« À aucun moment, on ne m’a demandé de mentir sur ce qu’était la situation des masques », déclare Sibeth Ndiaye

« À aucun moment, on ne m’a demandé de mentir sur ce qu’était la situation des masques », déclare Sibeth Ndiaye

L’ancienne porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye a répondu aux questions de la commission d’enquête Covid-19 du Sénat, qui reproche au gouvernement une communication erratique au cours de la crise sanitaire. À plusieurs reprises, elle a reconnu que certaines de ses déclarations avaient été « maladroites » mais que le gouvernement n’avait pas cherché à dissimuler la réalité des faits.
Public Sénat

Temps de lecture :

8 min

Publié le

Mis à jour le

La « vérité ». C’était le mot-clé d’une table ronde centrée sur la communication de crise pendant la crise de la Covid-19, organisée par la commission d’enquête sur l’évaluation des politiques publiques face aux pandémies, ce 23 septembre. Les sénateurs ont notamment interrogé l’ancienne porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye (en fonction jusqu’au 3 juillet) sur la communication du gouvernement, que le vice-président de la commission, René-Paul Savary (LR), a qualifiée de « flottante ». La question de la doctrine de l’emploi des masques a été l’un des principaux axes sur cette table ronde qui s’est étirée toute la matinée.

Également interrogé sous serment aux côtés de l’ancienne secrétaire d’Etat, Yves Sciama, président de l'association des journalistes scientifiques de la presse d'information, a affirmé que la « désastreuse affaire du mensonge sur les masques » a « durablement discrédité la parole gouvernementale ».

« Avez-vous menti pour protéger le président de la République dans cette période ? »

Une interrogation a particulièrement mobilisé une partie des sénateurs : la doctrine du gouvernement sur le masque a-t-elle évolué avec l’évolution des stocks ? « A aucun moment, on ne m’a demandé de mentir sur ce qu’était la situation des masques et à aucun moment donné, je ne l’ai fait », a répondu Sibeth Ndiaye, après avoir été questionnée sur la sincérité du gouvernement.

La sénatrice socialiste Marie-Pierre de la Gontrie a fait la connexion entre la succession de déclarations ministérielles sur la doctrine des masques et des anciens propos tenus par Sibeth Ndiaye en 2017, rapportés par la presse. « Vous avez dit j’assume de mentir pour protéger le président de la République. Ma question est donc très simple : avez-vous menti pour protéger le président de la République dans cette période ? »

L’ancienne porte-parole du gouvernement – à l’époque conseillère communication à la présidence de la République – s’est défendue en expliquant que des journalistes avaient rapporté ses propos « de manière parcellaire ». Elle a expliqué que son intention était seulement de chercher à préserver la vie privée du candidat Emmanuel Macron, en dissimulant par exemple sa localisation exacte pour lui permettre de jouer au tennis à l’abri des regards. « Cela n’a rien à avoir avec une éventuelle décision de mentir sur les décisions que pourrait prendre le gouvernement », a-t-elle répondu à la sénatrice de Paris. Et d’ajouter : « Au cours de la crise du coronavirus, j’ai, dans le cadre de mes fonctions, systématiquement relayé les informations qui étaient à ma disposition. »

Sur la question de l’emploi des masques, l’ex-porte-parole a notamment affirmé que le gouvernement d’Édouard Philippe s’était appuyé en mars sur les préconisations sanitaires, comme celle de l’Organisation mondiale de la santé. Lors d’une communication du 30 mars, l’OMS n’appelait pas encore à un port du masque dans la population générale. Sibeth Ndiaye s’est aussi référée à la position exprimée le 2 avril par l’Académie nationale de médecine, priorisant les masques FFP2 et chirurgicaux détenus par l’État aux besoins des soignants, et recommandant le port d’un masque « grand public » pour la population.

Les besoins des soignants en masques « très largement supérieurs à tout ce qui était imaginable »

Au-delà de l’évolution progressive dans la doctrine, les sénateurs ont par ailleurs épinglé la confiance affichée par le gouvernement sur l’état des stocks stratégiques avant le confinement. Le 4 mars encore, Sibeth Ndiaye prétendait sur France Inter qu’il n’y avait « pas de risque de pénurie ». Devant la commission d’enquête, elle a précisé que l’intensité de la crise dans le Grand Est avait surpassé les scénarios. Selon elle, la hausse de la consommation de masques qui a suivi la « première semaine d’accélération » de la crise dans la région Grand Est était « très très largement supérieure à tout ce qui était imaginable ». « Je ne voudrais pas dire de bêtises sur les chiffres mais on est dans un fois vingt par rapport à ce qu’on pouvait imaginer dans une épidémie avec un virus aéroporté. » La sénatrice (Union centriste) Sylvie Vermeillet, s’était interrogée sur la signification d’une commande de masques le 30 janvier par le ministère de la Santé Agnès Buzyn (elle sera auditionnée dans l’après-midi), de surcroît s’ils étaient inutiles pour le grand public. Il s’agissait d’une commande de modèles FFP2, motivée par la « précaution », selon l’ancienne porte-parole.

« C’est compliqué que vous remettiez en cause ce qui a été fait »

Au cours de l’audition, des sénateurs ont relevé que l’exercice d’autocritique allait s’avérer difficile pour l’ancienne secrétaire d’Etat, solidaire de l’action de ses anciens collègues. « Madame la ministre, je ne sais pas quoi vous poser comme question, car c’est compliqué que vous remettiez en cause ce qui a été fait », ira même jusqu’à déclarer Catherine Deroche (LR), co-rapporteure de la commission d’enquête.

Évoquant son intense exposition médiatique – 90 apparitions en six mois – Sibeth Ndiaye a avoué qu’elle « n’aurait pas la prétention » de dire qu’elle n’a « jamais fait d’erreur ». « J’ai eu des phrases maladroites », « inadéquates » et « malheureuses », a-t-elle concédé, revenant notamment sur « l’exemple mal choisi » des enseignants. Fin mars, elle avait déclaré, après un appel du ministre de l’Agriculture : « Nous n'entendons pas demander à un enseignant qui aujourd'hui ne travaille pas, compte tenu de la fermeture des écoles, de traverser toute la France pour aller récolter des fraises gariguettes. »

« Je n’ai pas la prétention d’avoir la science totale sur les stratégies qui ont été mises en œuvre, elles m’ont été expliquées »

Au cours de ses réponses, Sibeth Ndiaye a en outre souligné que la fonction du porte-parolat consistait à diffuser une communication, dont elle n’était pas à l’origine. « Je n’ai pas la prétention d’avoir la science totale sur les stratégies qui ont été mises en œuvre, elles m’ont été expliquées. Ça me paraissait d’un point de vue intellectuel tout à fait valable, et donc je les ai relayées, ce qui ne m’empêche évidemment pas d’en être solidaire politiquement », a-t-elle expliqué.

Un autre faux pas, resté en mémoire, est revenu dans les échanges. « Aujourd’hui, je vois que le port du masque n’a plus aucun secret pour vous et je m’en réjouis », a subtilement glissé le sénateur (LR) Damien Regnard. Une allusion légère à un direct sur BFMTV, le 20 mars, où la secrétaire d’État a fait le parallèle entre la technicité des gestes et l’opportunité d’imposer le masque dans la population. « Vous savez quoi, moi je ne sais pas utiliser un masque. Je pourrais dire : je suis ministre, je mets un masque. Mais en fait, je ne sais pas l’utiliser », avait-elle déclaré.

L’audition a été l’occasion de réaliser un nouveau mea culpa et de préciser ses propos. Le moment a même donné lieu à un échange cocasse avec le vice-président de la commission. « C’était une formule maladroite, je le reconnais complètement. Mon objectif à ce moment-là était au fond de dire ce que j’aurais dû dire moins simplement. On était à la fois dans un moment où il n’y avait pas de recommandations consensuelles sur le port du masque en population générale […] et nous avions un pays où la culture du masque n’existait pas », a-t-elle développé.

« Excusez-moi mais vous n’avez pas les bons gestes », interpelle le président de séance

Cette fameuse « culture du masque » ne s’est toujours pas pleinement imposée, selon elle, relayant ses observations dans la rue ou les transports. « Le port du masque est parfois un peu bizarre […] On a un geste régulier parce que le truc est mal ajusté. Quand vous portez des lunettes, ça vous fait de la buée donc vous essayez tant bien que mal de le remettre alors j’espère avoir eu les bons gestes en touchant », s’est-elle inquiétée. Réponse immédiate du vice-président René-Paul Savary, médecin généraliste pendant trente ans : « Excusez-moi mais vous n’avez pas les bons gestes. Le fait de croiser les fils, ça sort latéralement donc ça perd de son efficacité. » Sibeth Ndiaye s’est justifiée : « Je ne vois rien sinon ». « On est tous pareil, on a tous de la buée », a répliqué le sénateur, lui aussi porteur d’une paire de lunettes.

Dans la même thématique

FRA – FRANCOIS BAYROU – PALAIS ELYSEE
7min

Politique

Dans le camp présidentiel, François Bayrou n’aura pas que des amis

Après la nomination de François Bayrou à Matignon, tout le monde, au sein du bloc central, salue la décision d’Emmanuel Macron. Mais hors micro, on comprend que le président du Modem n’a pas que des soutiens au sein de l’ex-majorité présidentielle. Pour durer, il devra aussi savoir convaincre son propre camp.

Le

the republicans received at the elysee
4min

Politique

Bayrou à Matignon : la droite attend le projet du Premier ministre pour savoir « s’il est l’homme de la situation »

Après l’annonce de la nomination de François Bayrou à Matignon, les sénateurs LR du Sénat sont dans l’expectative. La participation de la droite au prochain gouvernement, dépendra de l’engagement du Premier ministre sur les priorités qu’il a fixé notamment sur la maîtrise de l’immigration et bien sûr du maintien en poste du ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau.

Le

« À aucun moment, on ne m’a demandé de mentir sur ce qu’était la situation des masques », déclare Sibeth Ndiaye
6min

Politique

François Bayrou à Matignon : « Il ne semble pas disposé à être un Premier ministre collaborateur »

Emmanuel Macron vient de nommer François Bayrou Premier ministre. Le président du MoDem devient ainsi le premier centriste de la Vème République à accéder à Matignon, il doit désormais composer son gouvernement et se protéger du risque de censure. Allié fidèle mais critique d’Emmanuel Macron, il devra réussir à parler aussi bien aux socialistes qu’à la droite. Analyse sur le plateau de Public Sénat.

Le