Ce mardi 12 novembre, le Parlement européen s’engage dans la dernière ligne droite des auditions des 26 commissaires. Proposés par les Etats membres de l’Union européenne, puis officiellement désignés par la présidente de la Commission Ursula von der Leyen mi-septembre, leur nomination doit en effet encore être approuvée par un vote du Parlement européen.
Vingt d’entre eux ont déjà été reçus entre le 4 et le 7 novembre, entendus pendant trois heures par les commissions du Parlement concernées par leur portefeuille. Ce 12 novembre, les eurodéputés s’attaquent à l’audition des poids lourds de la commission : les cinq vice-présidents exécutifs choisis par Ursula von der Leyen pour animer son collège de commissaires, dont le Français Stéphane Séjourné.
Lors de leurs auditions, les eurodéputés cherchent à évaluer les compétences du commissaire ainsi que son indépendance, pour préserver la Commission de tous conflits d’intérêts. Mais le vote des eurodéputés est aussi très politique. Ne disposant pas du pouvoir d’initiative législative, ils dépendent en effet très fortement des propositions formulées par la Commission et cette période d’auditions est donc un moment privilégié pour tenter de peser sur ses orientations politiques. Ainsi, depuis 2004, les eurodéputés ont toujours rejeté au moins une candidature. En 2019, par exemple, la candidate française Sylvie Goulard n’avait pas été retenue, alors que son parti – le MoDem – était mis en cause dans une affaire d’emplois fictifs de collaborateurs européens.
Le commissaire hongrois Olivér Várhelyi sur la sellette
Une fois auditionnés, les eurodéputés des commissions compétentes votent pour approuver ou rejeter la candidature du commissaire européen, dans les deux cas deux tiers des voix sont nécessaires. Sur les 20 commissaires déjà auditionnés, 19 ont déjà été approuvés à leur poste. Le vingtième, le hongrois Olivér Várhelyi, proposé par Ursula von der Leyen au poste de commissaire à la santé et au bien-être animal, fait partie des candidats les plus en danger.
Les coordinateurs des commissions de l’environnement et de l’agriculture, qui l’ont auditionné le 6 novembre, devaient rendre leur verdict ce 11 novembre. Ils ont finalement décalé leur décision au 13 novembre, après lui avoir transmis des questions écrites supplémentaires. Le Hongrois pourrait payer sa proximité avec Viktor Orbán, alors que les commissaires européens ont une obligation d’indépendance. Ses très mauvaises relations avec les eurodéputés devraient sûrement aussi peser : lors de la précédente mandature, alors commissaire en charge de l’élargissement de l’Union, il avait traité les eurodéputés d’ « idiots » à l’occasion d’une séance parlementaire.
Un refus de sa candidature placerait toutefois les 27 dans une position de fragilité, redonnant à Viktor Orbán le pouvoir de proposer un profil encore plus polémique et de retarder la nomination de la nouvelle Commission. Si sa candidature n’est pas rejetée, son portefeuille pourrait être aménagé, pour ne pas inclure les questions de santé par exemple. « Nous ne voyons pas comment soutenir, pour être commissaire à la santé, quelqu’un nommé par un gouvernement qui a privilégié les vaccins russes et chinois au moment du Covid-19 et qui est incapable de prendre des engagements pour aider les femmes à accéder aux droits sexuels et reproductifs », soulignait l’eurodéputé Renew Pascal Canfin auprès du Monde après l’audition de Várhelyi.
Les candidats italiens et espagnols au cœur d’une bataille politique
Parmi les auditions à venir ce 12 novembre, plusieurs profils pourraient aussi coincer auprès des eurodéputés. Cette fois-ci, ce sont davantage des questions d’équilibres politiques qui se jouent. L’Italien Raffaele Fitto, par exemple, ministre des Affaires européennes de Giorgia Meloni, est proposé par Ursula von der Leyen pour occuper le poste clé de vice-président exécutif en charge de la cohésion et des réformes. S’il accédait au poste, ce serait la première fois dans l’histoire de l’Union européenne qu’une personnalité d’extrême droite est nommée à de telles fonctions. Une hypothèse qui suscite une levée de boucliers chez une partie des eurodéputés. Sur le plateau de l’émission Ici l’Europe, sur Public Sénat, LCP et France 24, l’eurodéputée Renew Fabienne Keller observe ainsi la candidature de Fitto avec beaucoup de prudence : « Les décisions de la dirigeante italienne sont inquiétantes du point de vue du respect des droits fondamentaux et notamment l’externalisation de l’accueil des demandeurs d’asile à l’extérieur de l’Union européenne, comme en Albanie. »
Toutefois, dans un Parlement européen largement dominé par la droite du PPE, qui accueille avec sympathie la nomination d’un proche de Meloni, les eurodéputés libéraux et de gauche pourraient éprouver des difficultés à rejeter la candidature de l’Italien. D’autant plus qu’Ursula von der Leyen a également proposé la nomination de la socialiste espagnole Teresa Ribera à un poste encore plus important, à la tête du collège des commissaires en tant que première vice-présidente exécutive en charge de la transition écologique et compétitive. « Avec la nomination de Teresa Ribera, il va être plus difficile pour les eurodéputés socio-démocrates de contester la composition globale du collège de commissaires, au risque de voir ce poste leur échapper », analysait le spécialiste des partis politiques européens Francisco Roa Bastos, interrogé par Public Sénat au moment où Ursula von der Leyen dévoilait les noms des candidats.
Les deux plus gros groupes du Parlement, le PPE et les sociaux-démocrates, concluront-ils un pacte de non-agression pour sauver les candidatures de Fitto et Ribera ? Les résultats des auditions de ce 12 novembre pourraient être connus le lendemain, souffle-t-on à Strasbourg. Au terme des votes des eurodéputés en commission, l’ensemble du collège des commissaires devra encore récolter la majorité des suffrages des eurodéputés réunis en séance plénière. Le vote devrait intervenir ce 27 novembre.