Check Point : l’heure d’été a-t-elle vraiment plus d’inconvénients que d’avantages ?

Check Point : l’heure d’été a-t-elle vraiment plus d’inconvénients que d’avantages ?

Alors que les mérites du système actuel de changement d’heure sont fréquemment remis en question, le Parlement européen demande à la Commission européenne de lancer une « évaluation complète » en vue de son éventuelle révision. Check Point mène sa propre enquête sur les inconvénients et les avantages du passage à l’heure d’été.
Public Sénat

Par Xavier Lambert - RTBF

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Le mois dernier, le Parlement européen a voté une résolution invitant la Commission européenne à lancer une évaluation complète sur le bénéfice réel du système changement d’heure en vue de son éventuelle révision. Check point a mené sa propre enquête

Avez-vous bien avancé votre montre ce dimanche ? Ce geste que certains oublient, mais qui est de plus en plus suppléé par les horloges et réveils électroniques, c’est peut-être la dernière fois que vous le posez : nous venons peut-être de vivre cette année notre dernier passage à l’heure d’été.

Check Point : "L'heure d'été a-t-elle vraiment plus d'inconvénients que d'avantages ?"
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Le 7 février dernier, par 384 voix pour et 153 voix contre, le parlement européen a en effet voté une résolution invitant à la commission à "lancer une évaluation complète" du système actuel. Mais surtout qui précise , "si nécessaire, à présenter une proposition en vue de sa révision".

 

Le groupe de députés à la base de cette résolution avait d’abord déposé une première proposition, qui demandait à la commission de décider immédiatement la suppression du changement d’heure, mais celle-ci n’a pas réussi à recueillir une majorité.

Pour la députée verte Karima Delli, à la base de la proposition, il y a en effet "plus d’impacts négatifs – sur la santé, la sécurité routière, l’énergie – que d’effets positifs":

Alors, l'heure d’été a-t-elle réellement plus d’inconvénients que d’avantages ?

D’abord, c’est quoi, l’heure d’été ?

Pour rappel, l'heure d'été est un système consistant à ajuster l'heure locale officielle, en ajoutant une heure à celle du fuseau horaire dit normal (qui prévaut en hiver).

En fait la France avait adopté l’heure d’été dès 1916 à la suite de l’Allemagne, puis avait décidé en 1945 d’abandonner le principe du changement d’heure… mais en conservant l’heure d’été, c’est-à-dire celle qui avait été décalée et non celle d’hiver qui correspondait au méridien de Greenwich.

On parle de ce fait aussi d'heure double d’été car nos pays sont déjà en avance d'une heure sur le méridien de Greenwich, alors que nous sommes à la même longitude. Ainsi quand il devrait être midi selon l’heure solaire, c’est-à-dire que le soleil est au zénith, notre horloge affiche déjà 14 heures…

En Europe, l'heure d'été commence le dernier dimanche de Mars et se termine le dernier dimanche d'octobre.

À quoi ça sert ?

On dit que l’idée vient de Benjamin Franklin, une nuit d’insomnie à Paris, qui constate le vide des rues aux heures d'ensoleillement les plus matinales de la journée. Ce qui le fait songer à toutes les chandelles et bougies économisées si les gens se levaient et se couchaient plus tôt.

Le soleil se lève en effet plus tôt l'été. Une luminosité " perdue " pour des humains qui se lèvent généralement après le soleil à cette période. " La plupart des gens se lèvent entre 6h et 7h du matin, or en hiver il fait jour le matin vers 8h et en été vers 6h ", explique-t-on à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME). Pour qu'il fasse toujours jour autour de 7h on adapte donc les horloges.

En anglais plutôt que d’heure d’été (" summer time "), on parle d’ailleurs de " DST " pour " Daylight saving time ", l’heure qui permet de sauver de la lumière du jour.

Quelles économies d’énergie ?

En France, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) avance des chiffres impressionnants concernant l'impact de ce dispositif : 440gwh d'électricité économisés et 44.000 tonnes d'émission de CO2 évités en 2009. Soit l'énergie d'une ville de 800.000 foyers quand même ! Le tout "pour un coût quasi nul de mise en œuvre", plaide l'Agence.

Mais, admet-elle, ce gain devrait aller en diminuant avec les années, avec les nouvelles technologies liées à l’éclairage, qui utilisent un très faible volume d’électricité. Les lampes LED consommant 5 à 10 fois moins que les incandescentes classiques pour un même éclairage, on économise 5 à 10 fois moins par heure de non-fonctionnement.

L’Agence française a aussi analysé quelques autres études, sur des territoires différents et remarque… que chacune arrive à des résultats différents.

Au Canada, une analyse d’Hydro-Québec a ainsi conclu à un gain nul, 5 % de l’électricité consommée étant utilisée pour l’éclairage, contre 50 à 60 % pour le chauffage… et la climatisation : une étude portant sur l'État de l'Indiana conclut que la faible économie d'énergie réalisée sur l'éclairage est très largement annulée par une utilisation accrue de la climatisation. Le supplément d'énergie consommée est même estimé dans ce rapport à environ 2 à 4 %.

Enfin, la plupart des études n'incluent pas la consommation accrue de carburant des véhicules lors des soirées estivales, ce qu’avait fait une étude belge, qui concluait que les quantités de carburant utilisées venaient ruiner tous les gains en éclairage.

En incluant l'ensemble des coûts énergétiques, la Commission européenne considère d’ailleurs au mieux "que les économies effectivement réalisées sont difficiles à déterminer, et, en tout cas, relativement limitées".

Bref, le gain n’est pas totalement prouvé, s’il existe, il est minime, et ira de toute façon en se réduisant au fil des ans.

Et pour la santé?

Et puis, il y a les conséquences négatives sur la santé. Comme le jour tombe plus tard, on a plus de mal à s’endormir.

La luminosité plus tardive retarde aussi la sécrétion de la mélatonine – l'hormone du sommeil, ce qui peut réduire le temps de sommeil et ainsi augmenter le nombre et la gravité des accidents cardiaques pendant au moins sept jours après le changement d'heure, et augmenter la fréquence des accidents du travail et de la circulation

Selon le Dr Marc Schwob : "Changer d'heure provoque entre autres des troubles du sommeil et de l'attention. Les enfants et les personnes âgées sont particulièrement touchés et mettent environ une semaine pour s'adapter aux nouveaux horaires".

Une progression des suicides et de la consommation de somnifères a même été constatée en France avec l’heure d’été. L'hypothèse d'un lien de causalité entre ces deux événements a été avancée. C'est d’ailleurs cet argument qui a conduit la Russie à abandonner le changement périodique d'heure en 2011.

Transports et sécurité routière

Dans les premières semaines après le changement, l'heure d'été retarde artificiellement les brouillards et les givrages matinaux, ce qui est cause de retards, voire d'accidents, routiers et aériens.

En France, la sécurité le retour à l'heure d'hiver entraîne un pic d'accidents pendant " une bonne semaine ", notamment en fin de journée où le surcroît atteint +47 % pour les piétons.

Le phénomène est également observé en Belgique, où d'octobre à novembre le nombre d'accidents affectant les piétons pendant l'heure de pointe du soir augmente de 29%, selon l’IBSR.

Le nombre de blessés graves et de tués parmi les piétons augmenterait même de 80% à Bruxelles.

Et pour les animaux

Selon les agriculteurs, les changements d'heure ont également une influence sur les animaux domestiques : le changement d'heure de la traite des vaches laitières les perturberait profondément et il s'ensuivrait toujours une baisse de production de lait et surtout du stress, qui altérerait la qualité du lait

Un rapport remis au Sénat français en 1997 concluait d’ailleurs: "Il ressort de l'ensemble de cette étude que les avantages annoncés ou attendus du changement semestriel de l'heure ne sont pas suffisamment importants pour compenser les inconvénients ressentis par les populations", en particulier en ce qui concerne la santé publique, les conditions de travail et les modes de vie, l'agriculture, la protection de l'environnement et la sécurité routière.

Conclusion

La commission, dans son rapport de 2007, estimait par contre les études non concluantes et le désir des citoyens pas clairement en faveur d’un changement.

Mais depuis, les opinions ont évolué. Tous les sondages sont désormais largement défavorables à l’heure d’été.

Sur le site de la RTBF, par exemple, sur 3000 votes, 80% se prononçaient ainsi en faveur de la suppression du changement d’heure.

Alors, pourquoi est-ce qu’on n’a pas encore supprimé cette heure d’été ?

Pour l’ACHED (l’Association Contre l’Heure d’Été double), qui milite depuis des années pour la suppression, c’est une question… d’orgueil. Et d’inertie. Et d’effet domino.

Mais ça pourrait changer : "De grands pays comme l’Inde n’ont jamais adopté ce changement d’heure, et d’autres comme la Russie ou la Chine viennent de l’abandonner. L’effet domino pourrait jouer dans l’autre sens cette fois. En Amérique aussi, ça évolue. Et deux autres états ont évoqué la possibilité de la supprimer".

Pour Éléonore Gabarain, il y a côté français une réaction d’orgueil : "L’instauration de l’heure d’été est liée au slogan " on n’a pas de pétrole mais on a des idées ". On en était fiers. Mais aujourd’hui, les surconsommations de trafic compensent les économies d’énergie, le solde énergétique est nul, on a prouvé que ça entraîne des problèmes de santé, qui coûtent à la collectivité, des problèmes  d’organisation, pour la société, les agriculteurs, et le seul argument qu’on oppose pour conserver le changement, ce sont les longues soirées d’été. Mais ce n’est bon que pour une élite, ça, tout le monde ne peut pas en profiter et pour les enfants en particulier, cela crée des manques de sommeil, et donc des problèmes de concentration et de santé ".

Notons que si la Commission décidait de changer d’heure, les États resteraient libres de choisir l’heure qu’ils adopteraient : celle d’hiver, celle d’été, voire celle " naturelle ", ou " solaire " qui correspond pour nous à celle du méridien de Greenwich.

Mais en tout cas, quand Karima Delli dit qu’" il y a plus d’impacts négatifs que d’effets positifs " à l’heure d’été…

C’est plutôt vrai.

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