EU State of Union
European Commission President Ursula von der Leyen delivers her annual speech on the state of the European Union and its plans and strategies looking ahead, at the European Parliament, Wednesday, Sept. 13, 2023 in Strasbourg, eastern France. (AP Photo/Jean-Francois Badias)/STR108/23256275348005//2309130942

UE : quel bilan pour Ursula von der Leyen ?

À neuf mois de la fin de son mandat, la présidente de la Commission européenne a dressé un bilan de son action devant les eurodéputés. Une présidence marquée par la pandémie de covid-19 et le retour de la guerre sur le sol européen, mais qui a aussi été l’occasion d’un desserrement inédit de l’étau budgétaire.
Romain David

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Ursula von der Leyen tenait son grand oral ce mercredi matin. La présidente de la Commission européenne a prononcé le traditionnel discours sur l’état de l’Union, le dernier de son mandat, alors qu’elle n’a toujours pas levé le voile sur une nouvelle candidature aux européennes de 2024. « Plus de 90 % » du programme présenté au moment de son élection à la tête de l’organe exécutif de l’Union européenne a été mis en chantier, a-t-elle défendu lors de cette prise de parole d’une heure devant le Parlement européen réuni en séance plénière. Jonglant entre l’anglais, le français et l’allemand, elle a défendu son bilan tout en esquissant les orientations pour l’année à venir.

Le mandat d’Ursula von der Leyen aura été marqué par deux crises inédites et d’ampleur : la pandémie de covid-19, dont les premiers cas en Europe sont signalés un mois seulement après sa prise de poste, et la guerre en Ukraine qui devrait impacter durablement les choix géopolitiques et stratégiques des 27.

Dans la foulée du Brexit et de ses atermoiements, la crise du covid-19 a permis de tordre le cou au cliché d’une Europe bureaucratique, paralysée par ses lenteurs, avec l’enclenchement d’une série de procédures d’urgence – prévues par les traités –, sous la pression des Etats membres. « S’il y a eu quelques problèmes au démarrage, globalement l’Europe et la Commission ont démontré qu’ils étaient capables de rebondir et de répondre à la crise », souligne Federico Santopinto, directeur de recherche à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS). Cette agilité s’est notamment manifestée à travers des achats groupés de doses de vaccin ; si les campagnes de vaccination ont été plus lentes à se déployer qu’au Royaume-Uni ou qu’en Israël, la stratégie adoptée a permis d’éviter une concurrence mortifère entre les Etats membres et de limiter le risque de rupture.

L’émergence d’une Europe géopolitique ?

Proposé en mai 2020 par la Commission européenne, le plan de relance européen de 750 milliards d’euros marque un tournant dans l’histoire économique de l’UE. Destiné à soutenir des économies européennes ébranlées par la crise sanitaire et les mesures de limitation mises en place pour freiner la propagation du virus, il rompt avec la logique de rigueur qui a dominé pendant la crise de la zone euro.

« On a présenté ce plan comme une initiative franco-allemande, mais Ursula von der Leyen a aussi voulu répondre à la pression des opinions. En avril 2020, elle avait tenu à présenter à l’Italie les excuses de l’Union européenne pour ne pas avoir fait preuve de plus de solidarité lorsque la pandémie a frappé la péninsule », rappelle Sylvain Kahn, professeur à Sciences Po, chercheur en études européennes et auteur d’une Histoire de la construction de l’Europe depuis 1945 (PUF). « La commission s’est également servie du plan de relance pour concrétiser l’intégration, en conditionnant les aides promises au respect de l’Etat de droit. On peut parler d’une véritable trouvaille politique », destinée à faire rentrer dans le rang la Pologne et la Hongrie.

La volonté de remettre à plat les règles budgétaires de l’UE est également à inscrire dans la foulée de ce revirement financier. « Je m’étonne que la gauche européenne ne s’en réjouisse pas plus ouvertement. De fait, les critères de Maastricht sont suspendus depuis avril 2020 », relève encore Sylvain Kahn.

D’une manière générale, sous la mandature d’Ursula von der Leyen, l’UE s’est davantage recentrée sur les enjeux géopolitiques et sociaux, donnant le sentiment de faire passer les préoccupations financières, particulièrement prégnantes durant les deux dernières décennies, au second plan. « Sous Ursula von der Leyen, l’UE est devenue un acteur de plus en plus interventionniste dans l’économie et même, oserais-je dire, modérément protectionniste », souligne Federico Santopinto.

La guerre en Ukraine

Si la pandémie a permis à l’UE de faire montre de ses capacités d’action, la guerre en Ukraine, en revanche, a mis en lumière une certaine fragilité sur la scène internationale. « En dépit des livraisons d’armes, les décisions stratégiques se prennent toujours à Washington », constate Federico Santopinto. Cette situation n’est pas directement imputable au bilan d’Ursula von der Leyen ; sur ce dossier, la présidente de la Commission semble faire les frais de décennies d’atermoiements quant à la mise en place d’une stratégie commune de défense, un sujet particulièrement sensible puisqu’il touche aux prérogatives de souveraineté de chaque Etat membre.

Malgré la participation du budget communautaire au financement des industries de défense – un fléchage déjà mis en place sous Jean-Claude Juncker, le prédécesseur d’Ursula von der Leyen, – l’absence de vision stratégique sur le long terme semble avoir privé l’UE d’une voix forte et unanime face au conflit qui a éclaté à ses portes. Sylvain Kahn se montre toutefois plus nuancé sur ce point : « Les Européens ont été moteurs dans le soutien à Kiev. La Russie envahit l’Ukraine le 24 février 2022, quelques jours plus tard l’UE est déjà en mesure d’annoncer un premier train de sanctions. » Si le retour éventuel des Républicains au pouvoir en 2024 interroge sur le maintien du soutien américain, la stratégie européenne, en revanche, ne semble pas devoir varier à long terme.

L’enjeu d’une transition écologique « juste et équitable »

L’un des principaux chantiers de la présidence d’Ursula von der Leyen reste le « Pacte vert », un ensemble sans précédent de réformes législatives qui doit servir de levier pour atteindre les objectifs fixés en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050. Une trentaine de textes sont toujours en cours d’élaboration, mais déjà, l’addition des normes et des contraintes soulève de plus en plus de crispations parmi les Etats membres dont beaucoup ont le sentiment de devoir avancer à marche forcée.

Ce mercredi, la cheffe de file de l’exécutif européen a tenu à rassurer, promettant « une transition juste et équitable ». « À l’échelle mondiale, l’encadrement législatif le plus proactif en matière de lutte contre le changement climatique reste celui de l’UE », observe Sylvain Kahn. Mais la Commission se trouve désormais confrontée aux limites d’un exercice de conciliation qui tourne au jeu d’équilibriste : d’un côté l’urgence écologique, de l’autre des enjeux géopolitiques, le maintien d’un certain niveau social et d’une industrie européenne compétitive.

» Lire notre article : Sur le « Pacte vert », Ursula von der Leyen veut garder « le cap », les écologistes regrettent « un discours timoré »

Pommes de discorde

Le Pacte sur la migration et l’asile proposé par la Commission en septembre 2020 reste l’autre grand chantier inabouti d’Ursula von der Leyen. Les Européens ne sont pas encore parvenus à dégager un consensus sur un sujet qui alimente la polarisation. « D’un côté une vision humanitaire, de l’autre l’idée d’une guerre de civilisations que met en avant l’extrême droite. Il est très difficile, dans ces conditions, de faire émerger une solution raisonnable », note Sylvain Kahn. En 2022, 2 406 personnes se sont noyées en essayant de traverser la Méditerranée vers l’Europe, selon les chiffres de l’Organisation internationale pour les migrations.

Enfin, la réforme du marché européen de l’électricité, imposée par la flambée des tarifs du gaz à l’hiver 2022, pourrait accoucher d’une souris. Les propositions de la Commission ne chamboulent pas outre mesure le système actuel, et se contentent de simples aménagements. Le Parlement s’est également aligné sur une réforme a minima, alors que doivent débuter les discussions avec le Conseil européen.

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