Annulations d’élections municipales et consulaires : les sénatoriales sont-elles compromises ?

Annulations d’élections municipales et consulaires : les sénatoriales sont-elles compromises ?

Après la décision du gouvernement de reporter les élections municipales en Guyane, les élections sénatoriales de septembre, où votent en majorité des conseillers municipaux, risquent-elles d’être à leur tour retardées ? L’essentiel du renouvellement de la Chambre haute ne devrait pas être perturbé.
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Le Conseil scientifique l’avait alerté dans deux avis publiés ces derniers jours, sur les risques inhérents à la campagne et au scrutin. Le gouvernement a pris sa décision le 15 juin : les élections municipales en Guyane, dans les sept communes où un second tour était nécessaire, seront reportées et n’auront pas lieu le 28 juin, comme dans le reste du pays. Le ministère de l’Intérieur insiste sur les « dynamiques épidémiques d'une intensité différente » du coronavirus en Guyane et à Mayotte, même si pour le deuxième département, les élections sont maintenues « à ce stade », dans des conditions de « sécurité maximale ».

Grâce au projet de loi sur l’organisation du second tour des élections municipales, qui sera définitivement adopté au Parlement ce mercredi 17 juin, le gouvernement aura la possibilité de reporter des scrutins dans une zone de circulation active du virus. Les deux tours de l’élection ne devant pas être trop dissociés dans le temps, les sept communes guyanaises en question devront vraisemblablement reprendre le processus électoral à zéro d’ici janvier 2021, après annulation des résultats du premier tour. Aucune date n’a été fixée, pour l’heure.

En apparence, cette situation pose un casse-tête en Guyane, département concerné par le nouvellement de la moitié du Sénat le 27 septembre prochain. Un cas atypique. L’élection sénatoriale, où votent, rappelons-le, en majorité des conseillers municipaux, est-elle maintenue ? Selon nos informations, le gouvernement a assuré à la commission des Lois du Sénat que le renouvellement partiel du corps électoral des sénateurs en Guyane ne poserait pas de problème. La raison avancée est la suivante : près des trois quarts des grands électeurs guyanais ont été désignés le 15 mars. Et ce, dans des communes de grande taille ou rurales.

Un report qui ne « serait pas de nature » à bouleverser le corps électoral

Sur les 22 communes du département, 15 ont en effet élu leur conseil municipal dès le premier tour, y compris deux des trois plus grandes communes urbaines, dont Cayenne (61 000 habitants). Pas d’obstacle, donc, à ce que les deux sénateurs guyanais soient élus en septembre par un collège mixte, fait de nouveaux et d’anciens élus locaux. « Le report ne serait pas de nature à bouleverser le corps électoral », nous explique-t-on dans l’entourage d’Antoine Karam. Le sénateur (apparenté au groupe La République en marche) de Guyane, qui ne souhaite pas se représenter, en a eu confirmation auprès de la préfecture.

Comme le rappelle l’étude d’impact du projet de loi organique « portant report des élections sénatoriales », débattu à partir du 17 juin au Sénat, les sénateurs ne peuvent pas être élus « par un collège en majeure partie composé d'élus exerçant leur mandat au-delà de son terme normal ». Ce principe a été posé par le Conseil constitutionnel, dans une décision du 15 décembre 2005. Il en va du respect de la Constitution : le Sénat représente les collectivités territoriales. Et pour cela, il « doit être élu par un corps électoral qui soit lui-même l'émanation de ces collectivités », ont souligné les Sages.

Six mandats de sénateurs ne pourront toutefois pas être renouvelés en septembre 2020

Le cas est différent pour la moitié des 12 sénateurs représentants les Français établis hors de France, qui devait être renouvelée le 28 septembre. Le projet de loi qui devrait être définitivement adopté par les deux assemblées ce 17 juin, actera le report des élections consulaires, qui devaient se dérouler normalement en juin. Car ce sont les conseillers consulaires qui doivent élire les sénateurs représentant les Français établis hors de France.

Le projet de loi organique, examiné à partir du 17 juin, au Sénat, prévoit de prolonger d’un an, jusqu’en 2021, le mandat des six sénateurs qui expirait en septembre, et de réduire d’un an celui de ceux qui seront élus en 2021, afin de conserver un renouvellement triennal strict par moitié du Sénat. Le même projet de loi organique offre par ailleurs la possibilité de suspendre la tenue d’élections législatives ou sénatoriales partielles tant que la situation sanitaire ne permet pas leur organisation. Ces grands principes n’ont pas fait l’objet d’objections de la part du Conseil d’État, qui veille à la sécurité juridique des textes.

Des contestations ?

Sur le cas de la Guyane, où l’élection sénatoriale sera maintenue avec un collège électoral hybride, des observations peuvent toutefois se poser, selon Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l'université Paris-II-Panthéon-Assas. « Cela signifie qu’une partie du corps électoral n’aura jamais l’occasion de se prononcer. Les conseillers qui auront été élus en octobre ou en novembre n’auront jamais la possibilité de transmettre la part de légitimité qui leur a été confiée à un sénateur […] S’il y a une saisine du juge, il est possible qu’il trouve une acrobatie, au regard des circonstances. On touche à la limite de ce qu’on peut faire en droit électoral. »

Six sénateurs des Français établis hors de France avec un mandat prolongé, et deux sénateurs de Guyane élus avec un corps électoral renouvelé à hauteur de 75 % : ces rares anomalies, imposées par la force des choses d’un contexte sanitaire inédit, ne devraient pas non plus perturber le renouvellement des instances du Sénat, composé de 348 sénateurs. « Si on fait le parallèle avec le renouvellement au fil de l’eau du Sénat, entre les sénateurs nommés au gouvernement, ou encore les éventuels décès, le Sénat tel qu’il existe au jour de l’élection du président du Sénat n’est pas le Sénat qui existe deux ans plus tard », rappelle-t-il.

Mais Benjamin Morel, spécialiste du Sénat, considère que ce type de situation pourrait donner du fil à retordre dans certains scénarios. « Si jamais on est en face d’une majorité ric-rac, s’il manque des voix pour avoir une majorité absolue, cela peut poser des problèmes politiques ». L’issue du deuxième tour des municipales, le 28 juin, permettra d’y voir plus clair sur les projections du futur Sénat.

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