President Macron Recieves Crown Prince of Saudi Arabia, Paris, France – 10 Apr 2018

Visite en France de Mohamed ben Salmane : comment l’Arabie Saoudite est (re)devenue incontournable ? 

Venu en France pour participer au sommet pour un nouveau pacte financier mondial (22 et 23 juin) et participer à une opération séduction en vue de l’organisation de l’expo universelle de 2030, le prince héritier d’Arabie Saoudite, Mohamed Ben Salmane était reçu ce 16 juin par Emmanuel Macron. Indésirable pendant un temps, “MBS” est devenu incontournable au sein de la diplomatie mondiale.
Henri Clavier

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Realpolitik oblige, Mohamed ben Salmane était reçu ce 16 juin par Emmanuel Macron pour un déjeuner. L’occasion d’aborder les intérêts communs de la France et de l’Arabie saoudite, plus que les droits de l’Homme. Mohamed Ben Salmane, d’abord perçu comme un espoir de modernisation et de libéralisation du pays, avait finalement laissé apparaître un visage peu compatible avec “la diplomatie française qui repose normalement sur un certain nombre de valeurs”, explique Camille Lons chercheuse pour l’International Institute for Strategic Studies (IISS) et spécialiste de la géopolitique des pays du Golfe. Isolé après l’assassinat de Jamal Khashogg en 2018, qu’un rapport de la CIA lui impute, Mohamed Ben Salamane a su revenir en état de grâce aux yeux des occidentaux. Au point qu’Emmanuel Macron a été le premier chef d’Etat occidental à le rencontrer et “rompre un isolement diplomatique assez long qui a duré jusqu’en 2021”, rappelle Camille Lons. 

L’Arabie saoudite, puissance montante

Si l’Arabie saoudite et son prince héritier sont au centre des attentions, cela s’explique en premier lieu par des changements de circonstances majeurs au Moyen-Orient. Le plus important est évidemment le rapprochement ou plutôt le rétablissement des relations avec la puissance régionale rivale, l’Iran. Et, en fond l’Arabie Saoudite prend de plus en plus ses distances avec son allié historique, les Etats-Unis. Une alliance qui remonte à la fin de la seconde guerre mondiale et la conclusion du pacte de Quincy en 1945 où les Etats-Unis s’engagent à protéger militairement l’Arabie Saoudite en échange de relations commerciales privilégiées en matière énergétique. La donne a clairement changé, “les saoudiens cherchent à diversifier leurs partenariats stratégiques et à réduire leur dépendance à l’égard des américains, il y a le sentiment que les Etats-Unis ne resteront pas éternellement l’hégémon et donc la plus grande puissance mondiale”, explique Camille Lons. Cette distanciation est aussi une opportunité pour “la diplomatie française qui souhaite consulter l’Arabie saoudite sur un nombre important de dossiers internationaux”, selon Camille Lons. 

Mohamed ben Salmane et “la volonté de s’affirmer comme un acteur global”

“Les relations internationales sont par nature dominées par le pragmatisme et la notion de realpolitik, on regarde de plus en plus ce que font les puissances non-alignées comme la Turquie, l’Inde ou l’Arabie Saoudite”, explique Camille Lons. Surtout, en sortant du giron des Etats-Unis, “l’Arabie Saoudite s’affirme comme une puissance qui défend ses intérêts, note Camille Lons. On observe la volonté de s’affirmer comme un acteur global et pourquoi pas avoir un rôle de médiateur”. Côté européen, il apparaît difficile de négliger de potentiel médiateur notamment dans la perspective d’une résolution de la guerre entre la Russie et l’Ukraine. “L’Arabie saoudite a été très réticente à condamner l’invasion de l’Ukraine par la Russie et a tenu à afficher sa neutralité au début. Conserver de bonnes relations avec la Russie est un enjeu majeur pour les saoudiens”, précise Camille Lons. 

“La France veut un soutien politique et financier au Liban et l’Arabie saoudite est un des acteurs qui peut l’offrir”

Le plus grand pays de la péninsule arabique semble également être l’unique partenaire capable d’offrir des débouchés séduisants pour les intérêts français au Liban. Après l’explosion du 4 août 2020 dans le port de Beyrouth, Emmanuel Macron s’était déplacé au Liban et avait appelé à un « un changement profond ». Depuis, la situation tant économique que politique n’a fait que s’aggraver. Le 30 mai, Emmanuel Macron s’entretenait avec le patriarche maronite libanais afin de “sortir de l’impasse politique” et permettre l’élection d’un président de la République, poste vacant depuis octobre 2022. Si le poste est réservé aux chrétiens maronites, le Hezbollah libanais comme les sunnites tentent d’influer sur le choix du président. “La France veut un soutien politique et financier au Liban et l’Arabie saoudite est un des acteurs qui peut l’offrir. Mais pour l’instant la réticence est importante à cause du poids croissant du Hezbollah. L’Arabie saoudite a de moins en moins d’intérêts à aider le Liban où son influence recule depuis l’assassinat du premier ministre Rafiq Hariri en 2005”, analyse Camille Lons. Jean-Yves Le Drian a récemment été nommé “envoyé personnel au Liban”, réaffirmant ainsi la volonté française de trouver une solution à la crise politique libanaise. Les chances de succès restent néanmoins incertaines puisque “l’Arabie saoudite donne la priorité à ses intérêts et se tourne davantage vers l’Asie”. 

Riyad essaye de “rester au centre des équilibres énergétiques”

Deuxième producteur mondial de pétrole, l’Arabie saoudite demeure incontournable sur le plan énergétique. Alors que les économies occidentales peinent à bannir les énergies fossiles, Riyad essaye de “rester au centre des équilibres énergétiques et même si des investissements sont prévus sur les énergies renouvelables, l’objectif est que le pétrole reste important”. Par ailleurs, la guerre en Ukraine a créé une augmentation importante des prix des énergies fossiles, générant des bénéfices de 161 milliards de dollars pour le géant pétrolier saoudien  Aramco, mais causant aussi une importante inflation dans les pays occidentaux. Or, “ces prix sont principalement fixés par la Russie et l’Arabie saoudite même s’ il y a eu quelques tensions sur le sujet. Mais il y a eu une bonne résistance aux demandes américaines d’augmenter la production” et ainsi réduire le prix du pétrole, observe Camille Lons. Le président américain Joe Biden s’était personnellement rendu en Arabie Saoudite sans obtenir de concessions de la part de Mohamed Ben Salmane. Des enjeux suffisamment importants pour conserver des relations avec une “personnalité assez dérangeante” comme celle de Mohamed Ben Salmane.  

 

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