises ferait de la France un cobelligérant du conflit. A ce titre, jusqu’où – en termes d’intensité de sa réponse, comme de localisation de cibles – pourrait aller la Russie pour répondre ? Passer à cette étape sonnerait comme un saut vers l’inconnu.

Ce n’était pourtant pas a priori le sujet de la conférence. A son issue, le chef de l’Etat français a surtout appelé au « sursaut » collectif face à la Russie. Il a parlé d’un engagement à « produire plus » d’armes européennes, alors que seules 30 % des munitions promises ont été livrées aux Ukrainiens.

L’Allemagne et l’OTAN prennent leur distance avec les propos d’Emmanuel Macron

Si on pouvait s’interroger hier soir sur une éventuelle sortie coordonnée, les réactions montrent qu’Emmanuel Macron a avant tout joué solo au sujet de l’envoi de troupes. « Ce n’est pas du tout d’actualité pour l’instant », a affirmé le premier ministre suédois Ulf Kristersson. Les premiers ministres polonais et tchèque ont ensuite déclaré ne pas envisager d’envoyer de soldats en Ukraine, tout en se prononçant pour une aide « maximale ». Encore plus clairement, c’est ensuite le Chancelier allemand, Olaf Scholz, qui a totalement pris le contrepied du Président français. « Il n’y aura aucune troupe au sol, aucun soldat envoyé ni par les Etats européens, ni par les États de l’Otan sur le sol ukrainien », a-t-il assuré ce mardi, se référant à ce qui avait été jusqu’ici décidé entre Occidentaux. C’est un responsable de l’OTAN qui a fini d’isoler la position française, en assurant à l’AFP qu’« il n’y a aucun projet de troupes de combat de l’Otan sur le terrain en Ukraine »…

En France, la prise de position d’Emmanuel Macron a largement été commentée. Très vite, Marine Le Pen, comme Jean-Luc Mélenchon, ont clairement pris leur distance. « La guerre contre la Russie serait une folie », a réagi sur X le leader de La France insoumise. « Emmanuel Macron joue au chef de guerre, mais c’est la vie de nos enfants dont il parle avec autant d’insouciance », a pointé pour sa part la responsable d’extrême droite. « Emmanuel Macron fait peur aux Français », a aussi déploré le député et vice-président du RN, Sébastien Chenu, invité de la matinale de Public Sénat, selon qui « il faut discuter avec la Russie pour la faire reculer ».

« Une décision de cette nature est une décision grave », souligne Gérard Larcher

A droite, on accueille froidement la déclaration. « Une décision de cette nature est une décision grave qui ne peut être prise qu’en coordination avec les pays de l’Union européenne, qu’en coordination avec l’OTAN. Et on ne peut pas faire de déclaration de guerre sans la soumettre au Parlement », a réagi sur Public Sénat le président LR de la Haute assemblée, Gérard Larcher. « Il y a un changement d’attitude annoncé par le Président. Cela ne peut se faire dans le dos du Parlement », ajoute le sénateur des Yvelines.

Si on n’en est pas à la déclaration de guerre avec la Russie, il y aura bien prochainement un débat, suivi d’un vote, au Parlement. A l’heure du déjeuner, l’Elysée annonce par communiqué la tenue d’un débat, selon l’article 50-1 de la Constitution, sur l’accord bilatéral de sécurité conclu avec l’Ukraine le 16 février dernier, et plus généralement sur la situation en Ukraine.

« Le sujet est beaucoup trop sérieux, beaucoup trop grave, pour qu’on polémique », selon le sénateur LR Cédric Perrin

Une décision saluée par le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, le sénateur LR Cédric Perrin. « Tout ce qui fait que le Parlement peut être associé aux décisions et permettre à la représentation nationale de débattre est une bonne chose. Mais je regrette que les propos du Président, qui sont peut-être une communication non maîtrisée, aboutisse à ça », réagit Cédric Perrin, qui pense qu’« il n’y a pas de fumée sans feu ». Reste que le débat, dont on ne connaît pas encore la date, « permettra de se positionner et d’avoir un vrai débat. Entre LFI qui ne veut pas d’intervention et de l’autre ceux qui veulent aller jusqu’à Moscou à pied, il y a des marges de manœuvre. Et il y a la question du soutien de l’Ukraine qui n’est pas au niveau ».

Sur la question des troupes au sol, le président du groupe LR du Sénat, Bruno Retailleau, s’est montré dès ce matin « stupéfait ». « De deux choses l’une : soit il s’agit d’une parole en l’air, mais ce serait une inconséquence si grave de la part du chef des armées qu’on ne peut y croire. Soit il s’agit d’une vraie possibilité, et dans ce cas le Parlement doit être réuni d’urgence pour en débattre. Quoi qu’il en soit, l’entrée en guerre de la France contre la Russie serait une folie aux conséquences incalculables », a estimé sur X (ex-Twitter) Bruno Retailleau.

Cédric Perrin donne lui un autre son de cloche et reste pour sa part plus mesuré et prudent. « Le sujet est beaucoup trop sérieux, beaucoup trop grave, pour qu’on polémique dessus pour l’instant. C’est de la sécurité de l’Europe et de la France dont il s’agit. On ne peut imaginer qu’un Président tienne des propos pareils en ignorant ce qu’ils impliquent », souligne le sénateur LR du Territoire de Belfort, qui note souvent un « décalage entre les actes et la parole d’Emmanuel Macron ».

« Est-ce qu’il veut la troisième guerre mondiale ? »

Reste qu’il trouve au fond les propos du Président « un peu inquiétant ». « Ils sont très alambiqués et potentiellement dangereux. Est-ce qu’il veut la troisième guerre mondiale ? A un moment, il faut s’interroger sur ses propos. Est-ce qu’il a fait ça sur un coin de table, en se réveillant le matin ? Est-ce du bluff ? Ou une stratégie, quelque chose de concerté ? Mais je ne sais pas les conditions qui l’ont amené à prononcer ces propos », affirme Cédric Perrin.

Pour le président de la commission des affaires étrangères et de la défense, « ce qui est clair, c’est que cela met de l’eau au moulin du Sénat, qui dit depuis la loi de programmation militaire qu’on n’a pas suffisamment de masse », c’est-à-dire d’armement et de munitions. « On n’est pas au niveau », soutient Cédric Perrin, avant d’ajouter : « Avant de dire qu’on envoie des hommes, tenons nos promesses et envoyons du matériel et des munitions ».

« Cela permet surtout d’envoyer un message clair à Vladimir Poutine pour faire comprendre que les Européens ne sont pas lassés après deux ans de conflit », selon le centriste Olivier Cigolotti

Olivier Cigolotti, sénateur du groupe Union centriste, membre de la commission des affaires étrangères, pense que « ça permet surtout d’envoyer un message clair à Vladimir Poutine pour faire comprendre que les Européens ne sont pas lassés après deux ans de conflit », estime le sénateur de la Haute-Loire. « C’est un message politique fort, mais de là à ce que les 27 Etats membres se mettent d’accord pour envoyer des troupes au sol en Ukraine, il y a encore un bout de chemin à faire », ajoute Olivier Cigolotti.

Mais envoyer des troupes au sol, « on n’en est pas là. Même s’il y a une volonté, en tout état de cause, il n’y a pas de décision des Etats membres sur ces sujets », souligne le sénateur centriste. Pour l’heure, l’Ukraine aimerait déjà avoir les munitions annoncées. « Ils n’ont reçu que 30 % de tout ce qui a été promis. La priorité c’est d’envoyer des obus de 155 mm pour les canons Caesar, qui font cruellement défaut », soulève Olivier Cigolotti. Mais « il faut être clair, on a peu de stock en France. Et même si on parle d’économie de guerre, les industriels ont beaucoup de difficulté à monter en cadence. Et on ne peut pas lâcher les stocks stratégiques dans des volumes importants ».

« Il faut rappeler qu’à la fin, il y a un risque que Vladimir Poutine gagne. Donc il faut que l’Ukraine l’emporte », souligne le sénateur PS Rachid Temal

A gauche, comme souvent sur les questions internationales, on ne parle pas tout à fait d’une seule voix. « Soutenir la résistance ukrainienne oui. Entrer en guerre avec la Russie et entraîner le continent. Folie », a réagi le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, un peu dans la lignée de Jean-Luc Mélenchon. Il pointe aussi une « inquiétante légèreté présidentielle ».

Au Sénat, le sénateur PS Rachid Temal ne cherche pas à rentrer dans la polémique sur le sujet. Le vice-président de la commission des affaires étrangères tient déjà à « saluer l’initiative prise par le Président de réunir l’ensemble des Européens sur l’Ukraine. Car deux ans après, il est important – c’est ce que fait Raphaël Glucksmann aussi – de rappeler qu’il y a toujours une guerre menée par l’armée de Poutine contre une démocratie, l’Ukraine, sur le continent européen » et que « les Européens sont toujours dans un soutien ferme, massif, à l’Ukraine ». Pour le sénateur du Val-d’Oise, « il faut rappeler qu’à la fin, il y a un risque que Vladimir Poutine gagne. Donc il faut que l’Ukraine l’emporte. Car derrière, ce serait le premier effet domino ». C’était donc « le bon moment » pour la conférence, soutient Rachid Temal.

« C’est une guerre des mots »

Quant aux propos polémiques d’Emmanuel Macron, Rachid Temal souligne qu’« il n’a pas dit qu’il allait envoyer des hommes au sol ». « C’est une guerre des mots. Dans un moment où c’est extrêmement compliqué, où il y a une crainte d’un basculement, d’un recul massif des Ukrainiens, c’est aussi symboliquement mettre une ligne rouge, dire qu’on soutient, et que dans notre soutien, la porte n’est pas fermée », avance le sénateur PS. Pour Rachid Temal, « il ne faut pas penser que ça ne nous concerne pas, qu’on est loin et qu’on n’est pas victime de ce que fait Poutine. Il mène une aussi une guerre hybride, avec des attaques cyber, on a vu plusieurs interventions ».

Pour ce qui est du débat annoncé par l’Elysée, Rachid Temal salue cette annonce, « mais nous aurions aimé l’avoir avant la signature de l’accord… » Donc même si le Président décide seul, « oui au débat, sinon autant fermer le Parlement. Mais c’est vrai que les domaines réservés du Président ne nous aident pas ».

« N’enclenchons pas le terrible engrenage d’une guerre continentale » demandent les sénateurs PCF

Côté PCF, on reste dans la ligne défendue traditionnellement de la paix avant tout. Le sénateur PCF Pierre Ouzoulias dénonce un « discours belliciste qui fait peser une grave menace sur notre humanité ». Pointant la position du socialiste Raphael Glucksmann, il estime que « la gauche doit être au rendez-vous de la paix et cessez de jouer les idiots utiles dans cette escalade guerrière ». « Trop de sang, trop de larmes. N’enclenchons pas le terrible engrenage d’une guerre continentale », ajoute son groupe CRCE-K dans un communiqué.

« On ne peut pas s’empêcher d’imaginer qu’Emmanuel Macron cherche à faire diversion sur d’autres sujets, alors qu’il est englué dans la question agricole et écologique », souligne l’écologiste Guillaume Gontard

L’écologiste Guillaume Gontard raille quant à lui « Emmanuel Macron, qui devient le champion du monde des conférences internationales qui ne débouchent sur rien ». Sur le fond, le président du groupe écologiste du Sénat appelle « à faire déjà tous simplement ce que les Ukrainiens demandent. Je n’ai jamais entendu Zelensky demande des troupes. Il demande des armes, suffisamment d’armes et de munitions pour contrer et gagner cette guerre. Car le but, c’est bien la paix derrière ». « Il faut aussi affaiblir la Russie et réellement travailler sur l’embargo et arrêter d’acheter du gaz en Russie. Et ce n’est pas totalement fait ».

Ce qui « inquiète » le sénateur écologiste, « c’est qu’Emmanuel Macron lance des choses, on a l’impression que ce n’est pas très préparé. On ne sait pas où il veut aller ». « Et derrière ça, même si je ne l’espère pas, on ne peut pas s’empêcher d’imaginer qu’Emmanuel Macron cherche à faire diversion sur d’autres sujets, alors qu’il est englué dans la question agricole et écologique ».

Début de rétropédalage du gouvernement ?

Après une journée de polémique et de prises de distance des dirigeants européens, le gouvernement a semblé lui-même commencer, entre les lignes, une forme de rétropédalage. Interrogé par Marine Le Pen lors des questions d’actualité à l’Assemblée, le premier ministre Gabriel Attal a tourné autour du pot, sans répondre sur la question des troupes au sol, préférant attaquer la leader RN que répondre sur le fond. « Il y a lieu de se demander si les troupes de Vladimir Poutine ne sont pas déjà dans notre pays, je parle de vous et de vos troupes, Madame Le Pen », a lancé le locataire de Matignon. Son ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné, s’est montré un peu plus explicite, affirmant qu’« il faut faire plus pour l’Ukraine » et « aussi faire différemment, en envisageant de nouvelles missions, le Président l’a dit hier. Rien ne doit être exclu en ce domaine », a soutenu le ministre, prenant cependant garde d’exclure de sa réponse les mots « troupes » et « sol ».

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