Check Point : l’UE minimise-t-elle le manque à gagner causé par Google, Amazon, Facebook et Apple ?
Les GAFA, Google, Amazon, Facebook, Apple, quatre géants américains aux profits colossaux, ne paient pourtant presque pas d'impôt au sein de l'Union européenne. Montages financiers et optimisation fiscale leur permettent d'échapper aux lois fiscales en vigueur dans l'Union européenne. Mais alors à combien peuvent s'évaluer les pertes réelles générérées par ces stratagèmes pour l'Europe et comment lutter efficacement contre ce phénomène ? Décryptage du Check Point.

Check Point : l’UE minimise-t-elle le manque à gagner causé par Google, Amazon, Facebook et Apple ?

Les GAFA, Google, Amazon, Facebook, Apple, quatre géants américains aux profits colossaux, ne paient pourtant presque pas d'impôt au sein de l'Union européenne. Montages financiers et optimisation fiscale leur permettent d'échapper aux lois fiscales en vigueur dans l'Union européenne. Mais alors à combien peuvent s'évaluer les pertes réelles générérées par ces stratagèmes pour l'Europe et comment lutter efficacement contre ce phénomène ? Décryptage du Check Point.
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Par Audrey Vanbrabant

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Fin septembre, le commissaire européen à l'économie Pierre Moscovici expliquait au quotidien Le Monde, le manque à gagner qu'engendraient les GAFA. "Il n'est plus question de tolérer une situation où des sociétés échappent pratiquement à l'impôt malgré des bénéfices considérables. C'est une question de justice sociale et de pragmatisme. Nous estimons que le manque à gagner pour les fiscs européens est supérieur à 5 milliards d'euros par an." Un chiffre interpellant quand on sait les milliards que les géants du numérique brassent annuellement et comment ils s'en sortent pour payer le moins de taxes possible.

Les GAFA englobent les entreprises digitales Google, Amazon, Facebook et Apple. Ces grands groupes sont souvent accusés de pratiquer l'optimisation fiscale grâce à des montages financiers qui minimisent leurs impôts. Concrètement, ces entreprises transfèrent artificiellement les bénéfices qu'ils réalisent dans toute l'Union Européenne dans un seul et unique pays comme l'Irlande ou le Luxembourg où elles bénéficient de taux d'imposition largement avantageux. À titre d'exemple, Apple enregistre en Irlande l'ensemble des bénéfices qu'elle réalise en Europe, au Moyen-Orient et en Inde.

Des procédés légaux puisque ces entreprises profitent d'une faille dans la fiscalité internationale. Selon la conception de l'Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE), suivie par 35 pays dont la France et la Belgique, une entreprise doit régler ses impôts dans les pays où elle possède "une base matérielle fixe et dans laquelle elle exerce une activité".

C'est précisément là que ça coince. En ce qui concerne les entreprises numériques, la production peut se localiser à n'importe quel endroit sur le globe sans pour autant nécessiter d'un lieu physique concret. Les services étant digitaux, il n'est plus question de biens matériels facilement quantifiables.

Révolte des États membres

Une situation qui hérisse le poil de plus d'un des pays membres de l'UE. C'est notamment le cas de la France et de son ministre de l'économie et des finances, Bruno Le Maire, qui a déposé un projet visant à imposer le chiffre d'affaires européen de ces multinationales plutôt que leurs bénéfices. Une proposition qui ne fait pas l'unanimité au sein de l'Union européenne, mais qui rallie 10 États membres. Un coup médiatique soutenu par Emmanuel Macron et qui a forcé la Commission européenne, jusque-là très prudente, à réagir et à publier une communication le 21 septembre

La Commission fait le point sur la situation des GAFA, le manque de transparence et la lutte contre la planification fiscale. Le document pointe également du doigt les deux grands défis que doit relever l'Union : établir précisément le lieu d'imposition des entreprises numériques qui n'ont pas de présence physique et définir quel montant - le bénéfice ou le chiffre d'affaires - doit être imposé.

Certaines ébauches de projets ambitieux ont déjà vu le jour suite au mécontentement de plusieurs États. Notamment l'assiette commune consolidée pour l'impôt des sociétés (Accis). Le but : obliger les activités transfrontalières à se conformer à un système européen unique qui déterminerait leur revenu imposable. Une législation commune et obligatoire qui éviterait toute discordance entre les nations et rectifierait les failles du système financier. Sauf que, pour le moment, l'Accis ne mentionne pas de législation précise pour les GAFA.

Un chiffre trop éloigné de la réalité

Pourquoi le chiffre de 5 milliards avancé par Pierre Moscovici doit-il être nuancé ? Selon le cabinet du commissaire européen, ce chiffre se base sur les calculs du député néerlandais du groupe de l'Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates du Parlement européen, Paul Tang. Celui-ci a publié un rapport en septembre dernier sur le gigantesque manque à gagner de l'UE dû à l'optimisation fiscale des GAFA. Il y est question de 5,4 milliards d'euros par an. Un chiffre qui représente uniquement le manque à gagner pour l'Union européenne entre 2013 et 2015 et qui ne tient compte que de Facebook et Google. Pas question ici d'Amazon ou d'Apple.

Ces 5 milliards doivent donc être revus considérablement à la hausse. Dans ce même rapport, Paul Tang précise que Google paie des impôts à hauteur de 9% de son chiffre d'affaires en dehors de l'UE. Alors qu'à l'intérieur du Vieux Continent, il tombe à 0,82%. Pour Facebook, le constat est le même. Amazon n'a, quant à lui, payé aucun impôt durant cette période, faute de bénéfices.

Une étude publiée par la Fédération française des télécoms (FFT) permet aussi d'avancer que le chiffre mentionné par le commissaire européen serait largement inférieur à la réalité. Ce rapport commandé par la FFT à Greenwich consulting, estime qu'en 2011 les GAFA ont déboursé 22 fois moins que ce qu'ils auraient payé si leurs activités de production étaient localisées et taxées en France. Un manque à gagner d'un demi-milliard d'euros rien que sur cette année-là et uniquement dans un seul des 27 États membres de l'époque. En partant du constat que les chiffres d'affaires des GAFA ont augmenté depuis 2011, le chiffre de 5 milliards semble bien loin du manque à gagner que l'Union Européenne connaît effectivement chaque année.

Dans l'attente d'une unanimité

Bien que Pierre Moscovici parle d'un chiffre supérieur à 5 milliards, il est encore loin de ce que représente réellement le manque à gagner pour l'ensemble de l'Union. Impossible pour le moment de définir un montant précis par an à l'échelle européenne. Il faudrait pour cela que chaque État membre calcule le manque à gagner annuel des GAFA sur leur territoire et que ceux-ci soient additionnés. Ceci dit, ces chiffres resteraient des estimations étant donné le peu de transparence des GAFA par rapport à leurs comptes.

Cependant, certaines avancées censées réguler au fur et à mesure cette faille voit le jour. Lundi, le gouvernement irlandais a annoncé avoir trouvé un accord avec Apple afin de commencer à collecter début 2018 les 13 milliards d'euros d'avantages fiscaux jugés indus par Bruxelles. Un dossier épineux qui avait suscité des tensions entre Dublin et Bruxelles. 

Tant que les recommandations de l'OCDE ne seront pas actualisées et que les États membres ne parviendront pas à se mettre d'accord sur une harmonisation législative, les GAFA continueront de profiter des failles du système économique. "La Commission continuera d'analyser les solutions envisageables et de consulter les parties intéressées avant de présenter une éventuelle proposition d'ici au printemps 2018" stipule la communication de la Commission. D'ici là, l'Union Européenne reste désarmée face à cette immense hémorragie fiscale.

 

 

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