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Visite de Lula en France : « Le Brésil essaye constamment d’être sur la corde raide »

Le président Luiz Inácio Lula da Silva arrive en France demain pour une visite d’Etat de quatre jours. Si le Brésil entretient de bonnes relations avec la France, certains sujets comme la guerre en Ukraine ou le traité commercial avec le Mercosur risquent de créer quelques dissensions. Pour le géographe Hervé Théry, directeur de recherche au CNRS et professeur à l’Université de Sao Paulo, ce maintien d’excellentes relations réside dans la volonté du Brésil de « satisfaire tout le monde ». Entretien.
Marius Texier

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Quels vont être les enjeux de cette visite d’Etat ?

Cette visite en France fait partie des tournées fréquentes du président brésilien pour améliorer l’image du Brésil. Elle contribue également à renforcer la stature internationale de Lula. Mais formellement, il vient pour le Sommet qui aura lieu à Nice pour la protection des océans et pour des contrats doivent être signés. Le sujet du Mercosur (accord commercial controversé entre l’Union européenne et l’Amérique du Sud) et de la guerre en Ukraine seront également abordés.

Lors de la dernière visite d’Emmanuel Macron au Brésil en mars 2024, la proximité entre les deux hommes était frappante. Quels sont les liens qu’entretiennent les deux pays ?

Au Brésil, les photos de la visite ont beaucoup fait réagir. On voyait Emmanuel Macron et Lula, en pleine forêt amazonienne, se prendre dans les bras et rigoler à gorge déployée. Beaucoup ont comparé ces photos à des photos de mariage. Ce n’est pas forcément faux puisque la relation entre les deux présidents est bonne, il y a je pense une vraie affection. Mais cette proximité est à l’image de la bonne relation entre les deux pays et qui existe depuis plusieurs années notamment via des liens commerciaux.

Malgré les positions divergentes sur le Mercosur ?

Il est vrai que le Brésil a tout à gagner avec cet accord tandis que d’autres pays de l’Union européenne se montrent plutôt réticents, notamment la France. Mais la position française a tendance à s’affaiblir sur le sujet. Cependant, je n’ai pas l’impression que cet accord est très urgent pour le Brésil. Le pays est déjà un important exportateur agricole avec des clients qui viennent essentiellement de Chine et du monde arabe. D’autant que les mesures douanières mises en place par les Etats-Unis vont conduire à ce que de nombreux pays basculent leurs achats vers le Brésil.

Le 9 mai dernier, le président Lula s’est rendu à Moscou, aux côtés de Vladimir Poutine, pour assister aux commémorations de la victoire de l’URSS sur l’Allemagne nazie. Même s’il a condamné l’attaque russe en Ukraine, le président brésilien fait tout de même preuve d’une position ambiguë ?

C’est la politique de la corde raide qui vise à satisfaire tout le monde. Le Brésil entretient des relations commerciales importantes avec la Russie notamment sur le diesel et les engrais, mais également avec la Chine qui est son premier client. Ce qui me trouble cependant, c’est que la gauche brésilienne, dont fait partie le président Lula, est amenée à prendre certaines positions comme celle d’afficher une proximité avec Vladimir Poutine, en raison d’un antiaméricanisme historique. Malgré tout, le rapprochement avec la Russie reste limité.

Le Brésil assure cette année la présidence tournante des BRICS (regroupement de plusieurs pays du Sud). Quel est son positionnement international ?

C’est l’un des problèmes du Brésil puisqu’il essaye constamment d’être sur la corde raide. C’est-à-dire que d’un côté il va essayer de se positionner comme le plus petit pays des grandes puissances, mais également comme porte-parole du Sud global. Il cherche toujours à osciller entre les deux, ce qui lui confère une position de pays intermédiaire, à la charnière entre grandes puissances et puissances moyennes.

Dans un entretien au journal Le Monde, Lula a rappelé la dette historique des pays riches dans la crise climatique actuelle. Peut-il être le porte-parole de ce combat ?

C’est l’argument habituel des pays pauvres que de ne pas avoir bénéficié de la révolution industrielle. Cela fait partie des affrontements diplomatiques. Or, la situation au Brésil n’est pas comparable avec des pays comme le Lesotho ou le Mali. Le Brésil s’est tout de même industrialisé.

Durant sa visite en France, Lula va assister à la Conférence des Nations Unies sur l’Océan à Nice. Quel est l’engagement du Brésil dans la lutte contre la crise climatique ?

Nous assistons à un retour du combat climatique. Lors des deux précédents mandats de Lula, puis celui de Dilma Rousseff qui lui a succédé, le Brésil a été à la pointe de cette lutte. Ce combat a connu un coup d’arrêt avec Jair Bolsonaro, mais il tend désormais à revenir avec une déforestation qui diminue. Certes le Brésil continue d’extraire du pétrole, mais son énergie est essentiellement renouvelable. Dans l’entretien que vous venez de citer au journal Le Monde, l’argument de Lula sur le pétrole est de dire que la vente va permettre de financer la transition écologique. Il y a une blague connue au Brésil qui est de dire que le deuxième sport favori du pays, après le football bien évidemment, c’est de transférer ses problèmes aux autres.

La prochaine COP (COP 30) doit se tenir au Brésil en novembre prochain. En quoi ce sommet sera-t-il différent des autres ou du moins symbolique ?

À l’occasion de cette conférence, le Brésil va mettre l’accent sur l’Amazonie qui d’un côté représente l’eldorado et de l’autre la déforestation. C’est l’un des grands symboles des questions environnementales mondiales. Au Brésil, le déboisement représente l’essentiel des émissions carbone du pays. Cette centralité autour de l’Amazonie s’était déjà jouée lors du Sommet de Rio en 1992. Cependant, il y a un risque que ce soit comme les autres fois à savoir plusieurs effets d’annonce, mais dans la pratique, on verra plus tard.

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