La bataille de l’école privée 2/3 : le jour où le Sénat a fait tomber le gouvernement

La bataille de l’école privée 2/3 : le jour où le Sénat a fait tomber le gouvernement

Le 5 juillet 1984, la droite sénatoriale fait échouer le projet de réforme de l’enseignement privé porté par le ministre de l’Éducation nationale Alain Savary. Cette manœuvre politique, imaginée par le sénateur Charles Pasqua, entraînera la chute du gouvernement.
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Par Marie Provot

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Dès 1981, le ministre de l’Éducation nationale Alain Savary tente de créer « Un grand service public, laïque et unifié de l’Éducation nationale », une promesse de campagne de François Mitterrand. Le projet de loi, élaboré à l’issue de trois années d’âpres discussions entre les socialistes tenant d’une ligne laïque dure et les catholiques, provoque l’ire d’une partie de la population, soutenue par le parti de droite de l’époque, le RPR.

De janvier à juillet 1984, les manifestations se succèdent partout en France. Les catholiques dénoncent une entrave à la liberté de choix de scolariser leurs enfants dans le privé lorsque les laïcs défendent une école unifiée. « La promesse d’un service public unifié et laïc n’était pas reprise dans le texte de loi », souligne le député socialiste André Laignel, avant d’ajouter : « Alain Savary s’est planté dès le début, il a pensé qu’il pouvait négocier avec l’école privée qui n’en avait aucune envie ».

Une nationalisation déguisée de l’enseignement catholique

Farouchement opposé aux concessions accordées aux catholiques, le député Laignel va durcir le texte âprement négocié par le ministre. Au nom du groupe socialiste il dépose deux amendements. Pour André Laignel, « sans ces amendements, qui étaient très mineurs par rapport au fond, le texte n’aurait pas été approuvé par le groupe socialiste ».

Mais pour les défenseurs de l’école libre, ces modifications sont inacceptables. Le 24 juin, ils sont plus d’un million à descendre dans les rues de Paris. Alors que le texte modifié est transmis à la haute assemblée, la droite majoritaire au Sénat estime que le projet de loi Savary est « une nationalisation déguisée de l’enseignement catholique », comme le rappelle Josselin de Rohan, sénateur RPR du Morbihan à l’époque. Pour l’opposition, apporter son soutien au mouvement pour l’école libre est l’occasion rêvée de contrer la gauche dotée d’une majorité écrasante à l’Assemblée nationale.

Charles Pasqua à la manœuvre

Alors que François Mitterrand refuse toute modification de texte, le Président du Sénat Alain Poher va proposer avec l’aide de Charles Pasqua, sénateur influent et leader de la droite au Sénat à l’époque, une motion référendaire. Approuvée sans hésitation par Alain Poher, cette manœuvre politique repousse l’examen du texte. De l’aveu même de Josselin de Rohan il s’agit alors de « bloquer l’examen du texte Savary en demandant l’arbitrage du peuple ». Le 5 juillet 1984, la motion référendaire est adoptée par 208 voix contre 107.

Devant la gronde de l’opinion publique et face à l’habile action de l’opposition sénatoriale, François Mitterrand renonce au projet de loi Savary quelques jours plus tard. Désavoué, le ministre de l’Éducation nationale Alain Savary démissionne ; le Premier ministre Pierre Mauroy lui emboîte le pas.

Par cette habile manœuvre politique, la haute assemblée enterre le projet de loi Savary et provoque la chute du gouvernement, et ce, alors même que la Constitution ne confère pas au Sénat le pouvoir de renverser le gouvernement. La stratégie politique imaginée par Charles Pasqua a permis de déjouer la pratique constitutionnelle.

Coup de grâce, ou « coup de pioche » comme le qualifie Josselin de Rohan, donné par la Sénat : pour la première fois depuis son accession au pouvoir, les socialistes de François Mitterrand font face à une défaite politique majeure.

Retrouver l’émission « Il était une loi - Quand le Sénat écrit l’histoire » consacrée à la bataille de l’école privée, en replay sur notre site.

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