Un an de contestations en Iran : « Ce régime n’est pas réformable »
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Comment nommez-vous le mouvement qui s’est lancé après l’assassinat de Mahsa Amini en septembre 2022 ?
Je dis que c’est une révolution en cours. Les contestataires savent pertinemment que ce régime islamique n’est pas réformable, contrairement aux événements de 2009, où une partie de l‘électorat votait pour des modérés afin qu’ils introduisent des réformes. C’est pour cela que les contestataires revendiquent des changements très importants. Même si le régime ne va pas tomber aujourd’hui, ni à court terme, il y a de grandes incompatibilités entre la société iranienne très moderne dans ses comportements sociaux, démocratiques, politiques, et ce régime dictatorial et corrompu, qui représente l’islam politique au pouvoir. L’incompatibilité existe depuis de nombreuses années, mais elle est mise sur le devant de la scène depuis un an. La singularité de cette révolution, c’est qu’elle réunit l’ensemble des catégories sociales, à l’inverse des anciens mouvements de contestations. Aujourd’hui, différents groupes sociaux, ethniques, religieux, des femmes et des hommes sont rassemblés. Ce ne sont plus juste des jeunes femmes qui se mobilisent parce qu’elles refusent de porter le voile, mais plusieurs pans de la population qui se soulèvent contre le régime. D’où la crainte du régime.
Justement, le régime des mollahs est-il réellement menacé ? A-t-il peur de ce que vous appelez une révolution ?
Oui, le régime a peur, ça y est. Il a eu très peur l’année dernière. Cela, on le sait parce que le chef des gardiens de la révolution a avoué qu’il s’agissait de la menace la plus importante que le régime ait connu sur les quarante-quatre dernières années. Le chef des gardiens de la révolution de Téhéran, lui, craint que si cette année, les gens prennent à nouveau les rues, ils ne puissent plus les contrôler. Le régime va donc tout faire pour les empêcher de descendre et de manifester. Or, pour les un an de la mort de Mahsa Amini, des rassemblements sont prévus dans le pays. Le régime mène une répression préventive, avec des arrestations en amont des leaders des mouvements estudiantins, ouvriers, et même des journalistes. Ils sont allés jusqu’à intimider les membres des familles des personnes tuées dans l’année, y compris la famille de Mahsa Amini, mais ils ont tenu bon et ont réitéré leur appel à la manifestation. En ce moment, également, le régime mène une politique de licenciement de grands professeurs d’universités, car ils sont soupçonnés d’être en soutien aux manifestations, pour les remplacer par des professeurs qui n’ont pas les compétences.
Cette répression préventive, est-elle efficace ? Peut-on espérer une mobilisation forte lors de ces rassemblements pour les un an de la mort de Mahsa Amini ?
Au Kurdistan, je pense que la mobilisation sera importante. Les gardiens de la révolution y ont déjà envoyé des tanks pour empêcher les gens de descendre dans la rue. Mais ce n’est pas tout : à Téhéran et à Shiraz, depuis hier, les gens chantent des slogans hostiles au régime. Il est très difficile de savoir si les rassemblements seront suivis, mais ce que montrent ces Iraniens, c’est leur mécontentement. Or, du fait de la répression des manifestants et de la situation économique qui s’est aggravée en un an, les gens n’arrivent plus à vivre et à survivre, donc le mécontentement et encore plus important. Il faut quand même rappeler que participer à ces rassemblements est très, très risqué. Hier, un jeune homme qui essayait de mobiliser les gens pour le rassemblement de ce week-end a été tué à Karadj par les autorités.
Quel a été l’impact de ces mobilisations sur la structuration de la vie politique, syndicale et associative en Iran ? L’espoir d’une alternative est-il plus proche qu’avant ?
Oui, l’opposition au régime se structure en ce moment. Par exemple, au cours des manifestations de cette année, en octobre ou novembre une vingtaine de conseils se sont créés en Iran, représentant des ouvriers, des étudiants, des militantes des droits des femmes, des personnes issues des minorités ethniques et religieuses, ou encore des enseignants. C’est inédit depuis longtemps, car la liberté d’association n’existe pas en Iran. Récemment, ces conseils ont publié leur charte, où ils demandent la légalité des droits de l’ensemble des citoyens, indépendamment de leur genre, de leur, ethnicité, de leur religion, mais aussi de la justice sociale, la fin du monopole des gardiens de la révolution sur l’économie. Aujourd’hui, les revendications pour la séparation de la religion et de l’Etat, contre l’islam politique, pour la démocratie, sont très répandues dans la société iranienne. C’est la particularité de ce mouvement contrairement à ceux d’avant. A l’époque, on était face à une catégorie sociale qui se mobilisait en silo. Aujourd’hui, les revendications sont plus larges. Je suis d’ailleurs convaincue que l’alternative politique doit venir de l’intérieur de l’Iran. La diaspora est là pour soutenir les Iraniennes et les Iraniens, leur donner de la voix. Mais les Iraniens n’accepteraient pas une initiative venue de l‘extérieur, alors que l’opposition se structure en interne.
Alors que la situation économique est gravissime en Iran, pourquoi l’élément déclencheur d’une contestation aussi vaste a-t-il été centré autour de la liberté des femmes et du sujet du voile ?
Ce n’est pas tout à fait exact. Si on regarde les émeutes de 2018 et de 2019, lorsque le prix de l’essence a été multiplié par 3 du jour au lendemain, il y a eu des émeutes spontanées venues des jeunes et des hommes des classes populaires. Mais les classes moyennes étaient déjà très mécontentes de la situation économique du pays. Ce sont les mêmes qui aujourd’hui soutiennent les femmes qui descendent dans la rue. Ce qui est rejeté ici, ce n’est le voile, mais de l’emblème idéologico-politique du régime des mollahs. Les femmes et tous ceux qui les soutiennent contestent plus largement l’idéologie du régime, toutes les régressions imposées aux femmes et aux minorités. C’est beaucoup plus large que le voile, car maintenant des hommes âgés qui sont là pour manifester en tant que retraités ou ouvriers participent aux rassemblements, pour revendiquer une vie décente. Il y a eu énormément de manifestations de ce type. Pour prendre un exemple récent, le 28 août dernier, 23 manifestations de retraités et d’ouvriers ont eu lieu à travers le Kurdistan pour des raisons économiques, qui deviennent tout de suite politiques, puisque l’économie est aux mains des mollahs.
Si le régime iranien est en danger dans son pays, il n’en va pas de même sur la scène internationale. Qui sont les pays qui soutiennent les dirigeants iraniens aujourd’hui ?
On parle beaucoup dernièrement des relations de l’Iran avec l’Arabie saoudite, qui se seraient réchauffées. Mais attention, ce n’est pas un rapprochement des deux pays. Ils ne vont pas devenir les deux meilleurs amis du monde. Il y a toujours énormément de contentieux régionaux avec l’Iran. Mais ils ont été obligés de revoir leur politique extérieure, au vu de l’état de leur politique intérieure. Ils ont dû négocier avec les Saoudiens et d’autres voisins, parce qu’ils sont très contestés de l’intérieur. C’est le même mécanisme avec la négociation américaine qui a conduit à la libération d’otages américains conte le dégel des avoirs iraniens en Corée du Sud. Il faut l’analyser avec le prisme de la contestation intérieure : le régime essaie de se renforcer de l’extérieur.
Sur la récente négociation entre les Etats-Unis et l’Iran qui a permis de libérer cinq otages américains en échange du déblocage de six milliards de dollars d’avoirs iraniens : pensez-vous que les Etats-Unis n’auraient pas dû négocier ? Quelle doit être l’attitude des pays occidentaux envers le régime iranien ?
C’est inacceptable que les démocraties occidentales acceptent de renforcer le régime en négociant avec eux. Mais il y a beaucoup de dossiers sur lesquels leur position est ambiguë. Joe Biden a libéré les avoirs iraniens qui étaient détenus dans les banques en Corée du Sud contre la libération des otages américains. Il en a profité pour demander que les Iraniens arrêtent de livrer des drones à la Russie dans la guerre en Ukraine. Il y a aussi la question du nucléaire iranien : il est très important d’empêcher le régime de fabriquer une bombe atomique. Mais il n’y a aucun accord en vue. Je pense que les Occidentaux ont intérêt à grader le statu quo avec le régime actuel, parce que la révolution en cours va donner des résultats. Pas dans un mois, certes, mais c’est l’avenir de l’Iran. Les pays occidentaux ont donc intérêt à investir sur son avenir, pas sur son passé. De plus, ce régime continuera à prendre des gens en otage et à menacer le monde ace son programme nucléaire. Ce n’est pas rationnel de penser qu’en négociant avec lui, ce régime se normalisera. Il n’est pas normalisable.
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