Huit mois de rapprochement avec la Russie, et finalement un tweet qui pourrait redistribuer les cartes du jeu diplomatique. Dans un message posté mardi sur son réseau Truth Social, le président américain a estimé que l’Ukraine était en mesure de reconquérir l’ensemble des territoires tombés sous contrôle russe depuis le début de la guerre : « Je pense que l’Ukraine, avec le soutien de l’Union européenne, est en position de se battre et de RECONQUÉRIR l’ensemble de l’Ukraine dans sa forme originelle. Avec du temps, de la patience et le soutien financier de l’Europe et, en particulier, de l’OTAN, le retour aux frontières d’où cette guerre a commencé est tout à fait envisageable », écrit le locataire de la Maison Blanche. « Avec un bon état d’esprit, qui ne fait que s’améliorer, l’Ukraine pourrait être en mesure de reprendre son pays dans sa forme originelle et, qui sait, peut-être même d’aller plus loin ! », estime encore Donald Trump, qui pointe les difficultés économiques auxquelles fait face la Russie, qualifiée dans le même message de « tigre de papier ».
Un peu plus tôt dans la journée, en marge d’une réunion avec le président ukrainien Volodymyr Zelensky, le président américain a même formulé quelques louanges à l’égard de son homologue, bien loin de la scène de réprimandes de février dernier, dans le Bureau ovale, sous l’œil stupéfait des caméras du monde entier. Cette fois, il a estimé devant la presse que Volodymyr Zelensky était un « homme courageux qui se bat comme un beau diable », et a indiqué avoir « beaucoup de respect pour la manière dont l’Ukraine se bat ». L’intéressé a aussitôt salué un « grand tournant ».
« Je me félicite de voir que le président américain croit dans la capacité de l’Ukraine pas simplement à tenir, mais à faire valoir ses droits avec nous », a également réagi Emmanuel Macron en déplacement aux Etats-Unis. « C’est un message très clair du président américain pour dire que la Russie est sans doute plus faible, plus fragile que beaucoup ne l’ont dit », a-t-il ajouté un peu plus tard, dans un entretien à la chaîne France 24 et à Radio France.
Tout et son contraire
Volte-face ? Changement de pied ? Réalignement de sa politique étrangère ? Quelles valeurs donner à ces propos de Donald Trump ? Habitué aux coups d’éclat et aux déclarations fracassantes, le milliardaire n’a eu de cesse depuis son retour à la Maison Blanche de vouloir se rapprocher du président russe Vladimir Poutine pour donner corps à la promesse formulée pendant sa campagne présidentielle « de mettre fin à la guerre en vingt-quatre heures ». Auprès de Public Sénat, le général Dominique Trinquand, ancien chef de mission militaire française auprès de l’ONU, appelle à la prudence : « L’expérience nous a montré qu’il fallait se méfier des saillis de Trump, et généralement attendre 48 heures pour l’entendre déclarer l’inverse ».
Guillaume Ancel, ancien officier, spécialiste des questions militaires et auteur de Petites leçons sur la guerre (Editions Autrement), abonde : « Ce type de déclarations ne vaut absolument pas engagement de la part des Etats-Unis. D’autant qu’elles ne paraissent pas coordonnées avec son administration, puisque le même jour le secrétaire d’Etat Marco Rubio a tenu des propos bien plus modérés sur la Russie. » Il poursuit : « Le seul véritable revirement dans les déclarations de Trump, c’est que pour la première fois il semble considérer que l’obstacle à la paix n’est pas Volodymyr Zelensky, mais bien Vladimir Poutine. »
Les discussions avec Vladimir Poutine dans l’impasse
Cette évolution est à replacer dans la séquence diplomatique des dernières semaines, et notamment la rencontre ratée du mois d’août en Alaska avec Vladimir Poutine. Largement mis en scène et médiatisé, le face-à-face de trois heures entre les deux hommes n’a pas permis de dégager un semblant d’issue à la guerre en Ukraine. Le 18 septembre, en marge de sa visite d’Etat au Royaume-Uni, Donald Trump, qui s’est longtemps targué de la relation privilégiée qu’il entretient avec Vladimir Poutine, a estimé que le dirigeant russe l’avait « laissé tomber ». « Un peu à la manière d’un amoureux éconduit », ironise Guillaume Ancel pour qui le président américain « réalise que le président russe est aussi ingérable que lui, et capable de faire exactement l’inverse de ce qu’il dit ». La négociation entre Washington et Moscou est désormais au point mort, notamment bloquée sur l’éventualité d’une cession territoriale, jugée inacceptable par les Européens.
Evoquer une victoire de l’Ukraine et de ses alliés sur une Russie supposément exsangue est une manière, indirectement, de poursuivre le dialogue avec Poutine, en espérant déclencher une réaction de la part du Kremlin. En même temps, le locataire de la Maison Blanche, en insistant sur le soutien financier de l’UE, renvoie le conflit à sa dimension européenne, et cherche ainsi à replacer l’attention vers le vieux continent après avoir fait braquer les caméras sur sa propre initiative diplomatique, finalement avortée.
Répondant à la question d’un journaliste sur les engins russes qui survolent certains pays européens, Donald Trump a même estimé que les pays de l’OTAN devaient les abattre. Au risque de provoquer une escalade, ce qui paraîtrait particulièrement hasardeux sans un soutien plus affirmé des Etats-Unis.
« Donald Trump met le doigt sur les incohérences des Européens »
« Trump voit bien qu’il ne parvient pas à faire bouger Poutine, pour autant, il ne semble pas vouloir s’engager plus que ça dans ce conflit », note Dominique Trinquand. « Il parle des difficultés économiques de la Russie. Oui, l’économie russe ne va pas bien, mais elle n’est pas encore sur le point de s’effondrer. Pour accélérer ce processus, il faudrait justement que les Américains augmentent la pression », note-t-il. Or le milliardaire refuse d’envisager de nouvelles sanctions financières contre Moscou tant que les pays de l’OTAN continueront de s’approvisionner en pétrole russe.
« Imaginez, ils financent la guerre contre eux-mêmes », a dénoncé le magnat mardi lors de son intervention à la tribune des Nations Unis. « Trump met le doigt sur les incohérences des Européens », reconnaît Guillaume Ancel. « Nous lui demandons d’agresser financièrement la Russie, en retour il exige que nous en fassions autant ». « Trump n’a pas totalement tort », ajoute Dominique Trinquand. « Les Européens prennent des mesures, mais ils ne veulent pas faire mal ».
Ironiquement, les approvisionnements en hydrocarbures russes au sein de l’Union européenne concernent principalement la Hongrie et la Slovaquie, deux pays dont les gouvernements sont politiquement proches de la Maison Blanche, mais qui économiquement regardent vers Moscou. Couper le robinet les obligerait à chercher des fournisseurs plus lointains, probablement vers l’Asie ou l’Afrique, et donc plus coûteux, ce qui ne serait pas sans conséquences sur l’équilibre du marché.
« Nous allons continuer à fournir des armes à l’OTAN pour que l’OTAN en fasse ce qu’elle veut », a tout de même assuré Donald Trump. Une promesse faite à peu de frais, dans la mesure où ce sont déjà les Européens qui fiancent les achats d’armes à destination de l’Ukraine. Fin juillet, l’administration américaine avait annoncé quatre contrats passés avec l’UE pour une valeur totale de 652 millions de dollars.