Le jour d’après, que reste-t-il des échanges à la Maison Blanche entre Volodymyr Zelensky, Donald Trump et la délégation européenne composée du président français Emmanuel Macron, du chancelier allemand Friedrich Merz, de la Première ministre italienne Giorgia Meloni, du Premier ministre britannique Keir Starmer, du président finlandais Alexander Stubb, du chef de l’Otan Mark Rutte et de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen ?
Discussions sereines
La photo de famille de Donald Trump, Volodymyr Zelensky et les dirigeants européens ne suffit pas à masquer les carences des discussions. « C’est la confusion qui domine. Soit ça veut dire qu’on veut tout cacher, soit c’est une entreprise qui ressemble à de l’enfumage », explique Bertrand Badie, professeur émérite à Sciences Po Paris où il est enseignant-chercheur associé au Centre d’études et de recherches internationales (CERI).
En apparence, les échanges ont été sereins, loin de la scène d’humiliation infligée par Donald Trump à un Volodymyr Zelensky esseulé le 28 février dernier dans le bureau ovale. Le président ukrainien a « quand même dû passer son temps à faire de l’humour et à se moquer de lui-même », relève Romuald Sciora, chercheur associé à l’IRIS en faisant référence à la tenue vestimentaire adoptée par le chef d’Etat ukrainien : un costume noir au lieu du sweat-shirt noir qu’il porte habituellement et pour lequel il avait été moqué par un journaliste américain. Celui qui dirige aussi l’Observatoire politique et géostratégique des États-Unis de l’IRIS estime que l’accueil réservé aux Européens était « pitoyable ». « Le président de la République française est accueilli à la Maison Blanche par la cheffe du protocole, pas par Donald Trump ni même son vice-président JD Vance », regrette-t-il.
Quelles concessions territoriales pour l’Ukraine ?
Mais aucun dirigeant ne s’en est ému ni à leur arrivée ni après leurs échanges. « Ça s’est bien passé parce qu’ils sont restés assez vagues et n’ont pas parlé du point de désaccord entre les Européens et Donald Trump, la question territoriale », ajoute Pierre Haroche, professeur associé de politique européenne et internationale à l’Université Catholique de Lille. Car la question a été discutée vendredi 15 août entre le président des Etats-Unis et son homologue russe Vladimir Poutine. Le chef du Kremlin accepterait la paix à condition que l’Ukraine cède la Crimée occupée par la Russie depuis 2014 ainsi que la région du Donbass y compris les zones encore sous contrôle de l’armée ukrainienne.
Une condition inacceptable pour les dirigeants Européens, le chancelier allemand Friedrich Merz insistant sur son opposition à des concessions territoriales de la part de l’Ukraine. « Pour les Européens, donner un territoire que tient encore l’Ukraine, ce serait surestimer la puissance de la Russie. S’arrêter à la ligne de front, c’est une exigence raisonnable », poursuit Pierre Haroche. Mais Donald Trump ne l’entend pas ainsi : « C’est une guerre et la Russie est une nation militaire puissante. […] On ne s’attaque pas à une nation qui est dix fois plus grande que soi », a déclaré le président américain sur Fox News ce mardi. En parlant du Donbass, il a expliqué qu’il est « actuellement détenu et contrôlé à 79 % par la Russie », sous-entendant que pour parvenir à un accord de paix, l’Ukraine devait accepter de perdre cette région à l’est du pays.
La question du partage du territoire sera discutée directement entre Volodymyr Zelensky et Vladimir Poutine a lui-même affirmé le président ukrainien. « C’est normal qu’ils en discutent entre eux et ça évite aux Européens le scénario du pire à savoir que ce soit Vladimir Poutine et Donald Trump qui redessinent la carte. C’est aussi une manière de respecter la souveraineté de l’Ukraine », développe Pierre Haroche.
Une rencontre bilatérale Zelensky-Poutine
Cette rencontre directe entre Volodymyr Zelensky et Vladimir Poutine qui pourrait advenir dans les jours ou les semaines qui viennent sous le patronage de Donald Trump qui dit en commencer « les préparatifs ». Plusieurs sources ont indiqué à l’Agence France Presse que le président russe avait proposé une rencontre bilatérale entre les deux chefs d’Etat à Moscou hier lors de son échange avec le président américain. La localisation, Moscou, aurait été refusée par Volodymyr Zelensky poursuit une de ces sources bien que le président ukrainien ait répété qu’il était prêt à une telle réunion.
Une rencontre entre le président ukrainien et le président russe serait une première depuis le déclenchement de la guerre par l’invasion de l’armée russe en Ukraine en février 2022. Côté russe, le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a indiqué que toute rencontre entre les deux parties devait être préparée « très minutieusement ». Sur proposition d’Emmanuel Macron, cette rencontre pourrait se tenir en Suisse qui a annoncé qu’elle accorderait l’immunité à Vladimir Poutine s’il venait dans le pays pour des pourparlers sur la paix bien qu’il fasse l’objet d’un mandat d’arrêt délivré par la Cour pénale internationale.
Sans plus de détails pour l’instant, Donald Trump assure tout de même que la rencontre entre Vladimir Poutine et Volodymyr Zelensky serait suivie d’une nouvelle rencontre tripartite cette fois avec le président américain. « Trump est un showman. Il sera là pour entériner l’accord et pour récolter le fruit de ce succès puisqu’il vise le Prix Nobel de la paix », souligne Romuald Sciora.
Garanties de sécurité européennes et américaines
Si les dirigeants Européens ont tous affirmé ne pas avoir échangé au sujet des concessions territoriales demandées à l’Ukraine, ils ont en revanche largement discuté des garanties de sécurité réclamées par Kiev pour se prémunir d’une nouvelle attaque russe dans le futur. Donald Trump a précisé aujourd’hui quelle forme elle pourrait prendre : la présence de troupes franco-britanniques en Ukraine avec l’appui des Etats-Unis. Ils ne fourniraient qu’un soutien aérien sans déployer de troupes au sol. Emmanuel Macron et le Premier ministre britannique Keir Starmer ont justement coprésidé une réunion de la « coalition des volontaires », 30 Etats notamment européens qui travaillent sur les garanties de sécurité.
Dans les échanges, il était question de garantie de sécurité qui prendrait la forme de l’article 5 de l’OTAN, celui qui garantit la défense collective des membres de l’organisation. Sauf que l’Ukraine n’entrera pas dans l’OTAN, la Russie en ayant fait une condition pour accepter un accord de paix. « C’est vaseux ! Qu’est-ce qu’un article 5 de l’OTAN sans être dans l’OTAN ? », s’interroge Romuald Sciora, chercheur à l’IRIS. Selon lui, toutes garanties accordées à l’Ukraine sans qu’elle soit membre de l’OTAN seront vaines. Cette question est posée un peu trop tôt selon Bertrand Badie : « On en parle beaucoup parce que c’est la seule manière pour les Européens d’exister, mais on ne sait pas si la guerre va se finir et comment elle va se finir. C’est la diplomatie de la charrue avant les bœufs. »
S’il reconnaît que le sujet est « vague pour l’instant », Pierre Haroche se montre moins pessimiste quant à la capacité des Européens et à l’Ukraine d’assurer leur sécurité. « L’Ukraine est quand même capable dans une certaine mesure d’assurer sa sécurité », argumente-t-il, d’autant que les Etats européens réclament la possibilité pour Kiev d’avoir une armée puissante. « Si en plus vous ajoutez des troupes européennes sur place, vous posez une dissuasion politique. S’ils font face à un front uni, ils peuvent être dissuadés », ajoute le professeur en politique européenne et internationale. Même si Trump estime que ce ne sera pas un « problème » pour Vladimir Poutine d’accepter cela, le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov a martelé dans une interview télévisée que tout accord devra « respecter les intérêts de sécurité de la Russie » ainsi que « les droits des Russes et des russophones qui vivent en Ukraine ». Un argument utilisé par le Kremlin pour justifier son invasion de l’Ukraine en 2022.
Vers un accord de paix ?
Tous ces éléments laissent tout de même une question en suspens : peut-il réellement y avoir un accord de paix suite à ses discussions et aux prochaines qui s’annoncent. « Cet automne pour sûr, il y aura une cessation des hostilités », assure Romuald Sciora pour qui « tout suit le scénario voulu par Poutine » puisque Donald Trump s’aligne sur ses demandes afin d’obtenir le Prix Nobel de la paix. « Il est prêt à toutes les concessions pour aller au bout du scénario », explique le chercheur. Mais rien n’est moins sûr estime Pierre Haroche qui note que dans le règlement de ce conflit, personne n’a mentionné le cadre multilatéral de l’ONU.
La Russie aussi aurait intérêt à mettre un terme à ce conflit pour plusieurs raisons. « L’armée russe n’est pas en bon état », expose Romuald Sciora. « L’économie russe, contrairement à ce que disent les propagandistes, ne se porte pas bien et a été impactée par la guerre », abonde Bertrand Badie. Le professeur émérite à Sciences Po Paris ajoute aussi que le gain diplomatique auprès des pays du Sud global obtenu par la Russie dans ce conflit est en train de s’éroder.
Selon lui, la solution « a minima » dans ce conflit serait l’aboutissement à une « paix de l’implicite » qu’il oppose à une « paix institutionnalisée ». C’est-à-dire une paix sans « configuration institutionnelle nouvelle » et sans règlement juridique des nouvelles frontières entre l’Ukraine et la Russie. « Depuis 1945, on n’a pas modifié une frontière en l’entérinant du point de vue juridique », explique-t-il. Les efforts pour parvenir à un accord de paix encore hypothétique sont en tout cas très scrutés. Mercredi 20 août, les chefs d’état-major des armées de l’OTAN se réuniront pour en discuter.