Agriculture : tour de chauffe pour le ministre au Sénat, à deux jours du Salon

Agriculture : tour de chauffe pour le ministre au Sénat, à deux jours du Salon

À l’initiative de la droite sénatoriale, les sénateurs ont abordé les sujets qui fâchent avec le ministre de l’Agriculture Didier Guillaume, au cours d’une séance de questions-réponses. Politique du gouvernement, négociations européennes, « agribashing », zones d’épandage : les dossiers chauds étaient nombreux.
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Rue de Varenne, la pile des dossiers sur le bureau du ministère de l’Agriculture ne diminue pas. Le Sénat est venu le rappeler à Didier Guillaume. À deux jours de l’ouverture du traditionnel salon de l’agriculture à Paris, un débat de contrôle de l’action du gouvernement s’est tenu ce 20 février, sur demande du groupe LR, majoritaire au palais du Luxembourg. « Quelle place voulez-vous pour l’agriculture », a résumé le sénateur Laurent Duplomb, qui a brocardé trois années de « déception » dans les rangs de la profession. « Les maux sont nombreux pour nos agriculteurs », a appuyé son collègue Alain Houpert, désireux de « tirer la sonnette d’alarme ». Depuis l’automne, le parti Les Républicains, présidé par Christian Jacob, exploitant agricole de profession, a pour ambition de faire de la question agricole l’un de ses principaux chevaux de bataille.

Agriculture : Laurent Duplomb regrette le « temps perdu » depuis 2017
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Pendant plus d’une heure et demie, une série de questions et de réponses ont opposé le ministre aux sénateurs, sur le modèle des questions d’actualité. L’actualité est pleine d’incertitude pour le monde agricole. À Bruxelles, les chefs d’État et de gouvernement doivent s’entendre sur le futur cadre financier pluriannuel de l’Union européenne pour la période 2021-2027, marqué par la sortie du Royaume-Uni, deuxième contributeur net. Les arbitrages seront difficiles et l’avenir de la politique agricole commune (PAC) est l’une des principales interrogations des sénateurs. « J’espère qu’enfin vous allez arrêter d’en parler avec des mots mais que vous en parlerez avec des chiffres », a demandé Laurent Duplomb.

« À Bruxelles, le seul mandat de négociation d’Emmanuel Macron, c’est la PAC », insiste le ministre

« 380 milliards d’euros, c’est le mandat de négociation. C’est la position que va défendre la France à Bruxelles », a précisé Didier Guillaume. Ce montant « exact », en euros courants (hors inflation), est équivalent à l’enveloppe du cadre financier précédent (à 27 États, et non 28). C’est 5 milliards de mieux que ce qu’exige la Commission européenne, qui a déjà relevé de 5 milliards sa proposition, sous pression de plusieurs États. « Si cette PAC devait venir à diminuer, alors c’est la fin de centaines et de centaines d’exploitations agricoles », a averti le ministre.

Pas de quoi rassurer les parlementaires. « Le cadre de la Commission européenne va se traduire par des diminutions très sensibles des aides directes, -15% pour le premier pilier de la PAC », a alerté le sénateur PS Franck Montaugé. « Arrêtez de dire que le budget va baisser de 15 % […] à moins que vous ne soyez porte-parole de la Commission européenne. C’est ce qu’elle veut, mais nous ne sommes pas favorables à cela. Et ce n’est pas ce qu’il va se passer […] Rassurez-vous », a répété Didier Guillaume.

Didier Guillaume cerné par les critiques sur le bilan de la loi Egalim

Autre sujet de discorde : la loi Egalim. Des bancs de la gauche à la droite, plusieurs sénateurs ont rappelé que la loi agriculture et alimentaire, censée améliorer les revenus des producteurs en partant des coûts de production, n’a pas eu les effets escomptés. Les résultats sont jugés « insuffisants » dans plusieurs filières, notamment la filière de viande bovine. Le « blocage » de la distribution est clairement pointé du doigt. « Il n’y a aucune contrainte dans la loi, pas de véritable moyen de pression », a relevé la sénatrice LREM Noëlle Rauscent.

Ces derniers mois, le Sénat a multiplié les initiatives législatives pour essayer de corriger les failles de ce texte né des États généraux de l’alimentation. Les dispositions de la loi, sur le volet commercial, ne font actuellement l’objet que d’une expérimentation de deux ans. Et celle-ci arrive à son terme en décembre. C’est peu dire que les sénateurs ont moyennement apprécié l’article 44 du projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique (ASAP), qui propose une nouvelle prolongation de l’encadrement des promotions et de la relève du seuil de revente à perte. « Sans aucune évaluation, vous demandez aujourd’hui au Parlement de prolonger un dispositif qui fragilise nos territoires », s’est exclamé Alain Houpert (LR).

Pour Didier Guillaume, il s’agit d’un « filet de sécurité », destiné à donner à la loi Egalim sa chance. « On verra bien comment les choses se passeront. » Partisan d’une vision du verre à moitié plein, le ministre de l’Agriculture considère que les « choses avancent »... même si « le compte n’y est pas ». Il a rappelé que les négociations entre filières de production, industriels et distribution allaient se poursuivre jusqu’au 1er mars et que le Salon de la porte de Versailles était traditionnement marqué par une « accélération » de ces discussions. « Il ne s’agit pas aujourd’hui de se laisser quelques mois, mais de prendre les mesures, d’agir », a rétorqué la sénatrice communiste Cécile Cukierman.

Quoiqu’il se passe, le rapport de force reste inégal. « Il faut lutter contre la suprématie des quatre centrales d’achat, la loi Egalim ne le règle pas », a soulevé Laurent Duplomb. Sur le terrain des normes sanitaires, alors que le traité de libre-échange avec le Canada (Ceta) fait hurler les syndicats agricoles, le ministre a répondu : « N’importons pas une alimentation que nous ne voulons pas. »

« On ne fait pas muter l’agriculture au rythme des tweets »

Qu’il s’agisse du développement de l’agriculture biologique ou des objectifs de réduction de l’emploi des produits phytosanitaires, la séance au Sénat a aussi été marquée par le débat autour de « l’agribashing », ou des campagnes de dénigrement dont sont victimes des agriculteurs. Sur les « campagnes d’intimidation », Didier Guillaume s’est engagé à prendre des mesures pour empêcher les « intrusions » sur les terrains agricoles. « Le bien-être de l’éleveur, il m’intéresse tout autant que le bien-être animal ».

« Le gouvernement doit cesser d’alimenter l’agribashing. Or, il ne montre pas l’exemple. La preuve avec ses décisions en matière de zones de non-traitement », s’est offusqué Alain Houpert. Le sénateur faisait mention à la nouvelle règlementation sur la limitation des zones d'épandages des pesticides à proximité des habitations.

Sur ce dossier, où le gouvernement est pris en tenaille entre l’opinion publique et le monde agricole, Didier Guillaume a tenté de dédouaner le gouvernement. « Si nous en sommes là, c’est parce que la France a été condamnée par le Conseil d’État. Sans cette condamnation, nous n’en serions pas là. » Interrogé sur l’impact budgétaire qui pèsera sur les exploitants agricoles, le ministre a affirmé que le gouvernement ferait « tout » pour « que les agriculteurs ne soient pas les dindons de la farce ».

Demandant à l’hémicycle « d’arrêter de toujours parler négativement » de l’agriculture, Didier Guillaume a également appelé à ne pas creuser davantage « l’abîme » entre société et agriculture. « Ce n’est pas d’opposer les modèles agricoles entre eux qu’il faut éviter, mais d’éviter d’opposer l’agriculture et la société civile ; les réseaux sociaux et ceux qui travaillent la terre. On ne fait pas muter l’agriculture au rythme des tweets. » Déjà en septembre, les notifications du ministre sur les réseaux sociaux chauffaient.

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