C’est une première depuis sept ans. Des membres du groupe d’amitié sénatorial France-Palestine se sont rendus dans les territoires palestiniens de Jérusalem, Ramallah ou Bethléem, pour témoigner du quotidien des populations sur place, à quelques jours de la reconnaissance de l’État palestinien par plusieurs pays à l’Assemblée générale des Nations Unies.
Les sénateurs de cette délégation transpartisane, présente sur place du 8 au 12 septembre, relatent avoir « mesuré les conséquences d’une politique israélienne, pensée non seulement pour éradiquer le Hamas, mais aussi pour organiser le contrôle de Gaza, Jérusalem-Est et de la Cisjordanie, tout en poussant au départ les populations qui y résident », dans un compte rendu publié ce 16 septembre. Cette « stratégie brutale » vient « miner toute possibilité de création effective d’un État de Palestine », poursuivent-ils.
« Une situation de chaos et de désespoir absolu »
Au cours de leur voyage, réalisé à la veille d’une nouvelle offensive majeure de l’armée israélienne dans la bande de Gaza, les sénateurs ont un aperçu indirect de la crise humanitaire sans précédent qui touche le territoire gazaoui depuis plusieurs mois. Une crise « effroyable », selon le mot choisi dans leur compte-rendu. « Les humanitaires que nous avons rencontrés sur place rapportent une situation de chaos et de désespoir absolu. Avec une expression qui est revenue dans la bouche de nos interlocuteurs : on n’a jamais vu ça », raconte la présidente du groupe d’amitié, la sénatrice Gisèle Jourda (PS). La mission décrit son expérience comme celle d’une « rare intensité ».
Le groupe d’amitié est notamment allé à la rencontre du Croissant-Rouge palestinien, dont les équipes ont perdu 55 de leurs humanitaires depuis le début du conflit. À Ramallah, en Cisjordanie, les sénateurs sont entrés dans les entrepôts de l’organisation caritative, où s’accumule depuis des mois du matériel humanitaire, en attente de livraison. Le rapport sénatorial rappelle que seulement 140 camions sont autorisés à entrer dans Gaza chaque jour, alors « qu’il en faudrait 600 pour couvrir les besoins essentiels de la population ». « Il n’y a pas d’obstacle technique à l’acheminement de l’aide à Gaza, si ce n’est la volonté des autorités israéliennes », résume Gisèle Jourda.
« Il nous a été dit par les organisations humanitaires, qu’une partie des familles ne se déplaceront plus et qu’elles mourront à Gaza », s’inquiète la sénatrice écologiste Raymonde Poncet Monge.
« Un véritable étranglement »
Sur la situation plus spécifique de la Cisjordanie, marquée par une politique de colonisation par Israël contraire au droit international, les cinq sénateurs ont pu par exemple mesurer la situation délicate des Palestiniens de confession chrétienne, une communauté décrite comme « exsangue », dans leur rapport. « Il y a une évidence, ces communautés font l’objet – c’est une véritable unanimité entre elles – d’un véritable étranglement, d’un étouffement régulier de la part des autorités israéliennes. Elles sont persuadées, que de contrôle en contrôle, de contrainte en contrainte, de réduction de droits fondamentaux en réduction de droits fondamentaux, on cherche à les pousser en dehors de ce territoire », décrit le sénateur LR Etienne Blanc.
Les difficultés dans les territoires palestiniens ne tiennent pas seulement aux déplacements, elles sont aussi économiques. Le parlementaire du Rhône, président du groupe de liaison, de réflexion, de vigilance et de solidarité avec les chrétiens, les minorités au Moyen-Orient et les Kurdes, dépeint une population qui vit un « exode ». « 147 familles ont quitté Bethléem, car ils ont perdu la possibilité d’exercer leur activité économique, calée sur le tourisme », documente-t-il.
Dans la droite ligne de la Déclaration de New York du 12 septembre, au sujet du « règlement pacifique de la question de Palestine et la mise en œuvre de la solution des deux États », les sénateurs ont exprimé leurs inquiétudes sur le mouvement de colonisation israélienne. « Nous devons absolument bien dire, clairement, sans aucune hostilité, par rapport aux uns et aux autres : les colonies, c’est stop », a insisté ce mardi Gisèle Jourda. Cette question a constitué un point central de leur déplacement. « Le droit international doit être respecté. C’est un socle commun sur lequel on doit pouvoir bâtir des choses », encourage le sénateur communiste Pierre Barros.
La délégation sénatoriale se montre en effet fortement préoccupée par l’accélération du rythme de la colonisation et la multiplication de check-points, dont le nombre a doublé depuis le 7 octobre 2023. Ils sont désormais plus de 1 200. Ce « morcellement » du territoire constitue selon eux un « frein considérable » à la mobilité et au développement économique. Pour le sénateur PS Adel Ziane, l’un des autres membres de ce groupe d’amitié, ce mouvement de colonisation « met en danger le processus de paix et de création d’un État palestinien ». « Nous ne pouvons plus seulement rester spectateurs », réagit-il, appelant à la mise en place de sanctions, individuelles ou économiques.
Les sénateurs précisent que plusieurs interlocuteurs ont mentionné, dans les échanges, la crainte d’une « annexion pure et simple des territoires palestiniens par le gouvernement israélien »
« Ce n’est pas une agression, la reconnaissance de la Palestine, c’est un droit »
En parallèle, les enjeux sont nombreux pour le gouvernement de l’Autorité palestinienne. Les sénateurs ont brossé le tour des sujets avec le Premier ministre, Mohammed Mustapha. Appel au cessez-le-feu, libération de tous les otages, démilitarisation du Hamas, programme de réformes avec organisation d’élections ou élaboration d’une Constitution temporaire : les sujets sont nombreux sur la table pour préparer ce que beaucoup appellent « le jour d’après ». Les sénateurs du groupe d’amitié se disent « attachés à accompagner la transition politique vers une démocratie parlementaire ».
L’une des autres problématiques à l’esprit des sénateurs tient à la perception des recettes fiscales par la Cisjordanie. Actuellement, environ 2,5 milliards de dollars de revenus sont actuellement bloqués par les autorités israéliennes. « Ce sont les salaires des fonctionnaires, les travaux menés pour les services publics, le fonctionnement des centres de santé », rappelle le sénateur Adel Ziane.
L’enjeu est bel et bien que, après une reconnaissance, les territoires palestiniens puissent avoir tous les attributs d’un État. Si le Premier ministre de l’Autorité palestinienne a salué la dynamique créée par la France en faveur d’un large rassemblement national en faveur de la reconnaissance de l’État, le chef du gouvernement a également insisté sur la nécessité de penser le « jour d’après », afin que la déclaration des Nations Unies ne reste pas lettre morte.
Le groupe d’amitié affirme qu’il restera mobilisé pour la reconnaissance de l’État de Palestine « soit réellement suivie d’effets ». « Ce n’est pas une agression, la reconnaissance de la Palestine, c’est un droit », a rappelé la présidente du groupe d’amitié Gisèle Jourda. « Je souhaite que la volonté soit partagée aussi bien du côté de Ramallah que du côté israélien, pour aboutir à une coexistence. Le chemin sera long, la reconnaissance sera une première étape », mesure-t-elle.