Commission d’enquête sur la radicalisation : la gauche dénonce le risque de «stigmatisation»

Commission d’enquête sur la radicalisation : la gauche dénonce le risque de «stigmatisation»

Il faut comprendre la « machine à fabriquer du radicalisme » en France, explique le patron des sénateurs LR, Bruno Retailleau, qui demande une commission d’enquête sur le sujet. Les sénateurs de gauche dénoncent un risque de « raccourcis » et une nouvelle « stigmatisation » des musulmans.
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Le sujet est sensible. La question complexe. Le groupe LR du Sénat, par la voix de son président, Bruno Retailleau, a décidé jeudi 15 octobre de demander une commission d’enquête « sur le développement de la radicalisation islamiste et les moyens de la combattre », douze jours après l'attaque à la Préfecture de police de Paris. « La multiplication des revendications communautaires » témoigne de l’« influence » du « salafisme », pointent les sénateurs LR dans le texte justifiant la commission. Ils dénoncent l’objectif « ouvertement sécessionniste » de « l’Islam radical ».

« Il s’agit aujourd’hui, alors que le gouvernement baisse les bras, de comprendre un double phénomène : le terrorisme islamiste (…) et de l’autre côté, il y a une machine à fabriquer du radicalisme et des djihadistes. (…) Il y a des territoires désormais conquis par l’islamisme. Nous voulons avoir le diagnostic précis de ce phénomène (…) et les meilleurs remèdes » explique Bruno Retailleau à Public Sénat ce mercredi. Pour le sénateur LR de Vendée, « il faut disjoindre les explications de l’ordre de la psychiatrisation, en disant que ce sont des dingues ou loups solitaires, ou les explications qui consistent à dire qu’il y a un problème social, et qu’ils peuvent finalement être excusés. Non, c’est inexcusable ». Regardez :

Bruno Retailleau veut comprendre la « machine à fabriquer du radicalisme » en France
01:11

« Tout est lié » 

« Cette commission est une nécessité » confirme Jérôme Bascher, sénateur LR de l'Oise. Selon la sénatrice LR Jacqueline Eustache-Brinio, représentante d’une ligne de fermeté à droite, « c’est un travail de fond à faire pour savoir comment la radicalisation s’est installée partout dans la société ». Evoquer ensemble la « radicalisation », l’influence du « salafisme » et les « revendications communautaires » est justifiée, selon la sénatrice du Val-d’Oise. « Tout est lié » soutient Jacqueline Eustache-Brinio, par ailleurs auteure, sur un autre sujet d’actualité brûlant, d’une proposition de loi pour interdire le port du voile pour les mères accompagnatrices lors des sorties scolaires.

Tous les sénateurs du groupe LR ne semblent pas exactement sur la même ligne néanmoins. « Après les événements de la Préfecture de Police, la commission d’enquête est justifiée » reconnaît François Grosdidier, sénateur LR de la Moselle. Mais il n’est pas tout à fait à l’aise avec l’expression de certains sénateurs :

« Je ne partage pas la propension de certains de mes collègues à amalgamer. Une commission d’enquête peut permettre d’apporter plus d’éclairage et de discernement. Mais on ne doit pas tomber dans le piège de l’amalgame » (François Grosdidier, sénateur LR)

« Le port du voile ne signifie pas, quand il est porté de façon traditionnelle et non prosélyte, l’expression d’une sécession avec la République » ajoute François Grosdidier, pour qui « il serait bien de se référer aux travaux déjà faits par le Sénat ».

Plusieurs travaux sur ce thème au Sénat

La Haute assemblée a déjà, il est vrai, largement travaillé sur le sujet. En 2015, Nathalie Goulet (UDI), Jean-Pierre Sueur (PS) et André Reichardt (LR) concluent leur commission d’enquête sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe par 110 propositions (lire notre article). En 2017, un rapport d’information des sénatrices Esther Benbassa (EELV) et Catherine Troendle (LR) dénonce le « fiasco » du désendoctrinement et de la réinsertion des djihadistes en France (à lire ici).

« Je ne sais pas sur quoi débouchera ce genre de commission d’enquête. Une de plus » réagit aujourd’hui Esther Benbassa. Elle pointe le « raccourci » fait avec le salafisme. « Il n’occupe pas une place très importante en nombre au sein de l’Islam. Faire ce lien, c’est à nouveau tomber dans ce piège : voile, salafisme, terrorisme, etc. En tant qu’historienne des religions, je pense que le problème est beaucoup plus large et complexe » souligne la sénatrice de Paris.

« Ne faisons pas de ça le débat central de la société française »

Globalement, à gauche, la proposition du groupe LR, qui utilise son droit de tirage lui permettant de décider d’une commission d’enquête par session, passe très mal. « On va à nouveau stigmatiser, désigner. Venant de Bruno Retailleau, ça ne m’étonne pas » souligne la sénatrice de Loire-Atlantique Michelle Meunier, porte-parole du groupe PS du Sénat. « Il y a eu beaucoup de travaux sur le sujet » rappelle son collègue Rachid Temal, également porte-parole du groupe PS. Le sénateur du Val-d’Oise ajoute : « Ne faisons pas de ça le débat central de la société française. La question sociale est très importante. Ça donne le sentiment que le Rassemblement national donne le la de la vie politique française ».

Pour Esther Benbassa, « il est temps de sortir de cette stigmatisation qui nourrit la radicalisation. Plus vous êtes attaqué, montré du doigt, discriminé, plus vous vous repliez sur votre communauté. Et vous nourrissez un sentiment d’ambiguïté à l’égard de la République et de la France ». Elle ajoute :

« C’est terrible pour les musulmans en France. Tous les matins, quand vous vous levez, vous vous demandez ce qui va vous tomber sur la tête ».

Critique tout aussi ferme de la part d’Eliane Assassi, présidente du groupe CRCE (communiste) du Sénat. « C’est une commission d’enquête d’opportunité politique. C’est regrettable car ça pollue le débat public et politique, alors qu’il y a des sujets importants comme les retraites ou le budget » dit-elle. Selon la sénatrice PCF de Seine-Saint-Denis, « les LR cherchent à s’inscrire dans l’actualité et dans une logique de surenchère sur une religion et une stigmatisation ». Pour Eliane Assassi, « tout ça s’inscrit dans une ambiance malsaine ».

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