Syrian President, Ahmad al-Shara, meets with a US delegation headed by businessman, Jonathan Bass
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Visite du président syrien Ahmed al-Charaa à Paris : « La France cherche à prendre l’initiative diplomatique pour soutenir la nouvelle Syrie »

Emmanuel Macron s’apprête à accueillir mercredi à Paris le président syrien Ahmed al-Charaa. Il s’agit de sa première visite dans un pays occidental depuis la chute de Bachar al-Assad en décembre. Un déplacement aussi inédit que sensible, alors que des doutes persistent sur la coalition islamiste au pouvoir à Damas. Entretien avec Hala Kodmani, journaliste à Libération et spécialiste de la Syrie.
Steve Jourdin

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Pourquoi cette visite et pourquoi maintenant ?

L’invitation a été lancée par Emmanuel Macron dès le début de l’année. Il souhaitait recevoir Ahmed al-Charaa, mais attendait le moment opportun. La visite était en préparation depuis plusieurs semaines. Cependant, un obstacle diplomatique subsistait : le président syrien par intérim figure toujours dans des listes terroristes internationales. Il ne sera donc pas reçu officiellement comme un chef d’État. Selon le communiqué officiel, il s’agit d’un « entretien avec le président intérimaire des autorités de transition syriennes ». Ce n’est donc pas un sommet entre chefs d’État.

Mais cela n’enlève rien à l’importance de la rencontre : c’est une première historique. Al-Charaa s’est déjà déplacé dans les pays du Golfe et en Turquie, mais il s’agit de sa première visite dans un pays occidental. La France cherche clairement à prendre l’initiative diplomatique en Europe, aux côtés de l’Allemagne, pour soutenir la « nouvelle Syrie ». C’est un soutien, mais un soutien exigeant comme on dit. Cela dit, on sent bien que les autorités françaises cherchent à éviter toute mise en scène trop officielle de cette visite.

Fin mars, l’Elysée avait conditionné la visite du dirigeant syrien à la formation d’un gouvernement syrien inclusif de « toutes les composantes de la société civile ». Est-ce que cette condition est aujourd’hui remplie ?

Officiellement, oui. Un nouveau gouvernement a été formé il y a plus d’un mois. Chaque communauté y est représentée : il y a notamment une femme chrétienne, un ministre druze, un kurde, un alaouite. Ce sont, pour la plupart, des technocrates peu politisés. Mais il est vrai que les postes régaliens (défense, intérieur, renseignement) restent sous le contrôle du cercle fermé du groupe islamiste HTS (Hayat Tahrir al-Sham). L’inclusivité est donc relative.

Pourquoi Emmanuel Macron pousse pour sortir le nouveau régime syrien de l’isolement diplomatique ?

Pour la France, le rapprochement avec le nouveau régime est important. La Syrie est un pays clé dans la région : elle est frontalière du Liban, d’Israël, de l’Irak, de la Turquie et de la Jordanie. On ne peut pas avoir de politique cohérente au Moyen-Orient sans inclure la Syrie. Or, depuis quelques mois, Emmanuel Macron affiche une diplomatie plus offensive dans la région, avec une possible reconnaissance de l’État palestinien et un déplacement récent en Égypte. Jusqu’ici concentrée sur les enjeux économiques, la politique étrangère française au Moyen-Orient semble désormais prendre une tournure plus géopolitique.

 

Est-ce que les massacres récents (1 700 morts début mars, en grande majorité des membres de la minorité alaouite) seront abordés lors des discussions à l’Elysée ?

Les violences seront probablement abordées durant l’entretien, mais la France me semble assez lucide : la situation en Syrie post-guerre civile reste extrêmement instable. Le pays est exsangue, son économie est ruinée. Il s’agit de trouver un équilibre : apporter un soutien à la transition sans fermer les yeux sur les exactions commises.

L’enjeu majeur pour al-Charaa est la levée des sanctions qui asphyxient l’économie syrienne. L’Union européenne a déjà levé certaines restrictions, notamment dans les secteurs de la finance, de l’énergie et des transports. Mais sans la levée des sanctions américaines, les marges de manœuvre restent limitées : les caisses de l’État sont vides, le chômage explose, et le régime a du mal à payer ses propres forces de sécurité. L’Europe peut agir sans passer par le dollar, ce qui permettrait de contourner les sanctions américaines. La Banque européenne d’investissement pourrait par exemple financer des projets de reconstruction. Or on sait que les autorités syriennes ont aujourd’hui besoin de compétences extérieures pour remettre le pays débout.

Al-Charaa est-il totalement maître de son propre territoire ?

La situation reste très instable. Après 14 ans de guerre civile et 500 000 morts, les cicatrices sont profondes. Le massacre récent de membres de la communauté alaouite montre que le pouvoir ne contrôle pas entièrement ses propres forces armées. L’armée est encore en phase de reconstitution. Certains anciens djihadistes ont rejoint les rangs de la coalition, mais ne partagent pas tous l’objectif de respectabilité affiché par la direction.

Ces dernières semaines, des combats ont par ailleurs éclaté avec la communauté druze. A ce sujet, la situation est complexe. Ce groupe minoritaire est divisé, et certains segments ont été manipulés par Israël. Ils ont acquis une certaine autonomie sous le régime Assad, qu’ils souhaitent conserver. Un accord a été signé récemment pour réintégrer la région de Soueïda dans le giron étatique, avec la promesse que les forces de sécurité locales seraient composées de soldats issus de la communauté druze. Mais dans un pays encore lourdement armé, tout désaccord peut dégénérer rapidement.

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