« Nous leur devons et je leur dois. » Devant la commission des lois du Sénat, Christophe Castaner s’est posé en défenseur des policiers. Très critiqué par les syndicats, qui lui reprochent d’avoir « lâché » ses troupes face aux accusations de violences racistes dont elles font l’objet dans le sillage des affaires Traoré et Floyd, le ministre de l’Intérieur se savait attendu : « Depuis la première seconde, j’ai défendu l'honneur des policiers et gendarmes et je continue de le faire à chaque instant » a-t-il assuré.
Le ministre a vanté la politique du gouvernement à destination des forces de l’ordre, confrontées au manque de moyens comme le détaille un rapport sénatorial de 2018. Christophe Castaner a mis en avant une « hausse de plus d’un milliard d’euros du budget de la sécurité » depuis 2017 ainsi que le recrutement de 10 000 policiers et gendarmes. Des efforts en matière de ressources humaines qui se traduisent aussi par des hausses de salaire, « entre 120 et 150 euros net par mois » pour les agents et sous-officiers selon le ministre.
Passe d'armes
Peu enclin à parler de violences policières, le président (LR) de la commission des lois Philippe Bas a en revanche attaqué le ministre sur le terrain du budget. Se livrant même à une passe d’armes avec Christophe Castaner, quand ce dernier a vanté les investissements (900 millions d’euros) réalisés pour rénover les casernes et les commissariats, ainsi que l’achat de plus de 5000 nouveaux véhicules en moyenne chaque année.
« Il va falloir qu’on finisse par s’entendre sur les chiffres ! » s’est agacé Philippe Bas, pour qui les « moyens matériels ne suivent pas au même degré » que les efforts de recrutement. Dans le budget 2020, « nous avons constaté une baisse des crédits de formation, des crédits de munitions ainsi que des crédits d’achat de véhicules, de 24% dans la police nationale, d’un tiers dans la gendarmerie. Ces chiffres, nous ne les avons pas inventés ».
« Pour un policier ce qui compte c’est de conduire une bagnole en bon état »
« On peut tout faire dire aux chiffres » s’est défendu Christophe Castaner, assurant que le budget de la sécurité a augmenté depuis le début du quinquennat. Ce qui expliquerait que les baisses observées ne seraient que relatives. « Un chiffre ça parle, mais pour un policier ce qui compte c’est de conduire une bagnole en bon état » a-t-il lancé.
L’audition a donné lieu à quelques explications à propos de la technique d’interpellation dite « de l’étranglement ». Une méthode au cœur de la polémique depuis le décès de Cédric Chouviat à l’issue d’un contrôle de police en janvier 2020. Le 8 juin, Christophe Castaner annonçait en conférence de presse la fin de l’enseignement de cette technique. Une décision motivée par le rapport d’un groupe de travail, composé entre autres des directeurs généraux de la police nationale et de la gendarmerie nationale.
Technique de l'étranglement
Christophe Castaner: la technique de l'étranglement " ne sera plus enseignée" dans les écoles de police
« Je ne suis pas un spécialiste. Mais quand le rapport du groupe de travail recommande que cette technique (...) qui vise à empêcher l’oxygène d’arriver au cœur ou le sang de monter au cerveau, soit retirée de l'enseignement, je leur dis oui (...) Je veux aussi protéger les policiers en ne leur apprenant pas une technique qui pourrait demain les conduire face à un juge ».
Face aux inquiétudes des sénateurs de voir les forces de l’ordre démunies dans l’exercice de leurs missions (« une interpellation n’est pas une invitation de courtoisie » a rappelé Philippe Bas), le ministre s’est voulu rassurant. « Je pense qu’il y a des techniques de substitution, comme des moyens utilisés par les personnels pénitentiaires » a indiqué Christophe Castaner, qui souhaite que des solutions soient présentées dans un « délai court ». « Il est hors de question de désarmer les forces de sécurité » a-t-il affirmé.
Guerre des images
D’autant qu’à défaut d’être enseignée, la technique « de l’étranglement » continue d’être pratiquée a reconnu le ministre, même si de façon « très marginale ». « La technique de l’étranglement n’a rien à voir avec la prise arrière ou le placage ventral », des méthodes plus largement employées lors des interpellations, a-t-il détaillé.
L’audition n’a pas fait l’impasse sur le malaise qui s’est installé entre les policiers et une partie de la population. « Je veux franchement aborder la question des images » a affirmé le ministre, qui déplore que « les forces de l’ordre (soient) jetées en pâture sur les réseaux sociaux » à cause d’images tronquées ou détournées. Christophe Castaner demande « l’accélération et la généralisation des caméras-piétons», un « outil de prévention utile qui contribue à apaiser les situations ». « Je souhaite que les images soient exploitables pour pouvoir les communiquer et rétablir les faits. J’ai besoin du soutien du Parlement » sur ce point, a-t-il adressé aux sénateurs.
Livre Blanc
La proposition a suscité le scepticisme de Loïc Hervé. Le sénateur centriste, membre de la CNIL, a pointé les dangers d'une destination au grand public de ces images filmées lors d'une intervention. « Le procès n’aura plus lieu devant le tribunal ou l’IGPN (...), le procès aura lieu dans la presse, le procès aura lieu sur BFM. C’est une évolution extrêmement préoccupante ». Le sujet de la destination des images filmées par les cameras-piétons devrait faire partie du « livre blanc » de la sécurité intérieure, sur lequel planchent actuellement Christophe Castaner et Laurent Nunez.
Le ministre de l'Intérieur a enfin réaffirmé le rôle de l'IGPN, une institution « extrêmement crainte » par les policiers. « Je sais le débat public qui est posé aujourd'hui, où l'on explique que c’est scandaleux que des policiers fassent des enquêtes judiciaires sur des policiers. Mais que propose-t-on ? Que ce soient les associations qui mènent les enquêtes ? » Le ministre a suggéré que la dimension administrative soit davantage prise en compte dans les investigations sur des faits survenus lors d'opérations de maintien de l'ordre. Il a émis l'idée d'un « collège des inspections » qui intègrerait, en plus de l'IGPN et de l'IGGN (Inspection générale de la gendarmerie nationale), les agents de l'Inspection générale de l'administration (IGA). « Pour avoir un regard sur l’intervention du préfet par exemple ».