Check Point : La France, dernier pays européen à connaître le « chômage de masse » ?
Selon la formule employée par Emmanuel Macron lors du débat du second tour de la présidentielle, la France est victime depuis plus de 30 ans du "chômage de masse". Mais quelle pertinence recouvre réellement cette expression abondamment utilisée pour décrire un grand nombre de pays européens ?

Check Point : La France, dernier pays européen à connaître le « chômage de masse » ?

Selon la formule employée par Emmanuel Macron lors du débat du second tour de la présidentielle, la France est victime depuis plus de 30 ans du "chômage de masse". Mais quelle pertinence recouvre réellement cette expression abondamment utilisée pour décrire un grand nombre de pays européens ?
Public Sénat

Par Thomas Mignon

Temps de lecture :

4 min

Publié le

Mis à jour le

"Le problème de la France depuis 30 ans, c'est le taux de chômage. Nous sommes dans le chômage de masse depuis 30 ans. Nous sommes le seul pays d'Europe qui n'a pas réussi, justement, à endiguer cela."

Face à Marine Le Pen lors du débat télévisé de l'entre-deux-tours, Emmanuel Macron a ainsi émis le constat d'une France coiffée du bonnet d'âne de la classe européenne en matière de "chômage de masse".

Le taux de chômage français est descendu à 9,7% au dernier trimestre de 2016, selon les chiffres communiqués par l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Il atteignait encore 10,2% au troisième trimestre 2015.

"Chômage de masse" ? De quoi parle-t-on ?

Mais peut-on pour autant parler de "chômage de masse" ? Il faudrait déjà savoir à quoi cela fait référence… Et là, ce n'est pas gagné : il n'existe pas la moindre définition scientifique.

Cette expression "qui est du domaine public (…) ne correspond à aucune unité de mesure" au sein de l'Organisation mondiale du Travail (OIT), nous répond-on au sein de cette agence de l'ONU.

En France, l'Insee adopte la même position : "Le chômage de masse n'est pas une catégorie statistique définie, mais plutôt une appréciation".

Et aucune des organisations ne s'essaye à fixer un quelconque taux au-delà duquel on pourrait parler de chômage de masse.

D'autant que, nous dit l'OIT, cette notion est extrêmement relative. "C'est assez spécifique à chaque pays. Par exemple, vu que le taux de chômage est de de 25% en Grèce (plus précisément à 23,6% selon le dernier relevé d'Eurostat, ndlr), parvenir à un niveau de 10% ne serait pas considérer comme un chômage 'de masse'."

A contrario, si l'on prend le cas de l'Allemagne, où le taux affichait 4,1% en 2016, une hausse jusqu'à 10% serait plus que probablement perçue comme un chômage de masse.

Malgré ce vide définitionnel, nombre d'hommes et de femmes politiques l'utilisent. Et nombreux sont les articles qui mentionnent cette expression sans en préciser la valeur.

Le Figaro titrait ainsi en mai 2016 : "30 ans de chômage de masse en France… Pourquoi ?". Plus récemment, Le Monde consacrait une double page aux "candidats face au chômage de masse" en mars dernier. Et les exemples ne manquent pas.

Le chômage de masse en Europe - Check Point (09/04/2017)
01:57

Hypothèse statistique

Alors, en absence de définition, et pour permettre la comparaison, considérons un instant que ces articles et ces discours politiques détiennent effectivement la bonne notion statistique.

Si cela fait effectivement 30 ans que la France vit un "chômage de masse", cela voudrait dire que son taux de chômage n'a jamais, en 30 ans, dépassé un certain seuil.

Reprenons les données de l'Insee, en chiffres annuels cette fois. On peut calculer que le taux n'est jamais passé sous la barre des 7%. Mais à seulement deux points de ce que l'on qualifie généralement de plein-emploi – sous les 5% –, cela signifierait que l'on bascule un peu précipitamment sur l'appellation "de masse".

Dès lors, prenons plutôt le taux de chômage moyen de ces 30 dernières années en France : 8,8%. On pourrait alors considérer que ces assertions de "chômage de masse" qualifient les situations au-delà des 8%.

Du moins, partons de ce principe.

Onze pays européens au-delà des 8%

Les États membres de l'Union européenne concernés apparaissent soudainement bien nombreux : sur les 28 États membres, 11 ont dépassé ce taux l'année dernière, et souvent largement.

Avec ses 10% en 2016 (ou plus exactement 10,1% selon Eurostat, 9,7% selon l'Insee), la France est donc bien dans cette supposée catégorie.

Mais 6 pays font pire : la Grèce (23,6), l'Espagne (19,6), la Croatie (13,3), Chypre (13,1), l'Italie (11,7) et le Portugal (11,2).

Dès lors, même si nous avions fixé un palier plus élevé pour ce "chômage de masse", on le voit, la France est loin d'être le plus mauvais élève. Affirmer que les autres pays européens sont parvenus, au contraire de la France, à régler ce problème, c'est donc tout simplement faux.

 

Retrouvez le Check Point dans Europe Hebdo jeudi 16 mars à 18h30 et vendredi 17 mars à 7h.

Partager cet article

Dans la même thématique

Check Point : La France, dernier pays européen à connaître le « chômage de masse » ?
3min

Politique

« L’humour est de gauche » selon l’humoriste belge Alex Vizorek

C’est l'un des Belges les plus connus de la scène humoristique francophone. Passé par France Inter, il officie désormais à RTL. Comment un humoriste est-il passé d’un public à l’autre ? Comment faire indifféremment rire un public de droite et de gauche ? Cette semaine, Alex Vizorek est l’invité de Rebecca Fitoussi dans l’émission Un monde, un regard.

Le

Check Point : La France, dernier pays européen à connaître le « chômage de masse » ?
3min

Politique

Parlement européen : « la droite traditionnelle pro-européenne joue avec l’extrême droite » pour Javier Moreno Sanchez   

« Un discours ferme et rassembleur ». Pour la députée centriste du groupe Renew, Fabienne Keller, les propos tenus par Ursula von der Leyen sont « absolument essentiels en ce moment historique où nous sommes en tension maximum avec Vladimir Poutine ». La présidente de l’exécutif européen a en effet annoncé une esquisse de nouvelles sanctions contre la Russie. Dans ce contexte, l’eurodéputée française estime que « la défense que l’on n’a pas voulue dans les années 50, s’impose à nous » désormais.   « C’est un peu tard mais elle commence à réagir »   Concernant le conflit israélo-palestinien, l’eurodéputé espagnol Javier Moreno Sanchez espère que qu’Ursula von der Leyen ira plus loin dans la condamnation des actes commis par l’Etat hébreu. « Ce que nous lui demandons, c’est qu’elle agisse avec la même fermeté dans les deux guerres qu’on a à nos portes ». A la surprise générale, la présidente de la Commission a annoncé vouloir suspendre une partie de l’accord d’association entre l’Union européenne et Israël, mais pour le social-démocrate, c’est l’ensemble de ce texte qui doit remis en cause.     Mais pour l’eurodéputé espagnol, l’urgence est de ne pas revenir sur les grands textes des précédentes mandatures de la Commission. Qu’il s’agisse du pacte migratoire ou des mesures écologiques, « il ne faut pas qu’Ursula von der Leyen démonte les propositions qu’elle a faites (…) on ne savait pas que la droite traditionnelle pro-européenne allait jouer avec l’extrême droite ».  « Ce n’est pas une Europe sociale, mais une Europe militariste »   Le groupe des Conservateurs et réformistes est nettement plus critique vis-à-vis du grand oral de la présidente de la commission. L’élu roumain Gheorghe Piperea souhaite la démission de la commissaire allemande. En juillet, il faisait déjà partie de ceux qui avait voté une motion de censure à l’encontre de cette dernière. Pour cet eurodéputé conservateur l’Union européenne nourrirait le conflit ukrainien en multipliant ses aides, notamment militaires. Ce député a par ailleurs dénoncé l’accord commercial conclu « sur un terrain de golf en Ecosse » entre Ursula von der Leyen et Donald Trump, le qualifiant « d’échec ».    Retrouver l’intégralité de l’émission en intégralité ici  

Le

Avis d’arret de travail Illustration
9min

Politique

Report de congés pour cause d’arrêt maladie : la délégation aux entreprises du Sénat saisit Sébastien Lecornu face à une décision « terrible » pour les PME

« Je saisis par courrier le premier ministre pour qu’une action au sommet de l’Etat soit engagée dans les plus brefs délais auprès des instances européennes », annonce à publicsenat.fr le président de la délégation aux entreprises du Sénat, le sénateur LR Olivier Rietmann, alors qu’un salarié malade pendant ses vacances pourra reporter ses congés, selon une décision de la Cour de cassation.

Le