Chlordécone : après le non-lieu, un sentiment de « déni de justice » en Guadeloupe et en Martinique, dénonce Victorin Lurel

Chlordécone : après le non-lieu, un sentiment de « déni de justice » en Guadeloupe et en Martinique, dénonce Victorin Lurel

Victorin Lurel, sénateur de Guadeloupe, a interpellé le gouvernement mercredi 11 janvier 2023. Il a réagi à la suite du non-lieu prononcé par la justice dans l’affaire de l’empoisonnement au chlordécone aux Antilles. Le parlementaire dénonce un déni de justice et demande au gouvernement de venir en aide aux victimes du pesticide.  
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Jeudi 5 janvier, la justice a déclaré un non-lieu définitif dans le dossier tentaculaire de l’empoisonnement au chlordécone aux Antilles. Au bout de plus de seize ans de procédure, la décision était redoutée par toutes les parties prenantes du dossier.

Ce puissant pesticide, utilisé pendant plusieurs décennies pour lutter contre la propagation du charançon noir dans les bananeraies, s’est avéré hautement cancérigène. Interdit dès les années 1970 aux Etats-Unis, il le sera dans l’Hexagone vingt ans plus tard. Mais il faudra attendre le 30 septembre 1993 pour que le chlordécone soit définitivement interdit aux Antilles.

Dans ces deux territoires d’Outre-mer, les sols sont contaminés et les cas de cancers de la prostate battent des records. En Martinique, l’incidence du cancer de la prostate serait même la plus élevée du monde, avec 227 cas pour 100 000 personnes par an, selon le International Journal of Cancer. Selon Santé Publique France, 90 % des populations antillaises auraient été exposées à la contamination au chlordécone.

« Un indéniable déni »

« Je respecte les décisions de justice », a assuré le sénateur guadeloupéen Victorin Lurel lors de la session de questions au gouvernement du mercredi 11 janvier. « Mais en l’espèce, personne ne pourrait s’en satisfaire ». « Je considère pour autant que l’État reste co-responsable majeur de cette tragédie et en reste donc comptable », a notamment lancé celui qui fut ministre du gouvernement de François Hollande.

Cette décision ajoute au scandale d’État un scandale judiciaire.

Selon lui, la décision de justice décrétant le non-lieu « est un indéniable déni ». « Bien qu’attendue, cette décision ajoute au scandale d’État un scandale judiciaire », a déclaré le parlementaire, qui affirme que cette situation pourrait bien susciter des mouvements de colère aux Antilles. Victorin Lurel parle précisément d' « un déni pouvant allumer des brasiers, puisqu’il n’y aurait ni coupable ni responsable ».

Une « responsabilité collective », selon le gouvernement

Jean-François Carenco, le ministre délégué aux Outre-mer auprès de Gérald Darmanin, a répondu à Victorin Lurel. Le ministre assure de son côté que cette décision pointe « une responsabilité collective » dans cette affaire. Etant donné que la justice a bel et bien reconnu l’existence d’un scandale sanitaire dans ce dossier, le non-lieu « n’amoindrit en rien la responsabilité de l’État », assure Jean-François Carenco. Ce dernier va par ailleurs se rendre aux Antilles dès le 12 janvier aux côtés de la coordonnatrice du plan national chlordécone IV, Edwige Duclay.

46 ans après les premières alertes, seize ans après la première plainte, vous ne pouvez rester indifférente. 

Toujours au cours de sa prise de parole, l’ancien ministre des Outre-mer (2012-2014) a invectivé la Première ministre Élisabeth Borne, présente dans l’hémicycle du Sénat. « 46 ans après les premières alertes, seize ans après la première plainte, vous ne pouvez rester indifférente », a notamment lancé Victorin Lurel.

Mais la cheffe du gouvernement demeure silencieuse. C’est Jean-François Carenco, ministre délégué aux Outre-mer, qui s’est chargé de répondre au nom de l’exécutif. Une situation que déplore le sénateur guadeloupéen. « Je regrette que vous n’ayez pas saisi l’occasion ici de marquer votre considération auprès des populations de Martinique et de Guadeloupe, frappées de sidération et déjà marquées dans leur chair », a-t-il déclaré à l’attention de la Première ministre.

« Nous ferons un pourvoi en cassation »

Avant même le rendu de la décision de justice, des manifestations avaient eu lieu en Guadeloupe et en Martinique courant 2022. Les parties civiles craignaient le non-lieu et la prescription des faits. Depuis que la décision a été rendue, certains plaignants entendent tout de même poursuivre une action en justice, passant outre cette dernière décision.

On peut s’attendre à de nouvelles réactions fortes.

« Si la Cour d’appel ne nous donne pas raison, nous ferons un pourvoi en cassation. Nous sommes déterminés à aller jusqu’à la Cour de cassation et à la Cour européenne de justice pour que justice nous soit rendue », avait notamment déclaré début janvier à franceinfo Harry Durimel, maire écologiste de Pointe-à-Pitre en Guadeloupe et avocat historique des victimes du chlordécone. « On peut s’attendre à de nouvelles réactions fortes, type manifestations », avait aussi averti Stéphane Artano, le président RDSE de la délégation sénatoriale aux Outre-mer.

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