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Zelensky à la tête de l’Ukraine en guerre : « Quel chef d’État peut se targuer d’avoir 65% d’opinions favorables? »

Sous le feu des projecteurs depuis l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022, Volodymyr Zelensky est aujourd’hui l’un des présidents les plus scrutés. En bientôt cinq ans à la tête de son pays, le chef de l’Etat ukrainien enregistre toujours des records de popularité. Analyse avec Alexandra Goujon, maître de conférence à l’Université de Bourgogne, spécialiste de l’Ukraine et auteur du livre “L'Ukraine. De l'indépendance à la guerre” aux éditions Le Cavalier bleu.
Matias Arraez

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Deux ans après le début de la guerre, dans quelle position se trouve Volodymyr Zelensky à la tête de l’Ukraine ?

 

Volodymyr Zelensky reste l’homme politique le plus populaire d’Ukraine. Sa cote de popularité a certes baissé depuis 2022, mais on est toujours à un niveau autour de 65%. Le président ukrainien est forcément victime d’une certaine usure du pouvoir. Cette usure est assez logique, même si on est en temps de guerre. On peut d’ailleurs supposer que si nous n’étions pas en temps de guerre, elle serait peut-être plus grande. Il aurait pu prendre des coups dans l’arène politique. Aujourd’hui, il est important de rappeler que l’on se trouve dans un contexte de deux ans d’invasion à grande échelle, dix ans de guerre au total depuis l’annexion de la Crimée mais aussi bientôt cinq ans de mandat pour Volodymyr Zelensky.

 

L’exercice du pouvoir, qui plus est en temps de guerre, l’a t-il usé ?

 

L’usure du pouvoir ce n’est pas nécessairement la fatigue du chef de l’Etat que l’on peut constater depuis sa prise de fonction. Si on compare les photos de Zelensky avant l’invasion et aujourd’hui, il y a une fatigue de chef d’Etat en guerre. Il faut rappeler que le président ukrainien est quelqu’un de très actif, très présent. Nous, nous le voyons lorsqu’il est à Paris, à Berlin. Mais quand il est en Ukraine, il y a une présence permanente, il va sur le front au chevet des soldats, il publie aussi une vidéo quotidienne depuis le 24 février 2022 pour expliquer la situation. Dans l’exercice du pouvoir, il y a une personnalisation, une responsabilisation qui peut exister en temps de paix, mais elle est encore plus grande en temps de guerre. Au quotidien, on se réfère à lui pour toutes les prises de décision importantes. A l’inverse, les Ukrainiens ne considèrent pas que c’est la faute de Volodymyr Zelensky s’il y a une stagnation sur le front, mais on peut se poser des questions légitimes sur sa responsabilité dans les décisions. Malgré cela, l’usure est très relative. Quel chef d’Etat peut se targuer d’avoir 65% de cote de popularité ? Il est certes passé de 90% à 65% depuis 2022, mais il reste la personnalité préférée des Ukrainiens.

 

A l’international, il est souvent présenté comme le meilleur représentant de son pays, notamment pour négocier des aides financières et des armes. Pourtant sur le plan national, d’autres noms émergent.

 

Il y a d’autres noms qui émergent, et alors ? On est dans un pays en guerre dont les élites politiques de tous bords, quelles qu’elles soient, mais aussi la société, sont d’accord pour qu’il n’y ait pas d’élections dans le contexte actuel. Lorsqu’a émergé l’idée d’organiser des élections, tout le monde s’est élevé pour dire : “pas d’accord”. Le coût que cela peut représenter pour le pays, le risque que l’on pourrait faire courir sur les bureaux de vote, c’est irréaliste. On peut donc, oui, commencer à parler de personnalités politiques émergentes, mais pour l’heure la question de la relève du pouvoir n’est pas d’actualité. Zelensky est face à un défi. Faire renaître sa légitimité en l’absence d’échéance électorale.

 

En l’état actuel des choses, il est donc impossible d’imaginer un changement de président ?

 

Il existe un consensus politique pour considérer qu’il est irréaliste, irresponsable, impossible d’organiser des élections dans ce contexte. La première question est la sécurité. Qui dit élection, dit bureau de vote avec une forte concentration d’électeurs dans un pays qui est bombardé. La sécurité des électeurs ne serait pas garantie. Ensuite, il y a une question démocratique. Comment peut-on faire campagne ? Comment organiser une compétition politique ? L’argent doit aller en priorité à la sécurité. Une campagne et des élections ça coûte cher. Puis, qu’est-ce qu’on fait des militaires ? Des militaires qui voudraient être candidats ou participer à la campagne ? Quid du vote des militaires ? Ils ne peuvent pas voter car on dégarnirait le front. Quid du vote des réfugiés ? Ils sont plus de 6 millions. Trop d’inconnues qui rendent impossible la tenue d’un scrutin.

 

Le président doit aussi faire face à une importante lutte interne contre la corruption pour coller aux exigences de ses alliés occidentaux. Peut-il mener les deux fronts de face ?

 

Premier bémol. La lutte contre la corruption n’est pas qu’une exigence des Occidentaux. C’est une exigence sociétale depuis la révolution de Maïdan en 2014. Depuis, il y a un nombre considérable de citoyens qui créent des associations de lutte contre la corruption, mais aussi un nombre important de journalistes d’investigation spécialisés sur le sujet. C’est donc, oui, d’un côté la pression internationale mais surtout la pression de la société civile. Effectivement, quand les Européens déboulent à Kiev et demandent des changements, ils arrivent souvent vite. Mais aujourd’hui, les principales affaires de corruption sont révélées par des journalistes ukrainiens. Pour l’Ukraine, c’est une très grande difficulté car ils doivent répondre à deux exigences : la sécurité du pays et les réformes structurelles. Des réformes notamment dans le domaine judiciaire, car changer la loi c’est bien mais il faut la faire appliquer par des juges honnêtes. Autre difficulté, il existe maintenant de nouveaux domaines de corruption possible avec l’argent de la reconstruction du pays. Les Ukrainiens disent dans leur grande majorité : “pays en guerre oui, mais on ne va pas arrêter les réformes”. Pour eux, la guerre, c’est aussi la défense d’un modèle politique. Ils ne peuvent pas laisser ce combat de côté. Les associations anti-corruption continuent de faire de la veille législative, en parallèle de ce que fait l’Union Européenne.

Devoir mener ce combat reste un bâton dans la roue ukrainienne…

 

C’est une contrainte, mais c’est lié. C’est bien parce que les Ukrainiens se sont éloignés en matière de modèle politique que la Russie a annexé la Crimée en 2014. Selon eux, ils sont aux avant-postes de la protection d’un modèle politique démocratique aux portes de l’Europe. Après, évidemment, cette lutte anti-corruption dépend aussi de ce qu’il se passe sur le front. Si demain les Russes avancent de 200 kilomètres, on ne s’interrogera plus sur les réformes. C’est une question d’équilibre à trouver. La sécurité d’abord, mais les réformes restent nécessaires pour montrer qu’il y a un état démocratique malgré la guerre.

 

Quel avenir pour l’Ukraine après la guerre ? Volodymyr Zelensky peut-il rester président ?

 

Pour les Ukrainiens, les élections viendront après la victoire. L’objectif numéro 1 reste la victoire. Après celle-ci, il sera question d’assurer un fonctionnement démocratique à plein régime. Aujourd’hui, ce qui limite la démocratie, c’est la loi martiale. Les élections sont impossibles, il ne peut y avoir de référendums, on interdit les grands rassemblements, les hommes entre 18 et 60 ans ne peuvent pas quitter le pays. On est dans une démocratie en guerre et donc limitée. Pour eux, la question n’est pas de savoir si Volodymyr Zelensky sera toujours là, ou combien de temps va-t-il rester ? Pour eux c’est, après la victoire, on pourra se poser la question.

 

“L’Ukraine. De l’indépendance à la guerre” aux éditions Le Cavalier bleu.

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