Budget : le Sénat corrige un plan de relance « artificiellement gonflé »

Budget : le Sénat corrige un plan de relance « artificiellement gonflé »

Les sénateurs ont adopté le plan de relance du gouvernement en renforçant le fonds de solidarité pour les entreprises et en favorisant l’embauche des jeunes de moins de 26 ans. Ils dénoncent un « plan de rattrapage » en trompe-l’œil et « l’ambiguïté » des 100 milliards d’euros annoncés, alors que la mission relance ne compte que 36 milliards.
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Un plan de relance que Matignon présente volontiers comme « historique ». Après les députés, les sénateurs ont planché jeudi soir, dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances (PLF) 2021, sur ce plan à 100 milliards d’euros. C’est l’une des traductions du « quoi qu’il en coûte » d’Emmanuel Macron, pour faire face à la pire crise qu’a connue la France depuis 1945. Ils ont adopté les crédits de la mission relance, après y avoir apporté de nombreuses modifications.

« Ce plan vise à construire la France de 2030 »

« Ce plan vise à construire la France de 2030, en soutenant les secteurs qui feront l’économie et l’emploi de demain » lance à la tribune le ministre en charge des Comptes publics, Olivier Dussopt, en l’absence de Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, des finances et… de la Relance. Une « désertion » dénoncée vivement par les sénateurs (lire ici).

Avec ce plan, l’objectif du gouvernement est de retrouver « d’ici fin 2022 » notre niveau de croissance de 2019, alors que l’année 2020 se termine avec une récession historique de - 11 %, et un rebond revu à la baisse pour 2021 de + 6 %. Les dernières annonces du Président et du premier ministre seront quant à elles introduites lors de la seconde lecture.

Problème pour l’exécutif : ce plan de relance est aussi peu lisible que la dernière ligne de texte chez l’ophtalmo. La mission plan de relance, au sein du PLF, ne compte que 36 milliards d’euros d’autorisation d’engagement (soit l’argent dépensé à terme) et seulement 22 milliards d’euros pour 2021 (les crédits de paiement). Le reste se balade un peu partout : 14 milliards sont à trouver du côté de la Sécu et de l’Unedic, 20 milliards dans la baisse des impôts de production, d’autres sont inscrits dans les budgets des ministères et une partie a déjà été dépensé en 2020… Bref, on fait mieux en termes de lisibilité.

« Le chiffre rond de 100 milliards est martelé avec beaucoup de conviction, mais à regarder de plus près… »

Les sénateurs ne se sont pas fait prier pour le faire remarquer. « Des mesures auront une dimension de relance de l’économie. Mais si on se limitait à elles, on n’atteindrait pas le chiffre de 100 milliards » souligne ainsi le rapporteur du budget au Sénat, le sénateur LR, Jean-François Husson. Il continue : « Ce plan de relance constitue avant tout un plan de rattrapage, pour des actions que les ministères auraient déjà conduites, qui trouvent dans le plan de relance un véhicule d’opportunité ». Le timing n’est pas le bon non plus, selon la majorité sénatoriale. « Pour être dans les temps de la relance, il aurait fallu agir plus tôt » soutient Jean-François Husson.

Le président du groupe centriste, Hervé Marseille, vient lui prêter main-forte et résume le sentiment général. « Le chiffre rond de 100 milliards est martelé avec beaucoup de conviction. Mais à regarder de plus près, la réalité de ce plan de relance est beaucoup plus ambiguë car l’enveloppe globale est artificiellement gonflée » lance le sénateur UDI des Hauts-de-Seine, qui continue :

Vous conjuguez des crédits déjà budgétés en 2020, avec d’autres qui le seront au mieux en 2022. Vous agrégez des mesures tantôt budgétaires, tantôt fiscales ; tantôt conjoncturelles, tantôt structurelles ; des sources de financement tantôt nationales, tantôt européennes ; tantôt certaines, tantôt hypothétiques…

« Un système plus large, plus juste et plus efficace » pour le fonds de solidarité

Si elle critique le plan de relance, reste que la majorité sénatoriale a adopté les crédits de sa mission, au nom de la responsabilité. Elle ne se prive cependant pas de les modifier. Les sénateurs ont adopté trois amendements du rapporteur Jean-François Husson. L’un vise à prolonger un dispositif d’aide à l’emploi pour les jeunes de moins de 26 ans, « sans condition de ressource » et jusqu’à 1,6 Smic. Il recentre l’aide sur les PME.

L’autre amendement reprend une idée déjà votée par le Sénat lors de la dernière loi de finances rectificative, afin « d’ouvrir et d’élargir le dispositif » du fonds de solidarité pour les entreprises, en prenant aussi en compte « une part des charges fixes des entreprises qui sont hors du dispositif ». « C’est un système qui se veut plus large, plus juste, plus efficace » résume le rapporteur. Le troisième augmente de 500 millions d’euros des crédits pour la prime à la conversion automobile.

Les sénateurs ont aussi adopté un amendement du sénateur LR Serge Babary afin de créer un fonds de 400 millions d’euros permettant la prise en charge de « chèques-restaurant » à destination des plus modestes. Une manière de soutenir aussi la restauration.

550 millions pour la fibre, « une victoire politique majeure pour le Sénat »

Le texte du gouvernement donne quand même quelques motifs de satisfaction. Le président centriste de la commission du développement durable, Jean-François Longeot, salue le total de « 550 millions » pour le déploiement de la fibre sur l’ensemble du territoire d’ici 2025, « une victoire politique majeure pour le Sénat et notre commission, qui a engagé ce combat depuis des années ».

Le Sénat a aussi adopté un amendement présenté par le socialiste Olivier Jacquin, au nom de la commission de l’aménagement du territoire, pour augmenter de 20 millions d’euros les crédits consacrés à la réparation des ponts. Sujet qui a donné lieu à une mission d’information de la Haute assemblée.

20 millions pour aider le déploiement de solutions industrielles 5G

Adoption aussi d’un amendement signé notamment par le socialiste Franck Montaugé et la présidente LR de la commission des affaires économiques, Sophie Primas, pour créer une enveloppe de 20 millions d’euros dédiée au soutien du déploiement d’applications industrielles de la 5G.

Sur le logement, la sénatrice LR Dominique Estrosi Sassone constate le « chiffre impressionnant » de 7 milliards d’euros consacrés au secteur, regrettant cependant que la rénovation thermique, dont les moyens sont en hausse, ne le soient pas davantage. Elle s’inquiète aussi du manque de moyens pour les quartiers populaires. Derrière ces chiffres flatteurs, son collègue LR, Marc-Philippe Daubresse, alerte pour sa part sur la situation :

Si tous les chiffres se confirment, nous nous retrouverons dans une situation d’offre de logements comparable à celle de 1951, avant l’appel de l’Abbé Pierre, si on regarde le nombre de ménages à loger.

A noter qu’un amendement transpartisan, rassemblant droite, gauche et centre, a été adopté pour doter de 100 millions d’euros supplémentaires le programme de renouvellement urbain. Il s’agit de répondre à la demande formulée par les maires des quartiers populaires.

Le PS propose « un plan de relance alternatif » plus vert et pour les jeunes

La gauche et les écologistes ont défendu de nombreux amendements en faveur des plus pauvres, des jeunes, des transports ou encore pour des mesures environnementales. « Ce plan de relance ne couvre pas tous les champs des besoins, comme le montrent tous ces amendements » constate le sénateur socialiste Rémi Féraud.

« Ce plan a le mérite d’exister » reconnaît le sénateur PS de Paris, mais face à ses lacunes, les socialistes mettent sur la table « un plan de relance alternatif » (lire ici pour plus de détails). Il vise le développement de transports propres, propose 800 millions d’euros pour la culture et le secteur associatif, ou vient en aide aux jeunes, avec la création d’une dotation autonomie jeunesse, dédiée aux 18-25 ans. Dans le même esprit, la sénatrice Génération. s (groupe écologiste), Sophie Taillé-Polian, a défendu l’ouverture du RSA dès 18 ans.

Si beaucoup d’amendements de la gauche ont été rejetés, les socialistes ont cependant réussi à faire adopter une série de mesures, comme la création d’un fonds de transition écologique d’un milliard d’euros, centré sur les PME et les TPE. Pour le groupe écologiste, un amendement du sénateur Joël Labbé est également passé. Il augmente de 50 millions d’euros le volet « forêt » du plan de relance, pour soutenir une « sylviculture adaptée aux enjeux climatiques » et lutter contre « les coupes rases massives ».

« Houston, on a un problème »

Adoption aussi d’un amendement de la socialiste Gisèle Jourda pour la création d’un fonds national de dépollution et de réhabilitation des sites et sols pollués, doté de 25 millions d’euros. Une préconisation de la commission d’enquête du Sénat sur le sujet, dont la sénatrice de l’Aude était rapporteure. Les socialistes ont aussi obtenu un peu plus tôt dans la soirée l’adoption d’un amendement du sénateur de la Guadeloupe, Victorin Lurel, pour un plan en faveur de l’Outre-Mer doté de 2,5 milliards d’euros. Son adoption a eu quelques conséquences.

« Houston, on a un problème… On a un problème d’équilibre budgétaire car le vote en faveur de l’amendement Lurel fait exploser tous les compteurs » a alerté le président PS de la commission des finances, Claude Raynal. Après une suspension de séance de près de trois quarts d’heure, et quelques réglages, la fusée PLF a pu continuer son vol, tout le monde à bord. L’espace du budget est grand, il est immense même. Les sénateurs ont réussi à terminer dans la nuit l’examen de la mission relance, avant de prendre vendredi la direction de nouvelles microplanètes budgétaires, en entament les crédits de chaque ministère.

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