Je vous parle d’un temps que les moins de 17 ans ne peuvent pas connaître. En 2008, l’ancien président Nicolas Sarkozy effectuait le dernier voyage d’Etat d’un président français au Royaume-Uni. Entre-temps, le Royaume-Uni a soumis ses citoyens à un référendum pour une sortie de l’Union européenne. Le 23 juin 2016, à la surprise générale, 51,89 % des électeurs se prononcent pour un Brexit, une sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. En janvier 2020, le retrait est officiellement acté. « Cependant les tensions d’aujourd’hui sont moindres qu’il y a quelques années », tient à rappeler Aurélien Antoine, professeur des universités et directeur de l’Observatoire du Brexit. « Le Brexit semble avoir été digéré ».
A peine arrivée sur le tarmac de l’aéroport et accueilli par le prince et la princesse de Galles avant une réception au château de Windsor et une succession d’étapes protocolaires, Emmanuel Macron a réagi sur X dans un long post soulignant un « moment important pour notre Europe ». « La volonté exprimée par le Royaume-Uni de se rapprocher de l’Union européenne est un signal fort que je salue. Il nous engage collectivement à ouvrir de nouvelles voies de coopération respectueuses de nos intérêts réciproques », a-t-il écrit.
Dans un discours devant le Parlement britannique aujourd’hui, Emmanuel Macron a assuré que les Européens « n’abandonneront jamais l’Ukraine ». Il a aussi indiqué vouloir se battre « jusqu’à la dernière minute afin d’obtenir un cessez-le-feu, pour entamer les négociations afin de construire une paix solide et durable ». Ce jeudi, il co-présidera avec le Premier ministre britannique Keir Starmer une réunion de la « coalition des volontaires » réunissant les pays prêts à aider l’Ukraine.
« Le retour de la défense renforce le couple franco-britannique »
Sur X, Emmanuel Macron a également rappelé la « responsabilité » réciproque de s’engager à la « stabilité du continent » et à la « protection de nos démocraties ». Si le Brexit a largement bousculé les relations entre les deux pays, le contexte géopolitique a quant à lui réussi à les rétablir, en particulier dans le domaine de la défense. « Le contexte actuel accélère et rend plus visible les liens étroits entre la France et le Royaume-Uni sur les questions de défense et montre la nécessité de renforcer les accords bilatéraux dans ce domaine », analyse Aurélien Antoine. « Il ne faut pas oublier qu’à l’origine, la défense était l’élément central de la construction européenne ».
Sur la défense, la France et le Royaume-Uni ont également en commun un siège au Conseil de sécurité des Nations Unies et possèdent tous les deux l’arme nucléaire. « Cela explique peut-être pourquoi Emmanuel Macron est le premier président d’un État membre de l’UE à faire un voyage d’État au Royaume-Uni après le Brexit, ce n’est en rien anodin », précise le chercheur.
Un « reset »
Si les deux pays semblent vouloir travailler en pleine coopération et faire un « reset » (réinitialisation) des relations comme le Premier ministre britannique Keir Starmer l’appel de ses vœux, certaines tensions sont toujours présentes et semblent être mises sous le tapis. Parmi elles : le sujet de la pêche et des pêcheurs entre la France et le Royaume-Uni. Particulièrement ancien, ce désaccord a connu une résurgence après le Brexit. Alors que le Royaume-Uni se retire du marché commun, le volet sur la pêche de l’accord post-Brexit autorise les pêcheurs européens à travailler dans les eaux de sa Majesté, particulièrement poissonneuses, moyennant l’obtention d’une licence délivrée par les autorités britanniques. Particulièrement dépendante de ces eaux, la France accuse le gouvernement britannique de freiner la délivrance de licence et l’UE menace la couronne de mesures de rétorsion sur les poissons britanniques vendus en Europe.
Autre sujet de discorde : la crise migratoire. Depuis les années 2010 et singulièrement depuis 2015, de nombreux migrants arrivent dans certains pays de l’Union. Beaucoup stationnent à Calais, dans le nord de la France, dans l’espoir de rejoindre les côtes britanniques. A ce sujet, le Royaume-Uni reproche à la France de ne pas exercer ses responsabilités dans ce dossier. Elle s’est récemment réjouie de l’opération de gendarmes français venus percer les boudins d’une embarcation de passeurs.
« Nous sommes revenus à une situation plus apaisée sur ces dossiers », souligne Aurélien Antoine. Mais pour le spécialiste des relations entre l’Union européenne et le Royaume-Uni post-Brexit, ces sujets de discorde restent tout de même présents. Ce jeudi, un sommet franco-britannique est prévu pour soulever ces épineuses questions avec les ministres concernés.
« Lors du dernier sommet entre l’UE et le Royaume-Uni qui s’est déroulé le 19 mai dernier, le sujet de la pêche a été l’un des éléments clés de la rencontre. Les sujets de tensions restent en suspens et il est clair que le Brexit n’a pas arrangé la chose ».
Bad cop Macron
« Le Brexit est venu renforcer les tensions déjà existantes avec la France », se souvient Aurélien Antoine. « Le référendum a été une surprise pour tout le monde, mais essentiellement pour la classe politique britannique ». Pour le chercheur, cet événement inattendu a conduit à une forme d’impréparation du Royaume-Uni devant une Union européenne « très stricte » et « préparée » à faire du Brexit un exemple à ne plus suivre. Les tensions se sont alors envenimées très rapidement. « Dans les négociations, l’Allemagne faisait plutôt figure de good cop (bon flic) et Emmanuel Macron de bad cop », explique le chercheur. « La ligne dure de la France apparaissait tout de même assez surjouée dû au fait de vouloir donner des gages aux pêcheurs ».
Pour coordonner les négociations de sortie, l’UE a nommé de 2016 à 2021 l’ancien Premier ministre français Michel Barnier comme négociateur en chef pour la préparation des relations futures entre l’UE et le Royaume-Uni. « Cela n’a pas aidé non plus puisque Michel Barnier n’est pas connu pour ses positions anglophiles », précise Aurélien Antoine.
« Voilà ce qui nous oblige »
L’élection de Rishi Sunak entre 2022 et 2024 va cependant réchauffer les relations avec la France. Proche des milieux financiers et adepte des nouvelles technologies, il partage de nombreuses passions avec Emmanuel Macron. Pour Aurélien Antoine, ce réchauffement des relations s’est même concrétisé avec l’arrivée de Keir Starmer l’année dernière. Selon le chercheur, le nouveau Premier ministre se montre particulièrement compétent sur le plan diplomatique, satisfaisant aussi bien Donald Trump que ses homologues européens. « Il a profité de l’affaiblissement du couple franco-allemand pour se hisser comme leader européen sur les questions de défense », observe Aurélien Antoine. « Mais le Royaume-Uni a lui aussi été très affaibli par le Brexit. Sur le plan économique et politique, le bilan est négatif. C’est incontestable. Le pays se redresse doucement ».
En septembre 2023, lors de sa visite en France, le roi d’Angleterre Charles III s’était exprimé devant le Sénat : « Le Royaume-Uni sera toujours un des alliés les plus proches et un des meilleurs amis de la France », avait-il déclaré en Français. « Je souhaite continuer à tisser des liens entre nos deux pays, avec détermination ».
Deux ans plus tard, dans un contexte géopolitique encore plus incertain, Emmanuel Macron réitère cet appel au « partenariat ». « Le Royaume-Uni est un partenaire stratégique, un allié, un ami », écrit-il. « Voilà ce qui nous unit. Voilà ce qui nous oblige ».