Comment le gouvernement va réformer la fonction publique

Comment le gouvernement va réformer la fonction publique

Le gouvernement rentre dans le dur. Le secrétaire d’Etat Olivier Dussopt a présenté sa réforme de la fonction publique aux syndicats. Ils ont claqué la porte, dénonçant une « mise à mort » du statut. L’exécutif veut multiplier le recours aux contractuels, leur permettre une rupture conventionnelle et faciliter les départs vers le privé.
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La crise des gilets jaunes et le grand débat ont en partie ralenti les réformes du gouvernement. Mais pas celle de la fonction publique. Olivier Dussopt, secrétaire d’Etat auprès du ministre des Comptes publics, Gérald Darmanin, a présenté mercredi 13 février, en fin d’après-midi, les grands axes de la réforme à l’ensemble des syndicats. Mais sept syndicats de fonctionnaires sur neuf ont claqué la porte de la réunion, dénonçant une « mise à mort » programmée du statut de la fonction publique…

L’ancien socialiste est aujourd’hui pleinement en charge de ce dossier sensible, en lien direct avec Edouard Philippe. Le secrétaire d’Etat a vu encore le premier ministre mardi matin pour des derniers arbitrages, avant la présentation.

La réforme pourrait être adoptée avant l’été

Huit syndicats avaient déjà fait savoir lundi, par un communiqué commun adressé au premier ministre, qu’ils demandaient la suspension de la réforme le temps du grand débat. L’exécutif ne l’entend pas ainsi. Après la présentation de l’avant-projet de loi aujourd’hui dans le cadre du Conseil supérieur commun aux trois fonctions publiques (Etat, territorial, hospitalière), qui rassemble 5,65 millions d'agents, les syndicats pourront proposer des amendements au texte.

Cette consultation pour avis dure trois semaines, avant que le texte parte devant le Conseil d’Etat. La présentation en Conseil des ministres est prévue fin mars, le 27 a priori. Le gouvernement vise une adoption définitive du texte avant l’été.

Recours plus facile aux contractuels

L’un des axes forts de la réforme et de développer le recours aux contractuels, qui ne sont donc pas fonctionnaires. Ils sont déjà plus d’un million. Différents critères permettant un recours plus facile aux contrats vont être arrêtés. Par exemple lorsque les écoles de service public n’offrent pas la compétence demandée, notamment en informatique.

Actuellement, pour les agents contractuels de catégorie A (les mieux payés), il est possible de signer un contrat de 3 ans, renouvelable deux fois. Pour les catégories B et C, les contrats ne peuvent être que d’1 an, renouvelable une fois. Selon nos informations, le gouvernement souhaite des contrats de 3 ans pour les catégories A, B et C. Autre idée : créer des postes de titulaire à temps non complet. Si les syndicats s’opposent au développement des contractuels, un connaisseur du dossier pointe « une forme d’hypocrisie. On fait du bricolage avec des CDD pendant 10 ans dans les cantines ou la garderie ».

Faciliter le passage du public au privé sur la base du volontariat

Début 2018, Gérald Darmanin avait évoqué un « plan de départs volontaires » pour les fonctionnaires. Vocabulaire que n’emploie plus aujourd’hui l’exécutif. « Ça n’existe pas » assure-t-on. « L’idée, c’est de faciliter le passage du public au privé sur la base du volontariat », explique l’entourage d’Olivier Dussopt.

Droit d’option au retour dans le public

Pour les inciter à faire le pas, les agents prêts à partir dans le privé pourront conserver leur avancement de carrière le temps de l’expérience. Des personnels du public pourront être mis à disposition auprès d’entreprises, avec un droit d’option de retour. Le gouvernement veut aussi rendre possible la rupture conventionnelle pour les agents contractuels en CDI. Ils sont environ 200.000.

Doublement de la prime de restructuration de 15.000 à 30.000 euros

La réforme entend revoir aussi les possibilités de reclassement au sein de la fonction publique, par exemple en cas de fermeture d’un service. Si aucun autre poste n’est disponible dans la ville, la prime de restructuration de service sera doublée, de 15.000 à 30.000 euros, afin d’encourager la mobilité mais sans limite géographique. Les postes vacants, de titulaires ou contractuels, seront obligatoirement publiés sur un site Internet, mis en ligne vendredi.

Si l’agent choisit de rester en priorité dans sa commune, il pourra être aidé dans sa reconversion, au sein d’une des fonctions publiques. Grâce à un congé de transition professionnelle, le fonctionnaire pourra être payé à 100% pendant sa formation. La différence éventuelle de salaire avec sa nouvelle fonction sera prise en charge 6 ans.

Pas de « totem » sur la suppression de 120.000 postes, mais toujours « un objectif »

A la recherche d’économies, le gouvernement entend réduire le nombre de fonctionnaire. Autre point sensible avec les syndicats. Le 1er février dernier, Olivier Dussopt avait semblé mettre un peu de mou sur ce sujet. Il avait affirmé sur Public Sénat que la suppression de 120.000 postes n’était pas « un totem ». Mais « ça reste un objectif » assure-t-on au secrétariat d'Etat à la Fonction publique, « ça peut être moins, ça peut être plus ».

Pour tenir cet objectif d’ici la fin du quinquennat, le gouvernement veut supprimer 50.000 postes dans la fonction publique d’Etat et 70.000 dans les collectivités territoriales. Si ces dernières maîtrisent leurs dépenses de fonctionnement, l’exécutif table sur 13.000 à 15.000 postes par an. Du côté de l’Etat, il y a encore de la marge pour atteindre l’objectif. Après les 1.800 postes en 2018, les compteurs seront à 6.000 postes supprimés fin 2019. Bercy compte aussi sur 7.000 à 8.000 postes de moins de grâce à la mise en place du prélèvement à la source et la suppression de la taxe d’habitation, ce qui fera disparaître cette mission de recouvrement de l’impôt.

Points de désaccords avec les syndicats

Si certaines mesures pourraient satisfaire les syndicats, il restera plusieurs points de blocages, comme la question de la rémunération au mérite. Mais le gouvernement renvoie ce sujet sensible à la réforme des retraites, manière de s’enlever un obstacle. Les dérogations pour l’ouverture aux contrats feront aussi, à n’en douter, débat. Côté dialogue social, la fusion des CHSCT (comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail) avec les comités techniques passe mal chez les organisations syndicales. Par ailleurs, les syndicats n’auront plus à donner leur avis sur les carrières des agents. Certains y voient une forme de cogestion, que l’exécutif entend arrêter.

Reste qu’en menant cette réforme, alors que la crise des gilets jaunes n’est toujours pas terminée, le gouvernement risque de s’ouvrir un nouveau front. Mais du côté de l’exécutif, si on s’attend à des manifestations, on estime le risque surmontable, comme on le souligne à Bercy :

« Les irritants de la fonction publique ne sont pas dans le texte : pouvoir d’achat et réforme des retraites ».

Le gouvernement considère que le projet de loi évite les écueils passés des réformes « à la méthode brutale, vécues comme un spasme ».

Rémunération des hauts fonctionnaires

Et si le gouvernement ne suspend pas sa réforme en l’attente du grand débat, il pourra l’enrichir de certaines propositions. Avant même la fin de cette grande consultation, l’exécutif a déjà une petite idée sur les points qui pourraient être retenus : la question des rémunérations dans la haute fonction publique et celle de la déontologie.

La demande des services publics revient justement souvent dans le grand débat. Ce que rappellent les syndicats. « Face aux inégalités sociales et territoriales, au sentiment d’abandon d’une grande partie de la population, la fonction publique a un rôle important à jouer » souligne l’intersyndicale dans sa lettre à Matignon. Autrement dit, sans agents, « l’isolement est renforcé et les inégalités grandissent ».

Revendications salariales

Depuis des mois, les fonctionnaires mettent aussi sur la table la question salariale, à laquelle ne répond pas le projet de loi. « A l’inverse des suppressions d’emplois et d’un recours accru au contrat », les syndicats demandent « la création d’emplois statutaires » et « une revalorisation salariale », soulignant le « gel de la valeur du point d’indice, une mauvaise compensation de l’augmentation de la CSG, le rétablissement du jour de carence ».

Mais la question du point d’indice se confronte à un effet de masse. A Bercy, où les 3% de déficit sont dans les têtes, on souligne qu’une hausse de 1% du point représente un coût de 2 milliards d’euros pour l’Etat, pour une augmentation de 15 euros par mois pour un salaire de 2.000 euros net, et 8 euros par mois pour un agent au Smic. Une augmentation de 50 euros par mois coûterait 12 milliards d’euros. Soit peu ou prou le coup des mesures d’urgences annoncées en décembre par Emmanuel Macron, même si les fonctionnaires bénéficient de la hausse de la prime d’activité. Mais en ne répondant pas aux revendications des fonctionnaires, l’exécutif risque de leur donner l’impression qu’ils sont les grands perdants.

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